Negociación | Ft.Abel

Quand on lui disait non, elle aimait bien répondre pourquoi. Elle aimait bien observer la réaction des gens, elle arrivait à voir quand quelqu’un ne savait pas quoi répondre, et c’était précisément le cas avec ce lieutenant Rider. Il avait balbutié deux trois trucs avant de terminer sur un je n’ai pas l’autorité pour décider ça. Ça ressemblait à une excuse ça, mais à une mauvaise excuse. L’autorité hein. Et bien elle irait directement voir avec el jefe alors, et si lui avait une bonne raison de lui refuser une place dans le raid de ce matin, peut-être qu’elle l’écouterait. Peut-être.

Des gens préparaient les chevaux, les courageux hommes et femmes choisis pour accompagner le chef s’équipaient lourdement, tandis qu’Ana se frayait à un chemin à travers tout ce capharnaüm, bien décidée à questionner Abel en personne. Elle le trouva à côté de sa monture avec laquelle il se montrait particulièrement soigneux. Encore un qui aimait plus les bêtes que les hommes, mais pouvait-on seulement lui en vouloir ? « Je n’suis pas contente, jefe. » déclara-t-elle en se rendant compte que c’était seulement la troisième fois de sa vie qu’elle lui adressait la parole. Elle croisait les bras et cherchait le regard d’Abel, mais celui-ci était encore dirigé vers sa monture. « Personne ne semble être capable de me dire pourquoi je ne peux pas venir avec vous tous, là. » Pour quelle raison ? La confiance ? Elle était encore récente ici, et ce n’était pas avec le peu d’interaction qu’il y avait eu avec le reste du clan depuis son arrivée qui risquait d’améliorer les choses. Pourtant, les gens avaient essayé de venir lui parler, lui souhaiter la bienvenue, ce genre de choses. Et peu à peu, ils ont préféré la laisser tranquille, peut-être même l’oublier. Qu’elle soigne et qu’elle ferme sa gueule. Mais c’était exactement ce qu’elle voulait.

Elle s’écarta pour laisser passer un grand gaillard entre eux qui se dirigeait vers un gros sac à dos rempli de munitions et regagna immédiatement sa place, comme s’il elle craignait qu’Abel en profite pour l’ignorer, s’enfuir et la laisser là. Sa relation avec le clan qui l’avait accueilli et son représentant en était encore au stade embryonnaire, il restait encore beaucoup de choses à accomplir pour être reconnue comme un membre utile au clan. Certes, elle avait déjà pu soigner & arranger des gus, elle s’était montrée utile, mais on la dévisageait encore, on était pas encore trop sûr ni même tout à fait serein à ses côtés. Pourquoi était-elle là ? D’où venait-elle ? Pourquoi tirer cette tronche à longueur de journée ? Sur le plan professionnel, il n’y avait rien à redire, elle savait soigner les gens. Mais sur le plan humain, tout était encore à construire. « Je peux me battre. C’est ça qui inquiète ? Que je ne sache pas me débrouiller ? Me défendre ? »

