intrigue générale (début avril) + meera

début avril ✻ Une bête coïncidence, il n’avait fallu que ça pour qu’il se trouve au bon endroit au bon moment (ou mauvais, selon le point de vue choisi) pour saisir ce qui se tramait parfois quand la majeure partie du campement dormait. Une bête coïncidence, et une de ces foutues nuits d’insomnies qu’il ne connaissait que trop bien, surtout dernièrement. Pour autant, Abel n’avait pas agi sur le coup : là où il serait intervenu sans la moindre once d’hésitation, prompt à accuser n’importe qui de n’importe quoi, sa curiosité l’avait poussé à laisser filer la voleuse et son larcin. D’abord parce qu’il souhaitait savoir ce qu’elle comptait en faire avant de la pointer du doigt et ensuite parce que Meera pouvait avoir droit au bénéfice du doute, quoiqu’il ne le lui accordât uniquement parce qu’elle était la sœur miraculeusement retrouvée de Malini et qu’il avait confiance en sa recruteuse. Celle-ci s’était portée garante de son aînée et le cavalier, pour tout ce qu’il lui devait depuis le temps, s’en était remis à elle et avait toléré qu’on laisse à la recrue bien plus de liberté que ce dont les nouveaux bénéficiaient généralement lors de leurs premiers mois au sein du ranch. Peut-être aurait-il mieux valu, à la place, qu’il se méfie deux fois plus d’une seconde Kapoor que de n’importe qui d’autre en sachant ce que la première était déjà capable de faire…

Aux premières lueurs de l’aube, il avait fait passer un ordre discret à l’intention des gardes gérant les entrées et sorties des terres du ranch et demandé à ce qu’il soit immédiatement prévenu si Meera souhaitait en passer les frontières, sans rien préciser de plus qu’un ordre de mission qu’il avait à faire passer et dont elle pourrait se charger s’il fallait qu’elle sorte. Ceci étant fait, il avait au cours de sa ronde journalière du ranch soigneusement épluché les inventaires avec une attention accrue, appris ce qu’il voulait apprendre puis s’était contenté de prendre son mal en patience. Rien : peut-être la concernée souhaitait-elle attendre de voir si quelque chose se faisait remarquer ? Ou peut-être avait-elle eu une raison tout à fait légitime de tirer dans le stock en plein milieu de la nuit, quelque ordre obscur d’une personne en droit de le faire. Dans un cas comme dans l’autre, Abel aurait fini par aller la confronter directement si au surlendemain de l’emprunt on ne lui avait pas finalement fait parvenir que, conformément à ses ordres, on avait arrêté Meera Kapoor alors qu’elle s’apprêtait à partir et que celle-ci attendait donc là-bas qu’il vienne lui exposer sa demande. Suite à quoi le leader ne tarda pas à aller la trouver, l’entraîner un peu à l’écart des gardes (et autres oreilles indiscrètes qui avaient la fâcheuse manie de traîner un peu partout), avant de finalement l’arrêter d’une poigne fermement resserrée contre son bras. « Où est-ce que tu comptais aller ? » il demanda d’abord simplement, regard scrutateur et visage fermé, sur un ton qui ne cherchait pas à première vue à accuser quoi que ce soit.

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début avril ✻ S’il fallait bien lui reconnaître quelque chose, à Meera, c’est qu’elle ne flanchait pas devant lui : si elle était coupable, et il était intimement convaincu que tel était le cas, au moins continuait-elle de se tenir les épaules droites et l’air prêt à assumer tout ce qui pouvait bien arriver. Elle semblait, déjà, bien avisée qu’il n’avait aucune demande particulière à lui faire, pas le moindre ordre de mission à lui communiquer malgré ce qu’il avait dit aux gardes supposés l’intercepter. Abel, de fait, ne chercha pas à s’embarrasser davantage là-dedans, préférant comme à son habitude jouer carte sur table. « Ta sœur », se contenta-t-il de répondre face à l’interrogation. Une raison somme toute relativement logique : s’il faisait convoquer Meera, l’accusait à tort de quoi que ce soit, il savait que Malini lui tomberait dessus directement après ; confrontation qu’il pressentait usante d’avance, et qu’il préférait autant éviter dans la mesure de ses moyens. Ici, il avait au moins l’avantage qu’il saurait la culpabilité, ou non, de l’aînée Kapoor avant même d’avoir à formuler la moindre accusation. Si son innocence s’avérait vraie, il trouverait bien quelque chose justifiant son propre comportement. Si non, eh bien… tout était beaucoup plus simple, du moins dans l’immédiat.
« Je t’ai demandé où, pas qui. » Quoique ce fût là sans le moindre doute une question qui serait sortie ensuite. Une question pour laquelle “une vieille connaissance” ne serait forcément qu’une réponse trop vague dont il refuserait de se satisfaire. « D’ordinaire, les nouvelles recrues n’ont pas le droit de sortir seules avant plusieurs mois, et surtout sans raison officielle. » Soit un raid, ou quelconque excursion planifiée du genre. « Mais je ne t’apprends rien, tout comme je ne t’apprends pas ce qui fait de toi une personne privilégiée et apte à passer au-delà de tout ça. Donc, tu comprendras j’imagine que j’attends de toi une parfaite transparence quant à ce que tu vas faire hors de mes terres. » Puisqu’il lui faisait suffisamment confiance pour la laisser libre de ses mouvements – ou, plutôt, disons qu’il faisait confiance à sa sœur qui, elle, se fiait à Meera. La menace, toutefois, était parfaitement perceptible malgré le ton relativement calme bien que froid et définitivement inamical : ou elle répondait clairement et franchement à toutes les questions qu’il avait l’intention de lui poser, ou il révisait sur le champ certains de ses privilèges à commencer bien évidemment par son droit de sortie. « Ton sac », il demanda (ordonna) tout en tendant obligeamment la main vers elle, prête à saisir l’objet réclamé.

