the woman whose heart is hollow

Tous les matins sont une nouvelle vie.
Les yeux fixés sur l'horizon, elle observe le soleil qui se lève lentement sur la campagne texane. Le paysage est simple, mais l'émotion qu'elle ressent est tellement forte qu'elle en devient accablante. La tête nonchalament posée sur ses jambes elles-mêmes repliées contre sa poitrine, Gail se rappelle d'un monde où elle ne craignait pas le moindre frémissement des feuilles. Elle ne sait pas vraiment si elle l'aime, ce vieux monde où tous les matins étaient un éternel ballet de nonsens. Peut-être que cette vie lui manque un peu, quand même. Elle ne saurait dire. Elle a le choix entre une existence insipide et sans motif mais dans la sécurité, ou alors à un but concret, une raison de vivre, au coeur même du danger.
C'est pour son frère que Gail s'inquiète. Lui, il avait toute une vie devant lui. Un avenir prometteur, même. Maintenant, il était coincé dans son sillage, traqué par la mort. Tous ses matins devaient être un cauchemar sans fin.

Du bout des doigts, elle caresse son épaule. Il dort et il a presque l'air apaisé si on oublie qu'ils ont faim, froid et que la peur leur sert de paroi estomacale interne. Sa respiration se trouble légèrement avant de retrouver un rythme régulier qui ferait presque office de berceuse. Mais Gail ne peut et ne doit pas dormir. C'est à son tour de veiller sur son petit frère, à son tour de le tenir à bout de bras. C'est qu'ils n'ont pas eu l'errance facile. Ils ne comptent plus les mois, les années depuis qu'ils ont quitté le huis clos et l'Iowa. Ironiquement, ils se sont offerts le roadtrip qu'ils s'étaient promis quand ils étaient jeunes. Ils ont tout vu, tout fait, comme ils aiment le dire. Ils ont rencontré des centaines de survivants, ont partagé quelques mois avec eux avant de retourner dans la dérive, conscients qu'ils ne peuvent compter que sur l'autre Woodstock, l'autre moitié d'eux-même.
Elle se souvient des jours les plus difficiles, quand affamés, dévastés, ils ont hésité à se donner la mort. Main dans la main, ils avaient envisagé de sauter dans le premier ravin suffisamment profond. Elle se souvient que l'espace de quelques secondes, le regard de Gavin luisait à cette idée, séduit par le concept. On vit ensemble on meurt ensemble ? Un peu niais mais tout de même terriblement réaliste. Si elle aussi avait été conquise par le concept, elle se dit aujourd'hui qu'elle aurait manqué d'autres aventures. Et dire qu'elle avait réussi à s'en sortir jusque-là, c'était une excuse pour continuer la route jusqu'à leur Eldorado. Une cabane en bord de mer ou une ferme à entretenir...
Qu'on se le dise, Gail Woodstock a peut-être raté sa vie, mais elle était douée pour la survie.

Les rayons du soleil commencent à caresser le sol et Gail abandonne la surveillance de son frère pour aller dégourdir ses jambes sous la lumière d'hiver. Un hiver tout de même clément quand elle repense au climat de l'Iowa. Elle sait qu'ils sont au Texas et elle sait que la route n'est plus très longue avant de trouver le Golfe du Mexique et la mer tant rêvée. Peut-être que là-bas, ils trouveront finalement un but à toute cette mascarade. On dit que la mer a cet effet sur les gens.
Distraitement, elle observe le ciel et ce n'est qu'au dernier moment qu'elle entend la nature s'agiter autour d'elle. L'impression du danger lui tombe sur la nuque comme un couperet, provoquant une vague de frissons le long de son échine. Sans plus attendre elle se retourne vers son frère toujours endormi et en quelques pas, elle se retrouve à côté de lui à le secouer. Il se réveille aussitôt dans un sursaut, et sa main agrippe le bras de sa soeur pour s'assurer qu'elle est bien là. "Gavin, prends tes affaires on doit y aller. Il y a quelqu'un."

Rapidement, elle fourre les couvertures dans son sac sans aucune cérémonie et ses doigts se referme sur la crosse de hockey qui lui sert à la fois de baton de marche et d'arme. Gavin prend son fusil en main tout en sondant les environs de la clairière. Mais quand ils s'apprêtent à partir, c'est déjà trop tard. Elle est déjà là. Une apparition qui déjà, n'annonce rien de bon.