« Tell me your story
please tell me everything »
FLY ON LITTLE SPARROW, NORTHWARD, TO THE SUN + Les Yates. Famille fortunée. Les apparences, rien que les apparences, c’est tout ce qui compte. Une famille bien sous toutes les coutures à première vue. Il suffit de creuser pour y déterrer des cadavres, enfouis profondément. Peyton a toujours souffert de la froideur typique de son paternel, de l’attitude orgueilleuse de sa mère. Beaucoup d’ombres au tableau, si ce n’est sa sœur cadette, demoiselle désinvolte et souriante se conformant difficilement au moule. Elle l’a couvée, un peu trop, elle l’a protégée, beaucoup trop. Encaissant les remarques de son géniteur à la place de cette dernière, elle n’aurait pu le supporter contrairement à elle. Peyton, elle sait encaisser, elle a cette force de caractère héritée de son père, même si elle dira à qui veut l’entendre qu’elle n’a rien à voir avec ce dernier. Les Yates. Un océan de faux-semblants.
« Ouvre-là Peyton, qu’est-ce que t’attends au juste ? » s’écrie Willa d’une voix aiguë à en percer les tympans tout en sautillant d’excitation. Âgée d’à peine un an de plus qu’elle, Peyton a cependant bien souvent l’impression qu’une dizaine d’années d’âge mental les sépare. Elle porte tellement de poids sur ses épaules ces derniers temps qu’elle se sent déjà vieille et aigrie avant l’âge.
« Deux minutes, c’est stressant tu sais ! » Une lettre, ce n’est rien qu’une lettre oui mais, une lettre définissant mon avenir, songe-t-elle angoissée. Refus ou acceptation, telle est la question. L’université californienne de Berkeley lui fait de l’œil depuis maintenant bien des années, elle a bossé comme une acharnée ne serait-ce que pour pouvoir y déposer son dossier.
« Bon, donne-moi ça. » Sans qu’elle ne puisse émettre aucune protestation, Willa lui arrache l’enveloppe des mains. Elle ne proteste pas, elle n’a pas le courage pour ça. Le temps s’arrête tandis qu’elle entreprend la lecture du bout de papier, le visage impassible, indéchiffrable. Son cœur se serre sous le coup de la pression.
« Tu es acceptée ! » Et là, le soulagement, elle respire à nouveau, elle va enfin pouvoir se tirer d’ici. Elles entreprennent une danse de la joie typique de la fratrie Yates, se trémoussant comme si leur vie en dépendait.
« Vous allez faire quoi, Abel et toi ? » reprend elle en se laissant tomber comme une loque dans le lit. Peyton lève un sourcil perplexe. Il n’y a plus de
"Peyton et Abel" depuis longtemps déjà, ils se contentent juste de se montrer ensemble, c’est à peine s’ils se parlent encore lorsqu’ils sont seuls dans la même pièce.
« Oh tu sais, on va prendre des chemins opposés, c’est comme ça, c’est la vie. » Explication plutôt facile mais véridique. La vie est ainsi, on rencontre des gens qu’on finit par oublier, par perdre de vue.
« C’est triste quand même. » Elle hausse les épaules, elle s’est faite à cette idée depuis un moment maintenant. Hors de question qu'elle croupisse dans le coin pour les beaux yeux d'Abel Rhodes.
Et elle s’envole, sans se retourner, vers son avenir, avide de prendre de la distance avec ce nom de famille et cette réputation allant de pair avec ce dernier. Elle n’a besoin de personne pour se construire Peyton, elle n’a certainement pas peur de l’inconnu, au contraire, elle adore ressentir ce frisson, divin mélange d’excitation et d’appréhension. UC Berkeley, prestigieuse université, prochaine destination, prochaine étape. Terminé le lycée, période où elle se cherchait encore à tâtons bien qu’elle n’ait rien à regretter, rien à oublier. Le lycée n’a pas été un calvaire pour la jeune femme, elle était plutôt de celles qu’on enviait, de celles se pavanant en jupette, pompons à la main. Le cliché de la lycéenne populaire, elle le reconnait. Tout ce qu’elle souhaite à présent c’est prendre un nouveau départ, se détacher de cette étiquette. Un dernier regard chaleureux, un dernier geste de la main, avant de passer le portique de sécurité de l’aéroport. Ils vont lui manquer, c’est certain et ce, malgré tous leurs défauts. Elle essuie d’un revers de main quelques larmes perlant le long de ses joues. C’est dur d’abandonner ses racines, de quitter ses proches, elle ne le montre pas non, parce qu’un Yates ne montre pas ses sentiments, un Yates se contente de garder ses émotions pour soi. Qu’est-ce qu’elle est soulagée, bordel, de ne plus devoir se conformer à cet adage. Un dernier effort afin de préserver les apparences, elle en aura bientôt fini avec cette vaste supercherie.
