cheap thrills (jenna)

(LIFE SUCKS AND THEN IT GETS BETTER, AND THEN IT SUCKS AGAIN, AND THEN IT JUST SUCKS)

Glacial. C’est le mot idéal pour définir l’ambiance qui règne dans la pièce. Voilà presque sept ans qu’elle n’a plus assisté à une réunion familiale, autant dire que ça ne lui a pas vraiment manqué. « Votre comportement a été inacceptable. Il va falloir trouver un terrain d’entente entre vous. » Déclare Abraham, patriarche de la famille Rhodes. Inacceptable, le terme est encore faible. Refuser l’entrée du ranch à sa propre sœur et ce, durant de longues semaines, c’est bien plus qu’inacceptable. Tandis qu’elle se renfrogne immédiatement à l’idée d’avoir un semblant de conversation avec ses frères, Abel de son côté décide tout simplement de l’ignorer, telle une chose insignifiante, sans compter sur Caden qui préfère la fixer avec un certain dédain non dissimulé. Jenna ne comprend vraiment pas comment son départ a-t-il pu impacter autant sur ses frères, au point de détruire toute notion de " famille ". « De toute façon puisqu’elle est là maintenant, il va bien falloir faire avec. » répond Caden sur un ton se voulant méprisant, ce qui lui vaut sans tarder un regard froid et hautain de la part de sa sœur. Elle serre les poings, à défaut de pouvoir lui mettre une bonne droite totalement méritée. « Il me semble que j’ai des droits sur le ranch tout autant que vous. Ma présence est justifiée. » Malgré le calme apparent que sa voix exprime, elle bouillonne intérieurement. La situation est tout simplement incompréhensible, elle l’était déjà autrefois, couper les ponts a été une décision excessive à ses yeux, mais elle ne pensait pas une minute que les retrouvailles seraient aussi… algides. C’est facile de dire ça quand on se pointe après sept ans d’absence. » Décidément Caden n’en rate pas une, songe-t-elle avant de jeter un coup d’œil en direction d’un Abel toujours aussi inexpressif. « Ça suffit ! » s’écrie Abraham dont le poing se cogne avec fracas contre la vieille table en bois. Elle sursaute, prise de court, elle avait oublié ce à quoi peut bien ressembler son père en rage. « Nous sommes une famille. Par les temps qui courent la famille est tout ce qui importe, vous ne pouvez compter que les uns sur les autres alors que les morts se relèvent ! » Tandis que le patriarche quitte les lieux furieux et excédé, le silence s’installe, et pour la première fois depuis son retour, ses pupilles croisent enfin celles d’Abel. L’amertume, c’est tout ce qu’elle y discerne.  

« C’est d’accord. » Jenna fronce les sourcils, perplexe, ignorant la main tendue de Ren Diggs. C’est trop facile, beaucoup trop, songe-t-elle en ne quittant pas des yeux son interlocuteur. Négocier avec le roi de la carrière n’a jamais été chose évidente, pourtant il est rare de la voir repartir bredouille, on ne résiste généralement pas longtemps à ses arguments ou à son visage faussement innocent. Ren a cependant immédiatement vu clair dans son petit manège, d’où les nombreux refus qu’elle s’est donc vu essuyer. « Si j’avais su qu’il suffisait de sauver une de vos progénitures pour obtenir vos faveurs, je l’aurais fait bien plus tôt. » répond-t-elle toujours aussi surprise, tout en lui serrant la main, signe que l’échange est bel et bien conclu. Cela n’aura jamais été aussi simple qu’aujourd’hui, c’est Abel qui risque d’être ravi, peut-être se montrera-t-il par conséquent moins dur envers elle, enfin ça reste encore à voir, rien n’est jamais gagné avec l’ainé des Rhodes. « Et j’aurais encouragé son insubordination plus tôt, si j’avais su… » rétorque-t-il, la main toujours enserrée autour de celle de Jenna. Cette dernière a d’ailleurs perdu toute sa superbe en une fraction de seconde, cela fait des lustres que ce n’était plus arrivé. Elle a habituellement toujours le contrôle de la situation, excepté aujourd’hui. Déconcertée, c’est le mot. Elle hésite entre plusieurs réactions : l’hilarité ou la stupéfaction. Au final, c’est la dernière qui prime. « On se revoit bientôt. » conclut-elle d’une voix faussement assurée en se dégageant de l’emprise de Ren. Pas question qu’elle lui montre tout signe de stupeur ou de trouble. « Je serai sans aucun doute au rendez-vous. » se contente-t-il de répondre. Qu’est-ce qu’il lui prend à celui-là au juste ? Tandis qu’elle tourne les talons, elle sent son regard inquisiteur s’attarder sur ses courbes. Est-ce qu’il s’est vraiment passé ce à quoi elle songe ? Était-il vraiment en train de tenter une tactique de drague tout aussi douteuse que celles de sa fille à son égard ? Soudain, une évidence la frappe de plein fouet : elle est décidément complètement rouillée pour ce genre de chose (et lui aussi semble-t-il).

Vingt-deux. Cinq hommes, des violeurs en puissance, une flèche par tête. Une femme, mordue férocement au niveau de l’abdomen, une balle dans la tête. Un adolescent, jeune pilleur ayant volé des armes au ranch, incision nette et précise au niveau de la gorge. Trois jackals, première intrusion dans l’enceinte du ranch, une flèche en pleine poitrine, une autre traversant l’œil droit, une dernière au niveau de la tempe. Un solitaire, rencontré lors d’un raid en ville, un homme lambda, coup de couteau dans la carotide. Une mineuse, mésentente avec Abel, une indésirable à ses yeux, une flèche dans le cœur. Quatre jackals, deuxième intrusion au sein du ranch, une balle par tête. Six jackals, attaque du centre commercial, cinq flèches mortelles, deux coups de couteau, un dans l’estomac et l’autre au niveau de l’artère fémorale. Le compte est bon. Elle referme son carnet, servant il y a de très nombreuses années de cela de journal intime, et dépose son stylo sur le bureau en bois massif. Elle a parfois l’impression de ne pas se reconnaître lorsqu’elle relit ces annotations, ça ne peut pas être elle, c’est forcément une autre personne, et pourtant… Le pire ce sont les regrets, les regrets inexistants, elle n’éprouve rien, ou en tout cas elle n’éprouve désormais plus rien. Est-ce que c’est normal de ne plus rien ressentir ? Est-ce que ça fait d’elle une sorte de monstre sans état d’âme ? Parfois, l’idée que le monde se porterait mieux sans elle lui traverse l’esprit.
Mise à jour du carnet, septembre 2017. Encore aujourd'hui, alors qu'elle reprend le stylo, cette idée, l'idée de disparaître de la surface de la terre, la fait tanguer. Dix de plus. Ils sont trente-deux maintenant. Ce qui la pousse à poursuivre, à ne pas basculer complètement dans la folie ? Sa fille, Lou, son tout.