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Sa main se referma autour de l’objet réclamé et ses doigts se crispèrent sur le tissu tandis que Meera évoquait la Carrière, puis le nom du concerné. De mieux en mieux. Au moins était-elle honnête, il ne pouvait pas lui retirer ça, mais ça ne rendait pas les propos plus plaisants à entendre pour autant. Machinalement, il ouvrit le sac et jeta un œil à l’intérieur, vérifiant les dires de l’indienne alors même qu’il savait exactement ce qu’elle était allée chercher dans les stocks, puis releva la tête pour river à nouveau son regard glacé à celui de l’interpellée tandis que la question fusait. « Je sais pas encore. » Franchise contre franchise, il n’allait pas s’embarrasser d’un mensonge à l’égard de cette situation qui à vrai dire l’emmerdait bien au delà d’un simple vol. En temps ordinaire, la solution aurait été simple, et radicale, mais ici il fallait bien qu’il déroge à ses habitudes. « J’imagine que ta bonté d’âme est parfaitement louable, il continua d’un ton plus incisif et où l’ironie revenait se créer un petit nid, sauf qu’en ce qui me concerne les gens de la Carrière peuvent bien tous crever que ça m’en toucherait une sans faire bouger l’autre. A plus forte raison Diggs ou ses chefs de zones. » Or si sa mémoire était bonne, et il ne voyait pas pourquoi cela n’aurait pas été le cas, celui au nom duquel elle prétendait s’être livrée à ce larcin faisait justement partie de cette catégorie. « Je m’en fous complètement de savoir dans quel stock tu as tiré. Comme tu as sûrement pu le constater de tes propres yeux, nos ressources sont relativement… faibles. » Même si l’alliance avec la Mine commençait réellement à porter ses fruits, on était encore loin de pouvoir se targuer d’avoir une pharmacie équivalant celle d’Olympia. Ce, sans même aborder le sujet des compétences dans le domaine médical. En d’autres termes, tout était nécessaire au ranch, même une simple plaquette d’antibiotiques périmés. « Et certainement pas destinées à ces pouilleux, peu importe que t’aie mauvaise conscience parce qu’il a été blessé. Alors dis-moi Meera, qu’est-ce que tu penses que je devrais faire, hein ? » Non pas qu’il fût en recherche actuelle d’avis sur le sujet, mais ça ne l’empêchait pas d’être curieux. Un brin mesquin, également, de jouer d’elle de la sorte. « Est-ce que je dois faire prévenir Malini pour lui signaler que sa sœur s’amuse avec l’ennemi alors qu’elle m’a pourtant personnellement demandé de lui faire confiance ? » Et faire prévenir la recruteuse, c’était prendre des mesures plus drastiques pour la suite parce qu’à partir du moment où le larcin n’était plus tenu secret, il n’y avait aucune raison qu’il n’y ait pas davantage de conséquences. Evidemment, Meera perdrait tous ses privilèges, mais Malini en pâtirait aussi puisque, s’étant porté garante pour quelqu’un venant de prouver ne pas le mériter, sa fiabilité ne pourrait manquer d’en prendre un coup.