Il aimait bien ça, l’ambiance effervescente qui régnait avant chaque départ en raid, le bruit, les chevaux qui renâclaient et piétinaient sur place, les cavaliers qui faisaient les vérifications de dernière minute avant le grand départ. Cette bouffée d’excitation mêlée à une légère appréhension qui agitait tous ceux qui s’apprêtaient, et savoir qu’on allait pas venir lui casser les couilles pour des conneries durant tout le temps où il serait à l’extérieur. Son équipe personnelle de raiders n’était pratiquement constituée que de cavaliers qu’il connaissait bien, rodés aux dangers de l’extérieur et à qui il savait pouvoir se fier en toutes circonstances. Et c’était là où il se sentait le mieux dans son élément, parmi ces hommes et femmes qui ne passaient pas leur temps à le gaspiller et savaient obéir efficacement à un ordre à l’instant où celui-ci était formulé.
La voix s’éleva dans son dos alors qu’il s’assurait une dernière fois de l’état global du harnachement, résidu de paranoïa qui redoutait toujours une sangle sciée ou n’importe quel morceau de cuir sciemment saboté et susceptible de craquer au pire moment mais il n’y prêta d’abord pas la moindre attention. Pas contente, hé ? Grand bien lui fasse, et puis il avait autre chose à foutre que de jouer au bureau des plaintes. Sauf que de se faire ignorer ne sembla pas décourager la nouvelle venue et tandis qu’il continuait de vaquer à ses affaires, une partie de son attention continuait de percevoir la présence plantée derrière lui et qui n’avait pas bougé d’un poil. L’agacement se traduisit dans ses gestes un peu secs quand il se retourna vers elle alors qu’elle s’adressait de nouveau à lui, et son regard se planta dans celui d’Ana avec une contrariété qu’il ne chercha même pas à masquer. Ils avaient un timing à respecter, un impératif horaire s’ils ne voulaient pas se retrouver à passer la nuit dans un endroit inadéquat et la dernière chose qu’il avait envie de faire alors qu’ils n’étaient guère qu’à quelques minutes du départ, était d’avoir à gérer ce genre de crise. « La question devrait même pas se poser, il rétorqua. C’est pas ton taff et je suis sûr que t’as autre chose à foutre que de traîner dans nos basques. » Définitivement pas le bon moment pour venir râler. Sauf que son interlocutrice était têtue. Foutrement butée puisqu’elle n’en était pas à sa première tentative et qu’on lui avait déjà rapporté à quelques reprises ses tentatives jusqu’alors infructueuses pour se joindre aux expéditions. S’il ne s’en était jamais vraiment soucié jusqu’à présent, partant du postulat qu’elle finirait par se lasser face à un sempiternel refus, il semblait bien ne plus avoir le choix à présent puisque l’infirmière s’en venait lui porter sa requête jusque sur ses propres genoux. « Je prend pas en extérieur quelqu’un comme toi Abel décréta, catégorique. Je m’en fous que tu sois capable de te défendre ou pas. Tout le monde sait se battre. » Du moins, en théorie. Fallait bien se douter qu’après huit ans dans un monde de merde, tous ceux qui n’étaient pas encore morts étaient un minimum débrouillards, non ? Et elle, elle avait rien d’une planquée, bien au contraire. Il croyait bien volontiers ce qu’elle lui disait quant à ses capacités, mais c’était pas ça le problème. Le problème, c’était qu’on la connaissait pas. Alors comment on se laissait couvrir par quelqu’un dont on ne savait pas sa valeur ? « Ça veut pas dire que tout le monde est capable. Toi, tu vas nous ralentir, et j’ai pas besoin d’un boulet dans mon équipe. T’es mieux utile ici. »

Plus que n’importe qui d’autre dans ce clan, c’était son représentant, Abel, qui avait immédiatement attiré son attention. Le chef impitoyable n’était pas un homme facile à vivre, mais pour Ana, c’était une qualité plus qu’autre chose. Si au début de cette conversation elle pensait qu’elle allait être ignorée, Abel se ravisa et récita un discours que la Mexicaine avait trop entendu. L’infirmière décroisa les bras et soupira. « Des taffs ? On est… coincés dans des cases alors ? En arrivant j’ai dit, je peux soigner des gens, alors je dois faire que ça ? Je croyais que plus les gens touchaient à tout, plus c’était intéressant… Pour l’intérêt du groupe… » dit-elle en grommelant. Quelque chose lui faisait croire qu’Abel ne lui disait pas tout : ça ne lui semblait pas être une raison suffisante.  Non, le chef des riders n’était pas du genre à choisir des arguments aussi facilement réfutables.

