(I) close encounters of the third kind + zed.

Jenna n’arrive pas à s’y faire, à cette ambiance, à ces regards inquisiteurs se posant sur elle, aux rumeurs se répandant à son sujet. Clairement, elle n’est pas à sa place, du moins elle ne se sent pas à sa place ici. En même temps, être la sœur d’Abel Rhodes n’a pas pour but de faciliter l’intégration. La plupart des commerçants de la carrière la connaissent, n’ont pas vraiment une image des plus agréables la concernant. Rien ne joue donc en sa faveur. Souvent, elle pense à Archer, se dit que la situation ne doit pas être plus accommodante que la sienne, elle est surement pire d’ailleurs. Il est vrai qu’au fond, elle n’a pas vraiment à se plaindre. Elle se balade plus ou moins librement, dispose d’un abri et ne se voit pas obligée de contribuer à la vie de la carrière. Sans oublier le fait que le Roi des lieux lui fiche la paix, comme promis. Une paix cependant relative. Elle se sait surveillée, tout de même, elle n’est pas dupe. Ça l’agace, vraiment. Il pense quoi ? Qu’elle va se tirer en douce à la moindre occasion ? Non, Abel la tuerait probablement. Elle se tiendra à carreau, parce qu’il le faut, parce qu’elle compte bien honorer leur accord, même si elle a cette horrible sensation de n’être rien d’autre qu’un dommage collatéral. Non, elle n’a toujours pas digéré la pilule, elle subit le choix de son frère et d’Aaren plus qu’autre chose. Mais bon, tout le monde s’en contrefiche bien de toute manière. Jenna Rhodes et Archer Diggs, des transactions comme les autres.

Comme chaque matin, elle retrouve Suzy, une vieille brocanteuse, la seule personne qui semble l’apprécier. La seule aussi qui est au courant pour sa grossesse. Elle a deviné dès le premier coup d’œil et avant même qu’elle ne puisse la contredire, elle lui a gentiment donné plusieurs herbes médicinales destinées à apaiser ses nausées. Plus que quinze jours et elle entame son deuxième trimestre. Quinze jours à subir et les nausées disparaîtront, normalement. « Merci, Suzy. J’ai hâte d’arriver au bout de ce premier trimestre. » Elle accepte sans tarder le mélange froid à base d’anis et de fenouil, tandis que la vieille dame pose une main bienveillante sur son épaule. Parfois, elle se demande comment est-ce qu’il est encore possible qu’une femme aussi compatissante qu’elle soit encore en vie. C’est rare de nos jours. « Profite tout de même un peu, ça file tellement vite. » Elle sourit. Profiter, c’est plus compliqué qu’il n’y parait. Elle est toute seule, dans un endroit qui lui semble hostile, sans ses proches, sans Cirilla. Qu’elle a déjà hâte de revoir son amie. Alors qu’elle termine de boire le mélange sucré, elle ne manque pas de remarquer la présence de Zed. Comme toujours. Fidèle à son poste. Il est probablement son espion/garde du corps attitré. Elle ne l’a jamais confronté, du moins pas encore, mais aujourd’hui elle compte bien y remédier. « Merci encore Suzy. » Elle s’éloigne, la gratifiant d’un sourire reconnaissant et sincère, avant de jeter un regard assassin à Zed, posté un peu plus loin. Trop c’est trop.
Lorsqu’elle arrive à sa hauteur, il semble un peu penaud. Pas étonnant en soi. « Toi, encore. » commence-t-elle sur un ton pour le moins irrité. Elle ne peut pas continuer comme ça, elle en marre de le voir collé à ses basques. « Fais-moi plaisir et passe le message suivant à Ren : je ne compte pas m’enfuir, pas besoin de me coltiner un de ses larbins bien dressé mais pas du tout discret. » Pas discret pour un sous même. Elle déteste ce sentiment d’être épiée, suivie. « Tu devrais vraiment penser à retravailler ta technique de filage, Zed. » Oui, elle le connait, du moins, elle connait les informations que Suzy a bien voulu lui révéler. Elle sait qu’il est fidèle à Ren, qu’il s’agit d’un chef de zone. De maigres informations mais tout de même, c’est déjà ça.