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Faire ce qui lui semblait juste. Bien sûr. Et est-ce que ce n’était pas là toujours ce qu’il faisait ? Chaque décision prise, chaque acte décidé… tout, était toujours juste. Au moins pour lui, pour la satisfaction qu’il en tirait par derrière. « Mais tu n’es pas moi » il souligna ses paroles. C’est bien ce qu’elle avait dit, non ? Je n’en sais rien, je ne suis pas à ta place. « Malini n’a rien à voir avec ce vol, je te l’accorde, mais elle a à voir avec toi, avec ce que tu choisis de faire grâce au champ libre qu’elle t’a obtenu. Si elle doit essuyer des conséquences, ça sera ta faute uniquement. » Sauf que Malini, elle n’en savait encore rien ; elle n’était même pas là, absente depuis quelques jours comme à ses habitudes lorsqu’elle partait en recrutement. Elle pouvait très bien revenir dans dix minutes ou dans deux jours mais, dans l’immédiat, tout ceci n’était qu’entre Meera et Abel. Et pas une personne de plus.
Le cavalier, cependant, voulait bien reconnaître à son interlocutrice la justesse de ses paroles. Il ne voulait pas se mettre la recruteuse à dos, n’avait aucun intérêt là-dedans. Or l’intérêt n’était-il pas justement ce qui motivait une partie de ses actions ? Toujours tirer le meilleur d’une situation, quelle qu’elle soit. Ici, il ne lui était pas compliqué de percevoir qu’exposer les deux sœurs Kapoor ne serait pas le choix le plus judicieux à faire et ce peu important son antipathie pour l’aînée. Une autre idée avait fait son chemin dans son esprit, tandis qu’il refermait le sac sans en retirer les comprimés. Pour autant, il ne fit pas mine de vouloir le rendre à sa propriétaire. « Dis-moi, il reprit après un court silence alors que ses yeux revenaient chercher le regard de Meera, à combien t’évalues le prix de la vie de ce mec ? Ou le poids de ta conscience, s’il crève alors que t’aurais pu l’aider ? » Jusqu’où elle serait capable d’aller pour mener à bien ce qu’elle avait entrepris ici ? Et s’il pouvait, évidemment, en tirer profit ? Il voulait savoir ses motivations, pour comprendre où se trouvait la meilleure décision à prendre. « Je connais déjà une partie de la réponse : tu t’es rendue dans un endroit strictement interdit alors même que tu dois certainement pas ignorer le sort qu’on réserve aux voleurs ici. Mais je suis curieux de savoir ce que tu serais encore prête à faire. » Contre lui, elle n’avait pas cherché à lutter. Elle avait assumé ses actes, tout avoué avec franchise mais n’avait encore rien tenté derrière pour le ranger à sa cause. Alors quoi, elle avait déjà baissé les bras ? Après avoir entrepris une escapade qui aurait pu lui coûter la vie, elle pilait au premier obstacle ? Ou n'était-ce là qu'une attitude de façade pour mieux le baiser dès qu'il reporterait son attention ailleurs ?

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Quand Meera se tut, le silence s’installa durant quelques longues secondes tandis que les deux cavaliers se jaugeaient en silence, affrontement muet qui semblait menacer de s’éterniser quand Abel s’anima brusquement, comme sortant de ses pensées pour retourner dans la réalité. « Hmm. Tu as sûrement raison, il lui concéda sans cette fois chercher à la contredire. Ce ne sont pas mes affaires. » Il se fichait bien des états d’âme de l’aînée Kapoor si ceux-ci ne lui étaient d’aucune utilité. Mais, il avait toutefois déjà une petite idée bien ancrée dans ses pensées quant à la manière dont il allait rentabiliser tout et et, contrairement à ce qu’elle avait demandé, pas la moindre intention de jouer ses cartes tout de suite ; d’avance, il savait qu’elle n’apprécierait pas le retour de bâton, en conséquence de quoi il valait mieux ne pas lui laisser le temps de s’y préparer.
De manière parfaitement inopinée, Abel rendit le sac à sa propriétaire sans y avoir rien récupéré à l’intérieur, le regard vrillé sur elle étant une invitation on ne pouvait plus explicite pour qu’elle s’en saisisse sans traîner. Prête à ce qu’il souhaitait ? Il avait eu ce qu’il voulait entendre, n’avait de fait plus aucun intérêt à continuer de perdre son temps ici. « Je viendrai te réclamer mon dû en temps et en heure, il conclut alors qu’elle remettait la main sur son larcin. En attendant, je ne dirai rien. Fais-en de même. » Et l’incident resterait simplement entre eux deux, promesse tacite que Malini n’en saurait rien ou alors pas de sa bouche. Le leader des cavaliers, quant à lui, saurait très bien s’arranger pour justifier la disparition des comprimés si quelqu’un venait s’en inquiéter – ce qui serait sûrement le cas étant donné le contrôle strict et régulier des inventaires qu’il exigeait régulièrement.
Rompant le face à face, Abel amorça un demi-tour, décidé de toute évidence à retourner vaquer à ses occupations et lui foutre enfin la paix une bonne fois pour toute – ou du moins jusqu’à la prochaine, en tout cas. « J’espère pour toi qu’il va survivre. » Encore quelques mots balancés par-dessus son épaule, tandis qu'il s'éloignait d'elle et lui rendait sa liberté. « Ça serait dommage d’avoir fait tout ça en vain. » Sous-entendu : mieux valait pour elle qu’il s’en sorte. Ce n’était pas par simple bonté d’âme qu’il la laissait partir utiliser ses médicaments sur une personne extérieure au ranch, ça se saurait s’il était de ce genre-là.