Ça la démangeait : Ana voulait tuer de l’infectés. Coller une balle dans la tête à ces rampants décrépis, les voir s’effondrer au sol puis sentir et entendre leurs derniers râles nauséabonds. La dernière fois remontait à trop longtemps, c’était une femme d’action et l’action manquait à l’infirmerie. Un autre argument fit son apparition : qu’est-ce que cela voulait dire exactement, quelqu’un comme elle ? S’agissait-il du fait qu’elle soit une addition encore trop récente au sein du clan ? Dès lors, il était difficile de contrer le postulat : elle n’avait pas le pouvoir de faire accélérer le temps ou d’alterner la mémoire des autres pour leur faire croire qu’elle avait rejoint les riders depuis plus longtemps. Elle était neuve, un point c'est tout. Elle ne prit pas la peine de répondre, elle se contenta de soupirer et de râler. Presque tout le monde savait se battre, certes. Mais tout le monde n’en avait pas la possibilité. Que ce soit avec un pistolet, un fusil d’assaut ou une arme blanche, Ana savait se battre, mais là tout de suite, ses poings étaient liés par les chaînes de l’autorité.

D’ailleurs, ce fut à peu près ce qu’il dit peu de temps après, même si à priori, c’était plus l’expérience qui était remise en cause. Oh, s’il savait comment cette femme s’était gorgée de sang pendant ces huit dernières années, s’il savait le nombre de cadavres qu’elle avait laissés derrière elle. Infectés, humains, ils étaient nombreux à avoir péri sous ses bottes. Il avait reconnu qu’elle était utile ici : c’était fort appréciable, d’autant plus que ça venait de sa bouche et nul doute qu’il était habituellement assez avare en compliments. Mais malgré cela, ses suppositions exacerbèrent Ana. « Cabrón, qui a dit ça ? Qui a décidé ça ? Toi ? Je ne peux pas parler en mon nom, alors ? Si au moins tu m’avais laissé une chance, une seule, j’aurais rien dit. Mais là, c’est juste des supputations ! » dit-elle en haussant la voix. Ça s’agitait autour d’eux : ils allaient bientôt partir, ce n’était qu’une question de minutes maintenant. Ils allaient partir sans elle… « Donc… C’est non ? Sûr et certain ? » demanda-t-elle.

Les yeux roulèrent dans leurs orbites, évidemment que non elle n’allait pas gentiment fermer sa gueule et rebrousser chemin après ça, hein ?  « L’intérêt du groupe, c’est d’avoir quelqu’un en mesure de les soigner quand il y a besoin. Si tu te prends une bastos, je peux pas demander à n’importe qui de prendre ta place et tes compétences. C’est si difficile à comprendre que ça ? » Ça avait l’air en tout cas. Pour sûr qu’il pouvait pas la blâmer d’en avoir ras le cul de rester coincée dans un espace clôt avec des malades et des blessés geignards, mais y avait pas grand monde pour la remplacer si elle revenait blessée, ou ne revenait tout simplement pas d’ailleurs. Anselm suffisait à la tâche en période calme mais tout le monde savait par expérience que ce genre de périodes-là ne durait malheureusement jamais trop longtemps. Ainsi, l’arrivée d’Ana au ranch avait été un soulagement pour Abel, et une opportunité qu’il ne comptait pas gâcher stupidement sur un raid où elle pouvait caner bêtement au même titre que tous les autres. D’un point de vue purement pratique, il lui était toujours plus facile de faire former plus de raiders que de soigneurs. L’ironie d’un monde où tuer, piller et combattre était devenu tellement plus naturel que le reste…

L’insulte, il ne la releva pas, Dieu bénisse son ignorance parfaite de l’espagnol. Quoique l’intonation de l’injonction était assez dénonciatrice du sens de ce qu’elle venait de dire, et que son regard s’en trouva davantage durci en conséquence. Elle ne manquait pas de culot, Ana, et s’il n’avait d’ordinaire pas grand problème avec ça, cela en devenait un lorsqu’il s’agissait de lui en face, et surtout alors qu’il n’avait pas la patience nécessaire pour ça. « Tu te prends pour qui au juste, Ana ? il rétorqua sur un ton sec, parlant par-dessus elle et couvrant sa question dans le même temps. Écrase. Tu crois que je prends mes décisions sur des putains de supputations, hein ? Tu crois vraiment que j’ai que ça à foutre ? » L’agacement était franc, mais la colère se gardait encore, dans l’immédiat, de venir emporter ses mots et les gonfler d’une voix trop forte. Quoi qu’à ce rythme, il était envisageable que cela ne tarde plus guère… « Sur le terrain, ils te connaissent pas. Son bras décrivit un très bref arc de cercle, désignant d’un geste rapide les quelques cavaliers affairés aux dernières préparations à côté d’eux. Tu sais pas comment on opère. Ils savent pas s’ils peuvent te faire confiance. Et tu voudrais que je mette leur vie en danger pour te laisser une chance ? » Hors de question, alors que le danger était déjà omniprésent où qu’ils aillent. Ses convictions au sujet de la place de l’infirmière ne risquaient pas d’être ébranlées aussi simplement que ça.