C’est pour ton bien. Elle en a ras-le-bol d’entendre cette phrase à longueur de temps, surtout de la part d’inconnus. Comme si elle était incapable de décider d’elle-même ce qui est le mieux pour elle ou non. Souvent, elle a l’impression d’avoir dix ans, d’être considérée comme une môme inconsciente sur laquelle il est impératif de garder un œil. Alors que non. Non, ce n’est pas le cas. Elle sait se défendre, elle sait ce qu’elle fait, elle n’est pas stupide. Comme tout le monde, voilà désormais sept ans qu’elle survit à cette fameuse fin du monde qui semble s’éterniser de jour en jour. Conclusion : elle n’a besoin de l’aide de personne et encore moins d’un garde du corps qui la poursuit comme son ombre. C’est vraiment agaçant, sans parler du peu de confiance que lui accorde Aaren, rien que d’y penser sa mâchoire se contracte d’irritation. Ça lui manque, le ranch (et l’eau chaude). Les sourires de Chloe. Les matinées avec Silas. L’impudence de Cirilla. Caden et son petit air moralisateur. Et même, les remarques piquantes d’Abel, c’est dire. Elle soupire. Franchement, les semaines risquent d’être longues, d’ici là, elle sera probablement devenue cinglée à force de trainer constamment auprès de ces vieux marchands aigris qui ne semblent pas l’apprécier outre mesure. Pas étonnant en soi. Le nom " Rhodes " n’est pas connu pour réchauffer les cœurs, loin de là.
« Peut-être que tu agis pour mon bien comme tu le dis, mais avant de penser à moi, tu devrais plutôt songer à ta propre santé mentale. » rétorque-t-elle, sourire malicieux rivé aux lèvres. Ce qui est certain, c’est qu’elle compte bien le faire tourner en bourrique jusqu’au moment où il finira par abandonner complètement l’idée de garder ne serait-ce qu’un œil sur elle. Il ne sait pas encore à qui il se frotte, du moins pour l’instant. Peut-être qu’elle l’a finalement trouvé sa nouvelle distraction ; rendre chèvre cet infortuné Zed Hendrix. Elle l’observe un instant, sans se départir de son attitude mutine. Il ne semble pas bien méchant ni féroce. Insupportable et exaspérant, ça, oui, c’est certain. « Où est-ce que tu m’accompagnes ? » s’étonne-t-elle, tout en faisant abstraction de sa remarque vis-à-vis de Suzy, moins il sait, mieux c’est. Elle n’a pas du tout envie qu’un des horripilants sbires de Ren découvre sa grossesse avant qu’elle ne sache avec certitude ce qu’elle compte bien faire quant à la question de dévoiler – ou non - la paternité du bébé. Elle est encore dans le flou concernant ce sujet, le flou total même. « Parce qu’il y a des endroits intéressants à découvrir dans le coin ? » Dernièrement, elle n’a fait que se balader entre les échoppes et les tentes, s’ennuyant ferme et attisant les regards noirs. « Eh bien, puisque je dois manifestement te supporter et que je n’ai pas mon mot à dire là-dessus, autant profiter de ta connaissance des lieux. Dis-moi, qu’est-ce qu’il y a de trépidant à faire dans le coin, histoire de tuer le temps ? » À défaut de se montrer réellement pertinent en tant que garde du corps supposément discret, autant qu’il se montre utile d’une autre manière. Et qu’on se le dise, elle en a plus qu’assez de se tourner les pouces et de tuer l’ennui à coup de siestes improvisées. Elle n’aura jamais autant dormi en sept ans, elle doit avoir un teint radieux, c’est déjà ça. Elle le vrille de ses prunelles émeraude alors qu’il semble un peu surpris, dans l’espoir de se voir proposer une proposition alléchante ou du moins ne serait-ce qu’un minimum divertissante. Ça doit bien exister, non ?