YEAH I MADE MISTAKES BUT... LIFE DOESN'T COME WITH INSTRUCTIONS + Force est d’admettre que malgré la distance prise avec Olympia, sa famille, son passé, Peyton n’a jamais totalement su se séparer de ses mauvaises habitudes. Les échecs, elle les accepte difficilement, l’échec n’est pas parmi non, c’est ce que lui dirait son père. L'erreur est humaine mais l'erreur n'est pas Yates. La vie est compliquée, la sienne surtout. Professionnellement on y est, sentimentalement on nage dans l’inconnu. C’est quoi cette peur soudaine de l’engagement au juste ? Tourner le dos au passé lui semble plus difficile que jamais. Démunie, elle se sent démunie. Les erreurs elle a tendance à les accumuler depuis un certain temps, puis vint la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Le point de non-retour atteint et son propre océan de faux-semblants s’écroule.
« Un bien joli bijou. » Cole scrute sa bague de fiançailles d’un air dédaigneux avant de retourner à ses occupations, pianotant sur son clavier à toute allure. La tension est palpable, la jalousie perceptible, il n’a jamais apprécié Thomas, son compagnon depuis désormais deux et demi. L’homme parfait, celui qu’on ne lâche pas. Pourtant, force est d’admettre que la lassitude est bien présente, on se lasse de la perfection à force.
« Pas besoin de mentir, tu aurais pu tout aussi bien garder le silence. » répond-elle sur un ton froid. Voilà maintenant des mois que la jeune femme tente en vain de placer un maximum de distance entre eux, pas question de commettre un nouveau faux pas, pas question de retomber dans ses draps. Elle s’en veut d’avoir trompé Thomas, pas qu’une fois non. Elle ne recommencera plus, ce n’était qu’une erreur de parcours.
« Pas mon genre de garder le silence. » Elle roule des yeux derrière son écran. Pourquoi est-ce qu’il ne peut tout simplement pas la laisser tranquille, l’oublier.
« Il sait ? » La question a l’effet d’une pique en plein cœur. Non, bien sûr que non. Il n’a tout simplement pas eu la force de lui avouer, ça l’anéantirait.
« Il sait quoi ? » Peyton n’a pas pour habitude de jouer à l’autruche mais en l’occurrence, elle préfère éviter le sujet. Cole cesse de pianoter sur son clavier, en quelques secondes il se retrouve debout face à elle, une main de chaque côté de sa chaise de bureau. Cette proximité lui est insoutenable.
« Tu ne peux pas lui dire parce que tu sais qu’il ne te pardonnerait jamais, moi je pourrais. » Elle ne bouge pas, comme tétanisée, ce n’est pas son genre pourtant.
« Tu te trompes. J’attends juste le bon moment. » Il s’écarte enfin et elle peut respirer à nouveau. Comment est-ce que je vais bien pouvoir me débarrasser de lui bordel, songe-t-elle à bout de nerfs.
Le monde s’écroule. Le sien. Cole avait raison, il n’a pas pu lui pardonner, il a brisé leurs fiançailles. Le pire dans cette histoire c’est qu’elle ne ressent rien, même pas une once de tristesse ou encore de regret, non. Elle se sent telle une coquille vide, aussi vide que son père, aussi vide que sa mère. Willa lui manque, elle s’épanouit au Texas, elle est heureuse pour elle. Une sur deux, c’est déjà pas mal. Tandis qu’elle peine à refermer sa valise un flash info retentit en bruit de fond, elle n’a pas le temps d’y prêter attention, elle va louper son vol. Quelques mots lui parviennent : mort, maladie, virus. Elle est trop pressée. L’écran devient noir, elle range la télécommande tandis que le taxi klaxonne. Un retour aux sources s’impose, deux semaines de vacances, retour au Texas, retour au bercail, voilà le programme. Elle n’est pas certaine que son plan soit judicieux, de toute façon qu’est-ce qu’il peut lui arriver de pire ? Elle a déjà presque touché le fond, elle n’a plus que son boulot. Elle a l’impression d’être l’héroïne d’un horrible drame romantique, enfin l’héroïne… Une héroïne en carton surtout. Elle soupire, il faut absolument qu’elle arrête de s’apitoyer sur son sort, ce n’est vraiment pas son genre. Elle a besoin de se retrouver.