Elle pouvait difficilement faire celle qui était surprise : il aurait sans doute réponse à tout Abel, c’était quelque chose d’obligatoire pour un leader. Si Ana comprenait parfaitement ce qu’il exprimait, elle n’était, en revanche, pas d’accord avec lui. Les Crimsons Riders avaient survécu sans elle, nul doute qu’ils avaient toujours réussi à se débrouiller, nul doute que dans l’urgence, on essaye d'improviser et de se débrouiller pour extraire une balle comme on peut avec une bouteille d’alcool et en serrant les dents. D’ailleurs, ce n’était pas bien loin de ce qu’elle faisait elle lorsqu’il fallait justement effectuer ladite opération. « Et l’intérêt d’avoir quelqu’un de disponible pour soigner un raider en sortie qui pourrait mourir le temps de revenir au camp ? » dit-elle plus curieuse que factieuse. Ça pouvait être une bonne idée mine de rien, mais en effet, elle ne pouvait pas être à plusieurs endroits en même temps. Autant, avec un autre infirmier disponible pour le clan, Abel aurait accepté qu’elle puisse les suivre et cette discussion n’aurait même pas eu lieu.

La gestuelle, le comportement et le ton d’Abel lui rappelaient un gardien de la prison pour hommes adjacente à celle pour femmes ;  un homme dangereux, qui n’avait peur de rien et qui allait jusqu’au bout de ses convictions. Sa seule présence imposait le respect et même la crainte, c’était un allié de choix et c’était pour cette raison que les gardiennes de fers l’avaient gardé en vie. Partant de ce principe, c’était donc logique de vouloir Abel comme un allié. Mais cela risquait d'être un processus relativement long et houleux. « Je te prends pour quelqu’un qui rate une opportunité…  dit-elle sèchement en grinçant des dents. Je ne crois rien, juste, je vois. » acheva-t-elle en faisait la moue. Pas besoin de réfléchir trop longtemps pour se rendre compte qu’elle n’allait pas dans son sens, qu’elle ne lui disait certainement pas ce qu’il avait envie d’entendre et qu’elle risquait très certainement de l’énerver. Grand bien lui fasse, Ana n’accepterait pas non comme réponse.

L’observation d’Abel était juste : ils ne la connaissaient pas, personne ne la connaissait et cela était important pour la confiance, un mot qui semblait lui tenir à cœur à Abel. Mais pour la Mexicaine, la confiance, c’était juste une arnaque pour mieux tromper, mieux trahir. Dans le clan, Ana ne parlait pas ou presque pas, elle ne disait rien sur sa vie, rien sur son passé, parce qu’elle ne voulait rien laisser aux autres qu’ils puissent utiliser contre elle. Ana suivit le mouvement du bras d’Abel et observa les hommes et femmes qui selon lui, brillaient par l’expérience acquise en travaillent ensemble. « Je suis meilleure que chacun d’entre eux réunis. » déclara-t-elle le plus sérieusement du monde, plantant alors son regard noir dans les yeux clairs du leader impassible.

