Ciarán l'avait croisée aux alentours du Ranch, alors qu'il s'y rendait pour délivrer un message ainsi que quelques courriers qu'on lui avait gentiment mis entre les mains. Sa mission, à la base, était de s'occuper de la réception par les leaders des messages diplomatiques hautement importants qu'ils s'échangeaient ; mais au fur et à mesure de ses voyages, on lui confiait de plus en plus de correspondances personnelles, si bien qu'il lui aurait bientôt fallu une hutte pour les transporter : il penserait à rehausser ses tarifs. Alexandra s'était donc trouvée sur son chemin, et comme toutes les autres fois, Ciarán fut heureux de la voir. Elle lui avait proposé de se rencontrer quelques heures plus tard, dans un ancien relais routier dont ils avaient tous les deux la connaissance, sur le chemin qui menait à Austin. Il n'avait aucune raison de voyager par-là, mais l'endroit n'était pas loin et le détour ne lui ferait perdre que quelques heures, un délai négligeable sans compter qu'il n'avait pas reçu d'information majeure à transmettre de la part des Riders.
C'est donc dans un bon état d'esprit que Ciarán avait marché vers le lieu de rencontre. En y réfléchissant, la dernière fois qu'il avait planifié une activité avec un ami devait remonter à une soirée Olympienne en compagnie de Bass, plusieurs mois auparavant. Mais ces derniers temps, la pression qu'exerçait son meilleur ami et Dolores pour que Ciarán ne les rejoigne avait eu tendance à l'éloigner. Peut-être que la mort de sa soeur suivie de l'épidémie avait fait de lui un éternel nomade ; toujours était-il qu'Alex, au moins, ne le pressait de rejoindre aucun camp, et que sa compagnie promettait d'être réconfortante. Le soir tombait, et avec lui, quelques gargouillis grincèrent dans l'estomac du facteur des communautés. Il transportait dans son sac le gibier et les quelques carottes qu'on lui avait remis pour le remercier de ses services, des vivres qu'il se préparait à partager avec l'éclaireuse du Ranch.
Arrivé à destination, il dégaina son pistolet en prévention et entra dans le relais. L'endroit devait déjà être miteux avant l'épidémie : atmosphère imprimée d'humidité, on discernait des traces noires au sol, restes de sang séché depuis plusieurs années. Il s'avança : l'endroit n'abritait pas de rôdeurs, mais pour l'instant, pas non plus d'Alexandra en vue. La vue du billard fit sourire le baroudeur : ce n'était donc pas une légende ! La table semblait en bon état, les billes s'alignaient déjà sur le tapis vert et quelques queues reposaient contre le mur boisé. Ciarán fit tomber son sac à dos et s'affala dans un fauteuil : ses jambes, après plusieurs heures de marche, avaient besoin de repos. Il extirpa de son bagage la nourriture et la déposa sur la table qui jouxtait son siège en tendant le bras, sans prendre la peine de se lever : après tout, il avait aussi le droit à un peu de flemmardise. Au bout de quelques minutes, alors que Ciarán était occupé à tournicoter ses cheveux encore humides de l’eau de la rivière, il lui sembla entendre du bruit dans le bâtiment.
Alexandra Wright s'est levé très tôt ce matin-là pour faire du repérage dans un coin à proximité d'Austin. Elle poussa sa moto hors du campement sans un bruit. Ses petits camarades dormaient profondément et elle n'avait pas envie de les entendre gueuler dans leur cabanon. Se trouvant assez loin des dormeurs, elle enfourcha sa bécane et fit rugir le moteur. Elle était sur le point de partir à toute vitesse lorsqu'elle le remarqua au loin. Au début, ce n'était qu'une silhouette floue. L'éclaireuse plissa les yeux dans l'espoir de reconnaître l'individu qui s'avançait vers le ranch. Il lui a fallu quelques minutes avant de pouvoir discerner les traits du jeune homme. C'était Ciarán, le facteur des communautés, qui venait vers elle. Il avait sans doute un message à donner au leader des cavaliers et quelques mots pour d'autres personnes du domaine. Bien entendu, Alex ne s'attendait pas à avoir un message de qui que ce soit, elle n'avait pas d'ami à part quelques rares personnes et la plupart se trouvait au ranch. Ciarán était un ami également, mais il n'avait pas besoin de lui écrire des lettres pour lui parler. Très souvent, ils se rencontraient sans le vouloir. Chacun vacant à leurs occupations habituelles lorsque un événement inattendu leur tombait dessus. C'est ainsi que plus d'une fois, ils ont passé des heures coincés dans un abri à attendre que la voie soit libre. De ce fait, ils ont développé une amitié discrète. Or, aujourd'hui, il n'y avait pas de tempête, ni de horde de rôdeurs, juste deux jeunes gens qui avaient envie de passer un peu de temps ensemble, discuter des dernières nouvelles du coin. Voilà pourquoi, Alexandra proposa au carrière de la retrouver dans un endroit qui leur était familier entre le ranch et la ville d'Austin. Bien entendu, le jeune homme ne lui garantissait pas d'être là, tout dépendait s'il aura du courrier urgent à transmettre.