IN ORDER FOR THE LIGHT TO SHINE SO BRIGHTLY, THE DARKNESS MUST BE PRESENT + Le destin se joue d’elle depuis le début, c’est un constat. La fatalité a voulu qu’elle se retrouve coincée à Olympia, retour aux sources, retour à la case départ pour toujours. Elle ne peut pas les abandonner. Non, alors elle se démène pour faire de son mieux, mais ça ne suffit pas. L’armée n’est plus, elle se dit que c’est une bonne chose, elle se le disait du moins. Mais depuis leur départ, elle perd des gens de jour en jour. La maladie, les rôdeurs, la faim. D’abord ce sont les voisins, puis le tour de ses parents. Un autre échec, elle n’a pas pu les sauver. Voilà qu’encore une fois le poids du monde repose sur ses épaules, des personnes comptent sur elle, trop de personnes, elle ne veut pas avoir des vies entre ses mains, elle ne veut pas de cette responsabilité, elle fait avec cependant. Puis, la lumière, la libération. Ses épaules s’allègent l’espace d’un instant qui semble durer une poignée de minutes à présent, puis l’obscurité à nouveau, les désaccords, les cachotteries, les coups bas. On n’échappe pas à sa nature. Dur retour à la réalité.
« On ne peut pas continuer comme ça. » Est-ce que Peyton est la seule dans le coin à avoir conscience de ça ? Ils ont été chanceux trop longtemps, la chance finit toujours par tourner, ils ne peuvent plus continuer à se voiler la face sous peine de se retrouver bientôt six pieds sous terre.
« Qu’est-ce que tu comptes faire ? » Willa a toujours été de son côté, elle est celle à qui elle peut se confier sans aucune retenue, celle qui ne la trahira pas.
« Je ne sais pas encore, enfin j’ai bien quelque chose en tête mais Elijah n’appréciera pas. » Clairement pas. Rien que l’évocation des riders le révulse. C’est vrai qu’ils sont partis du mauvais pied, mais eux au moins, ils savent se défendre, ils pourraient leur assurer un avenir.
« Les riders, c’est ça ? » Elle lit en elle comme dans un livre ouvert, elle est bien l’unique personne dotée de ce talent.
« C’est ça, échange de bons procédés. Je suis presque certaine qu’ils ont besoin de médicaments. » Mais est-ce que ça vaut la peine de trahir Elijah ? D’accord, c’est de toute évidence un acte de trahison pour le bien de la communauté, ça pourrait sauver des vies, mais si elle se plantait encore ? Si tout ça ne servait strictement à rien ?
« Fonce Peyton. On s’en fout d’Elijah, il va tous nous crever avec son pacifisme à la con. » Le moins qu’on puisse dire c’est que Willa n’est pas une fervente supportrice du leader des lieux.
« Tu as raison. Et puis merde, qu’il advienne ce qu’il advienne ! » Jouer sur deux tableaux, ça a toujours été dans ses cordes de toute façon.
Peyton n’est pas du genre poule mouillée, les confrontations elle ne les craint pas. Elle excelle même dans ce domaine. Démonter les arguments, quitte à blesser, c’est un atout qu’elle possède depuis toujours. Quand elle entreprend quelque chose, elle ne renonce pas, malgré l’interdiction d’Elijah. Oui, elle a beaucoup de considération pour lui, mais il les mène tout droit vers un destin funeste, elle ne peut pas vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Elle ne souhaite pas non plus créer des tensions au sein d’Olympia, mais s’il le faut, elle passera par cette case, si ça peut sauver des vies. Le bien commun, voilà ce à quoi elle songe désormais. Le monde change, pourtant les Olympiens n’ont pas évolué, ils restent inchangés et insouciants. Inconscients même. Elle ne se voit pas continuer à évoluer parmi ces derniers dans de telles conditions. Elle pourrait partir avec Willa, leur tourner le dos, option de facilité. À la place, elle a choisi de rester, de se battre pour ces personnes qu’elle défend depuis le début de l’épidémie, non elle ne fuira pas, à moins qu’on ne la chasse, que les olympiens ne veulent plus d’elle. En attendant, ce n’est que le début. Une nouvelle ère se profile à l’horizon.