« Ils connaissent les risques, il balaya la répartie d’Ana d’un ton un peu dédaigneux. C’est leur taf de risquer leur vie pour ceux qui restent ici. Ils se sont portés volontaires pour ça en connaissance de cause. » Mais le temps passait, et Ana restait là avec toujours cette même obstination qui débordait de ses yeux noirs, de son attitude, sa gestuelle. Un temps précieux, un temps qu’Abel n’avait pas prévu sur son planning. Il aurait pu la planter là, ordonner le départ et faire avorter cette confrontation mais si l’infirmière était têtue, Abel ne valait guère mieux. Partir et la laisser en plan, c’était accepter ne plus avoir d’argument. Accepter de la laisser gagner.
Et la laisser seule comme une conne devant le départ du groupe, certes. Mais le point n’était plus là désormais.

Abel failli manquer d’air devant l’affirmation – une de plus – que sa foutue interlocutrice lâcha quant à ses capacités. La surprise passa comme un éclair bref dans ses yeux tandis qu’un sourcil se haussait et qu’il réalisait, une fois de plus, que son culot dépassait allègrement les bornes. Une petite voix au fond de lui lui souffla, moqueuse, que le leader des cavaliers ne récoltait après tout que les survivants qu’il méritait… mais c’est un reniflement de mépris qui s’échappa face à la remarque, tandis qu’un rictus sans joie étirait brièvement un coin de sa bouche.
Puis, il réalisa qu’il avait perdu.
Si Ana ne connaissait pas suffisamment les raiders de son équipe pour se permettre de lâcher une telle connerie, Abel lui en revanche n’en savait pas assez à son sujet pour pouvoir en retour affirmer avec une certitude absolue qu’elle avait tort. Balancé de la sorte, c’était un défi. Et parmi les nombreuses choses auxquelles l’ego et la fierté du cavalier étaient incapable de résister, se trouvaient placés en position de choix les défis. L’infirmière était imbuvable. Et venait de faire naître en lui une sale envie de la voir mordre la poussière et regretter ses propos. Une part de lui, sans aucun doute, restait encore intimement convaincue que la jeune femme n’avait pas réellement conscience du danger et de la cruauté que pouvaient comporter ce genre d’expéditions, tout particulièrement celles qu’il choisissait de mener personnellement.  

Un ange passa. Puis Abel s’anima brusquement, tourna les talons sans rien dire et l’air d’avoir, effectivement, décidé de la laisser là pour se concentrer sur plus urgent. A ceci près qu’il n’alla pas bien loin, parcourant à peine quelques mètres d’une foulée ample avant que sa main ne vienne se poser sur l’épaule d’un de ses hommes qui, pied à l’étrier, s’apprêtait à monter en selle. La pression de ses doigts sur l’articulation tira ce dernier vers l’arrière, le déséquilibrant suffisamment pour qu’il repose les deux pieds à terre. « Ton arme. Magne-toi. » Une poignée de seconde plus tard, Abel revint vers l’impertinente, rênes du canasson dans une main et le holster avec le flingue et les munitions dans l’autre. « Tout ce qu’ils te disent, tu obéis sans discuter. Tu me contredis une seule fois, tu ouvres ta grande gueule pour dire de la merde, tu prends une initiative en dehors de mes plans, tu fais la moindre connerie et je me charge personnellement de te faire regretter tout ce qui vient de se passer. Pigé ? » Il lui tendit le matos et le cheval, regard rivé sur elle sans la moindre trace de plaisanterie dans la voix.

Ils se sont portés volontaires en connaissance de cause… Mais Ana aussi se portait volontaire ! Et pourtant, il y avait toujours ce blocage, ce refus. La Mexicaine l’observait sans rien dire, sans même changer d’expression faciale, pour peu, on eût dit qu’elle ne comprenait pas ce qu’il lui disait. Mais, elle comprenait, elle comprenait tout et commençait un peu à désespérer. Elle réfléchissait déjà à quoi lui dire pour le faire changer d’avis, elle songeait à lui dire qu’elle allait quitter le clan pour en rejoindre un autre : d’autres auraient sans doute besoin de ses services, qu’est-ce qui l’obligeait à rester avec les riders ? Elle savait pourtant très bien que quitter le clan était encore plus dur que d’y rentrer…