Pourtant, c'était lui le premier arrivé au relais routier. Alexandra arriva bien plus tard. Ses investigations avaient pris plus de temps que prévue. De plus, elle a constaté quelques hordes de rôdeurs qui quittaient la ville d'Austin. Néanmoins, ils ne se dirigeaient pas vers l'ouest, c'est-à-dire vers les quatre clans. Une fois qu'elle s'est bien assuré des directions prises par les mordeurs, la grande brune reprit sa moto qu'elle avait caché dans un buisson et se rendit à son rendez-vous. Elle n'était pas sûre de retrouver son camarade, mais de toute façon c'est là qu'elle devait passer la nuit. Elle avait dans ses sacs tout type de babioles récupérer pendant son excursion, ainsi que de l'alcool et des conserves. L'orpheline n'était pas convaincue que la nourriture soit mangeable, mais tout était bon à prendre dans ce monde. Elle verra bien ce qu'en pensera les experts. Pour l'heure, elle arrêta le moteur de son engin à quelques mètres du relais. Elle ne voulait pas attirer l'attention, car elle ne savait pas encore que Ciarán y était déjà. Pour éviter les mauvaises rencontres, elle devait se faire aussi discrète que possible. Se munissant de son couteau de combat dans une main et de son épée dans l'autre, elle fit le tour du bâtiment pour voir toutes les ouvertures possibles. Heureusement, les anciens habitants avaient barricadés les fenêtres et les portes. La seule ouverture était la porte d'entrée et Alexandra s'y engouffra avec prudence et aussi silencieuse qu'un chat. Elle vit blondinet affalé dans un fauteuil et le contourna pour être pile poil derrière lui. Elle n'était plus très loin de son camarade quand un rat est sorti de l'arrière salle et se précipita vers la sortie. L'éclaireuse n'y prêta pas d'attention et bondit derrière le messager en s'exclamant : « BANG ! » Toute souriante, Alex passa à côté du Gallagher et laissa choir son sac à dos remplit de bouteilles d'alcool à côté du fauteuil et alla examiner le billard de plus prêt. « Faut vraiment que tu te procures un véhicule. Un de ses quatre tu vas finir pieds nus à force d'user toutes tes chaussures. » Elle effleura le bois du bout de ses doigts et tourna la tête vers son interlocuteur avant de reporter son attention sur la nourriture. « J'espère que tu as faim. J'ai également ramené de la viande séchée, du maïs et quelques fruits. » Lança-t-elle en se cherchant un fauteuil à peu près en bon état dans le fond de la salle qu'elle traîna jusqu'à la table où était Ciarán. Ensuite, elle attrapa la lanière de son sac et en extirpa tout ce qu'elle vient d'énumérer, ainsi que quelques bouteilles de whisky.
Confortablement assis dans son fauteuil, l'Irlandais n'avait pas l'intention de bouger jusqu'à ce que sa camarade de sentier se montre. Il appréciait de se déplacer à pied de temps en temps, mais avait clairement perdu l'habitude de cet effort physique permanent depuis qu'il empruntait les chevaux du Ranch pour ses missives. Il s'était redressé en entendant ce qu'il croyait être un bruit de pas, mais fut plus que satisfait de se renfoncer dans le cuir accueillant après avoir constaté, une fois de plus, la vacuité des lieux. Mais alors que sa main retrouvait ses mèches à moitié démêlées, un fracas déchira ses oreilles et l'homme bondit de son siège. Une attaque ? La mort imminente ? Un timbre... humain et familier. Il devina la source de sa mini-crise cardiaque avant même de l'apercevoir : Alex, qui s'était glissé derrière lui sans qu'il s'en rende compte. «Putain de merde», lâcha-t-il, désorienté. Intrigué de ne pas avoir entendu les vrombissements de la moto, il conclut avoir été trop absorbé par ses pensées, un trait de caractère qui était devenu son plus gros défaut après l'apocalypse. «Tu veux ma mort ?», questionna-t-il, souriant tout de même au bruit très reconnaissable des bouteilles d'alcool qui s'entrechoquent dans le sac touchant terre.
Alex avait l'air fière de son coup. Tu m'étonnes. Il répondit à sa remarque sur ses semelles, dont l'état laissait effectivement à désirer. «Tu dates. C'est avec tes poneys que je me déplace, maintenant, mais là je me sentais à marcher, pour une fois», fit-il avec un clin d’œil non justifié. Bien que cela fût très tentant, le messager renonça à retrouver le confort de son fauteuil de cow-boy et préféra rejoindre la table, où sa camarade étalait ses provisions. Alors qu'elle lui suggérait leur menu du soir, il montra du doigt le gibier et les carottes qu'il avait aussi déposé là un peu plus tôt : «Y'a ça aussi. C'est un vrai banquet, ce soir.». Un trop-plein de nourriture, c'était rare, dans ce nouveau monde. Observant le sourire de l'éclaireuse alors qu'elle sortait une à une les bouteilles de whisky, Ciarán se souvint de Mary Poppins et de son sac sans fond et sourit à cette allusion de son esprit. Constatant leur enthousiasme partagé, le quarry tenta de procéder avec précaution : «On ferait mieux de commencer la partie avant que l'ivresse nous pousse à confondre queues et billes avec sabres et boules de feu».
