aut Caesar, aut nihil (abel)

+ there's before...
Il est dit que les premières années conditionnent l'enfant et sèment les premières graines de ce qu'il deviendra à l'âge adulte. Pour Abel, c'est un fait amplement vérifié : chouchouté, traité comme un cadeau du ciel, il grandit sans avoir spécialement à se soucier de quoi que ce soit. Son éducation n'en est pas négligée pour autant : fils de fermier, il se doit de savoir faire autre chose que rester assis derrière un bureau à longueur de journée. Alors très tôt, on lui apprend qu'il n'est pas en sucre et qu'il doit mettre la main à la pâte au même titre que tous les autres. « Si tu veux mériter ta place à la tête du domaine familial, tu dois savoir faire tous ce que les autres font. » Et les incapable ne font jamais long feu. De ce côté-là, le jeune Abel comprend vite que les règles sont strictes : la famille c'est sacré, certes, mais à la condition de pouvoir y prouver son utilité en son sein. Et la tolérance ne dure que le temps de l'enfance.
Ses années d'études passent sans rien receler de mémorable. Abel n'est ni l'intello de la classe ni celui qui porte le bonnet d'âne : pas spécialement intéressé par ses cahiers, il se contente du strict minimum pour valider ses classes sans rencontrer de problème ni jeter l'opprobre sur le nom de sa famille. Garçon plutôt populaire, il montre en revanche tout de suite plus d'intérêt pour les fêtes, les filles – Peyton en particulier – et l'alcool. Ce dernier ne manque d'ailleurs pas de révéler une facette de sa personnalité : la violence. Peur surprenant en soit, venant de quelqu'un qui déteste avoir tort ou être contredit. Pour peu que son égo soit posé sur le tapis, monsieur a le poing facile, s'agit de défendre un minimum son honneur tout de même. C'est néanmoins un chapitre de sa vie qui se clôture rapidement : jugeant plus intéressant l'expérience des travaux réels aux diplômes sans valeurs que l'on obtient à force de traîner son cul sur les bancs d'école, Abel ne perd pas son temps après avoir passé le seuil de l'enseignement obligatoire et décide plutôt de rester au ranch de Crimson Valley afin d'apporter sa contribution à la gestion de ce dernier.

2008 marque l'un des deux tournants décisifs de son existence. Non pas du fait de son mariage mais plutôt et surtout pour la naissance de Silas. Homme sans réelle attache sentimentale, Abel enchaîne les histoires sans faire d'effort pour se comporter en compagnon idéal. Elisa n'est pas plus spéciale à ses yeux qu'une autre et pourtant, lorsqu'elle lui annonce sa grossesse, il ne peut se résoudre à simplement regarder ailleurs: déjà trentenaire, l'occasion d'être père semble trop belle pour qu'il la laisse filer entre ses doigts. Alors il joue le jeu, décide de l'épouser et l'installe avec lui sous le toit familial. L'heureux évènement est annoncé peu de temps après, l'illusion est bien faite et berne tout le monde.
Sauf que plus les mois passent et moins Elisa supporte Abel. Passé le petit nuage rose entourant la naissance de Silas, l'union s'effrite et le couple se déchire, elle l'accuse d'accorder plus de temps à ses chevaux qu'à elle, il lui reproche de n'être qu'une bouche inutile tout juste bonne à gérer un marmot et passer ses journées à paresser. S'ils essayent au début de recoller les morceaux et faire comme si de rien n'était, il apparaît assez rapidement que les efforts sont vains : les disputes se rapprochent jusqu'à devenir monnaie courante et la violence des propos échangés amène la conclusion logique de leur histoire vouée à l'échec. Malheureusement pour Abel, Elisa est bien loin d'être aussi stupide et incapable que ce qu'il affirme dans ses moments de colère et le divorce menace grandement de tourner en sa défaveur.
Nous sommes alors en 2010 et le chaos qui submerge le monde lui sauvera bien la face.

+ and then there's today :
Quand l'humanité se déchire la gueule et devient ingérable, c'est généralement le moment où l'on s'aperçoit qu'il est plutôt appréciable de vivre en dehors des grandes villes et du tumulte apocalyptique qui a pris les boulevards d'assaut. De fait, s'il a été particulièrement difficile de croire aux informations et au portrait inquiétant qu'elles dressaient, les Rhodes ont bien eu le temps de voir venir entre le commencement de la maladie et la précipitation des nations dans l'anarchie.
Dès que l'épidémie commence à prendre des proportions un peu trop importantes à son goût, Abel se rend au domicile de son ex-épouse, fermement décidé à récupérer Silas quoi qu'en disent les règles établies lors du divorce : il est persuadé, à juste titre comme le futur se chargera de le prouver, que le gamin sera plus en sécurité avec lui. Parfaitement conscient que la police a d'autres chats à fouetter en ces temps perturbés, il se fiche bien de briser un interdit en ôtant de force le petit à la garde de sa mère. Evidemment, Elisa ne se laisse pas faire et pour la première fois depuis le début de leur relation, la violence dépasse les mots. Le coup en trop, une perte d'équilibre… il suffit de bien peu de chose pour créer un drame. Abel, encore sous l'emprise de la colère, ne réalise pas qu'il vient de franchir une limite en levant la main sur elle. Il embarque Silas, heureusement encore trop jeune pour réaliser pleinement ce qui vient de se passer, et vide les lieux en laissant derrière lui son ex-épouse inconsciente.
L'annonce du décès d'Elisa atteint Crimson Valley trois jours plus tard à travers un fouillis de nouvelles toujours plus sombres. Si quelques regards inquisiteurs se tournent vers l'aîné des Rhodes, celui-ci reste muet sur ce qui est arrivé là-bas. Bien qu'il soit convaincu n'être pas responsable de sa mort – psychologiquement, il n'est pas tout à fait prêt à assumer la signification d'un tel acte, encore moins ses répercussion –, il ne clame pas non plus son innocence à qui veut bien l'entendre. Parce qu'à l'idée qu'il puisse être un meurtrier, les employés du ranch se prennent à le craindre et il se rend compte Abel, il réalise que ça lui plaît.
La justice n'ouvre pas d'enquête, bien trop occupée pour se soucier d'un énième décès qui lui tombe sur les bras et bientôt la nécessité de fortifier le ranch détrône le sujet d'Elisa dans les conversations. Sous les directives d'Abel, la communauté restreinte qui travaille et vit sur place s'active afin de mettre en place une structure plus sécuritaire et progressivement faire de Crimson Valley ce qu'on en connait à ce jour.

A travers les années qui passent dans un climat guère décidé à s'améliorer, Abel s'endurcit et s'érige en leader incontestable – et surtout incontesté : car celui qui ne voulait naguère pas songer à l'éventualité d'avoir tué une personne a maintenant un sacré palmarès à sa charge. Or s'élever contre lui, c'est courir le risque de se rajouter à la liste, d'aucun en ont d'ailleurs publiquement fait les frais. Passé la réticence et l'horreur d'avoir à éliminer les premiers rôdeurs, parfois des connaissances horriblement défigurées, il ne devient plus si dur d'appuyer sur la gâchette. La loi du plus fort exprimée dans son plus bel exemple : tuer ou être tué. Inutile de préciser qu'il ne compte pas entrer dans cette seconde catégorie de sitôt, il ne se plait finalement pas si mal dans cette organisation post-apocalyptique où tous les coups sont permis et où il a pris plus d'importance qu'il n'aurait pu en rêver dans un monde sain.