Alors, sans prévenir, Abel changea drastiquement d’attitude, et ce peu de temps après l’affirmation franchement présomptueuse de l’infirmière. Elle se répétait mentalement les mots qu’elle venait de dire, remarquant seulement à ce moment à quel point ils étaient forts… C’était donc ça, la phrase miracle, c’était donc ça qu’il fallait faire pour avoir une chance de participer aux raids. L’attente fut longue, Ana interrogeait son supérieur du regard, elle savait très bien que ses prochains mots scelleraient son sort. Surprise par son geste, elle fut cependant rapidement rassurée lorsqu'elle le vit donner l’ordre à un cavalier de mettre le pied à terre. Le sourire aux lèvres, elle observait l’homme obéir sans broncher au chef de clan : il devait probablement se demander ce qui était en train de se passer… Peut-être même qu’il en viendrait à détester Ana maintenant qu’elle allait recevoir sa monture et son arme.  

À peine avait-elle reçu le petit calibre entre les mains qu’elle l'avait inspecté minutieusement, vérifiant le contenu du chargeur et le bon fonctionnement de la culasse, et même si elle n’en donnait pas l’impression, elle avait écouté avec attention les dernières directives d’Abel. « Pigé… dit-elle en installant le holster à sa ceinture. S’il arrive un seul truc de la liste que tu viens d’évoquer, j’te laisserai me tuer sur-le-champ… » déclara-t-elle sincèrement, elle voulait montrer que le message était passé, et qu’elle n’allait certainement pas foutre en l’air sa seule chance de participer plus régulièrement à des raids. Elle jubilait intérieurement : enfin, la possibilité de sortir du camp… Secrètement, elle espérait tomber sur une horde d’infectés ou pourquoi pas sur un groupe de bandits pour plus de fun… Tuer, enfin !

« Je n’ai jamais dit que j’allais te tuer rétorqua Abel, sarcastique. Mais oui, tu te laisseras faire… t’auras pas vraiment le choix de toute façon. Alors contente-toi juste de faire en sorte qu’on ait pas besoin d’en arriver là. » Cette fois, il la planta sur place pour de bon après lui avoir abandonné l’équipement du raider mis à pied pour s’en retourner vers sa propre monture. Quelques minutes encore s’écoulèrent avant que l’ordre de départ ne soit donné et la petite troupe s’ébranla comme un seul homme vers la sortie de la Crimson Valley. La route était longue jusqu’à leur objectif, et Abel tenait à parcourir une certaine distance avant qu’il soit l’heure d’établir le campement pour la première nuit à l’extérieur. Du temps, ils en avaient déjà bien assez perdus, et Dieu seul savait ce qui pouvait bien leur tomber dessus encore en cours de route. Enfin, Dieu, et les deux cavaliers partis en reconnaissance en avant du reste de la petite troupe…

Heureusement pour l’humeur d’Abel – et donc pour Ana –, nulle embûche ne se mit en travers de leur route jusqu’à ce qu’ils atteignent l’endroit décidé pour établir leur première halte, rien pour les retarder sinon un ou deux infectés de temps à autre, et dont le sort était réglé en un temps record.  L’avant-garde de l’expédition avait déjà commencé à préparer le terrain, établi quelques pièges basiques qui seraient aussitôt renforcés une fois tout le monde ayant pénétré à l’intérieur du périmètre de sécurité – une vieille grange en bordure de route. Le campement fut monté avec la rapidité de l’habitude, les tours de garde décidés et mis en place dans la foulée et puis la distribution des vivres, quelques éclats de conversations rapidement menées à leur terme une fois les repas finis avant que le calme ne prenne finalement ses aises : ils avaient encore du chemin à courir demain, alors mieux valait s’éviter de trop rogner sur ce qui leur était accordé de repos. Bientôt, le silence ne fut rompu que par  le bruit des bêtes et quelques ronflements, les heures passant simplement rythmées par la relève régulière des gardes.
Jusqu’à ce que l’un d’entre eux lâche, depuis le toit où il était grimpé, le signal d’alarme convenu en cas de présence humaine : ils n’étaient pas seuls. Hostiles ou pas, cela restait encore à déterminer, mais cela signifiait au moins qu’il fallait se tenir sur ses gardes. Et en silence.