Sur ces paroles, il croqua quelques grains de maïs, et tout en remerciant sa fournisseuse, alla s'équiper d'une queue de billard dûment choisie parmi celles qui pendaient au fond de la grande pièce. «Qu'est-ce qui t'amène dans ce coin, au fait ?», s'enquit-il alors qu'il perfectionnait l'agencement des billes sur le tapis. Pour rejoindre Austin, il fallait encore compter quelques heures à moto, un peu plus à cheval. Alexandra avait-elle quelque chose à faire "en ville", ou du moins dans ce qu'il en restait ? Elle ne crécherait certainement pas là par plaisir. Ciarán n'avait pas réalisé se rendre à une soirée pyjama, mais en y réfléchissant, il n'allait pas s'amuser à s'aventurer dans le noir, et attendrait le lendemain pour récupérer sa monture et se rendre à la Mine, où il transmettrait le message d'Abel.
La réaction du jeune homme amusa davantage Alexandra. Pour preuve, son sourire s’élargit sur son visage. Néanmoins, elle ne se donna pas la peine de répondre à sa question. De toute façon, celle-ci ne demandait pas d’être élucidé. Ciarán connaissait déjà la réponse. Bien évidemment, elle n’avait pas envie qu’il meure prématurément. Cependant, il doit bien l’admettre que rêvasser dans ce genre d’endroit risquer fort de lui coûter la vie. Walkers et pillards rôdent dans les alentours et un manque d’attention pouvait s’avérer fatal. Heureusement, la grande brune était assez vigilante pour deux. Surtout en sachant que des groupes de rôdeurs partaient d’Austin. Bien qu’elle n’en a vu aucun se diriger vers ce relais, il peut toujours changer d’itinéraire ou qu’un autre groupe vienne se présenter à leur porte.
« Tu n’es pas un peu trop lourd pour des poneys ? » Lança-t-elle comme sarcasme. « Tu devrais quand-même penser à un véhicule un peu plus fiable qu’un cheval. Une moto par exemple. Un cheval ça peut être trop imprévisible et au milieu de tirs ou de bouffeurs de chair fraîche, ça peut te coûter la vie. » L’éclaireuse en parlait comme si elle avait de l’expérience dans ce domaine, alors qu’elle n’était montée sur un cheval que deux fois de toute sa vie. Et ces deux fois se sont passées récemment au ranch. Mais il est vrai que la seconde fois tourna au drame. Depuis, ce jour la jeune femme a décidé de laisser le digitigrade aux mains d’autres cavaliers. « Mais, si tu veux un vrai cheval, je te conseille Comanche. Il est très patient avec son cavalier. Par contre, évite de le faire galoper dans une forêt ou n’importe quel endroit où la vue n’est pas dégagée. » Elle n’en dira pas plus, non qu’elle n’ait pas envie d’en parler avec son ami. Seulement, elle ne voyait pas l’utilité de raconter dans les moindres détails ses mésaventures des derniers mois. D’autant plus qu’il y avait d’autres anecdotes plus intéressantes à raconter depuis la dernière fois qu’ils se sont vus. D’ailleurs, ça remontait à combien de temps la dernière qu’ils s’étaient retrouvé ensemble loin de leur clan respectif ? Ça faisait un sacré bail pour qu’elle ne puisse plus ce souvenir de la date exacte. « Parle pour toi. Pour ma part avec nos soirées poker au ranch, je tiens très bien l’alcool. Un de ces quatre, tu pourrais te joindre à nous. » Certes, il n’y avait pas tous les soirs des parties de poker au campement des cavaliers, mais quand il y en avait l’alcool coulait à flot et c’était une des principales raisons qui poussaient les personnes à y participer. L’alcool n’était pas de la meilleure qualité qui soit et ça ne dérangeait personne pourvu que ça faisait son effet.
Après avoir mangé quelques morceaux de viande séchée, Alexandra alla chercher une queue de billard et laissa le carrière commencer la partie. Elle se choisie une flasque de whisky et en but quelques gorgées. Puis, reprenant son sérieux, elle répondit à la question de son camarade. « Mon taf d’éclaireuse. Certains racontaient que des bandes de rôdeurs quittaient la ville pour se trouver de quoi mettre quelque chose sous la dent. Si c’est vrai, et je le confirme. On pourrait organiser des raids dans le coin. » Elle engloutit quelques grains de maïs et une gorgée de whisky pour tout faire descendre. « Et de ton côté ? Quoi de neuf ? » Alex ne lui demandait jamais ce qu’il y avait dans les lettres des leaders et malgré la curiosité qui lui dévorait les entrailles. Elle pourrait, mais la demoiselle était pratiquement sûre que le coursier ne lui laisserait pas le droit de lire les missives. Alors, elle se contentait de lui poser quelques questions sur les autres clans pour savoir grosso modo ce qu'il se passait chez les autres survivants.
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