La complainte des loups solitaires ▬ feat Abel[FINI]

Le ciel pleurait de chaudes larmes d'acier contre le visage baissé du cadet des Rhodes. La terre s'était ouverte sous leurs pieds laissant renaître des créatures impies qui avaient emportés avec elles une part de lui. La personne qui lui avait donné naissance était redevenu poussière avec la naissance de ces immondices putréfiées qui dévoraient les chairs de ce qui furent auparavant leurs semblables. Les mots lui manquaient. Il n'avait aucune idée de comment exprimer le vide qui avait complètement pénétré son esprit qui effleurait lentement mais sûrement les prémices de la folie.

Cela faisait plusieurs jours qu'il n'avait pas décroché un mot ou un regard à tous ceux autour. C'était comme s'il ne voyait personne. Les larmes ne venaient, seule la pluie battante fouettait son visage. D'amers regrets et une souffrance sans nom bâtissait en son sein un océan de tristesse. Il avait évité tous les autres membres de la famille comme la peste. Des sourires lui revenaient en boucle. La chaleur de sa voix s'imprégnait dans son esprit et parfois quand le vent soufflait à ses oreilles, il ressentait sa présence et sa voix. Elle lui manquait terriblement. Elle qui avait toujours été pour lui un pilier. La seule qui semblait s'intéresser à lui et l'aimer. Qu'avait-il fait pour la remercier ? Rien, il  n'avait jamais été juste avec elle car il débordait de trop de haine et de jalousie pour réaliser qu'elle avait toujours été là débordante de fierté et d'amour pour lui. Alors, la tristesse se mua en culpabilité et en ressentiment. Il alternait les phases du deuil à une vitesse exemplaire. Ses sentiments devenaient aussi erratiques que ceux du cher enfant chéri de la famille. Aucune nouvelle de Jenna, il aurait été un peu hypocrite de dire qu'elle lui manquait mais paradoxalement il s'inquiétait pour elle. Les liens du sang semblaient devenir plus forts en ces instants de crise où tout semblait instable, capable de disparaître dans les abysses comme un cri qui se perdrait dans un gouffre.

La lente agonie de ses sentiments ne s'apaisaient presque pas parmi les chevaux qu'ils aimaient pourtant plus que tout. Il pensa à ce cheval alezan que sa mère aimait tant. Elle s'appelait Perséphone, et ironiquement ce n'était pas elle qu'on avait traîné de force dans les Enfers. Quoi qu'aujourd'hui, il n'y avait plus besoin de mourir pour se retrouver entraîner dans les cercles infernaux que décrivait Dante. Ses pas le traînèrent vers la jument en question sans qu'il en eut bien conscience. Un sourire triste se peignit alors qu'il arrivait pour découvrir que son frère avait eu la même idée que lui. La tristesse les avait réuni. Le destin avait ce petit quelque chose de terriblement sarcastique qui permettait de savoir que si Dieu existait, il avait un sens de l'humour particulier. L'apocalypse disait surtout que ce devait être un sacré fils de pute si tel était le cas. D'un ton vague, il lança en s'accoudant à côté de son frère.

"C'était sa jument." Un profond soupir accompagna cette phrase. Il caressa le chanfrein du cheval avec lenteur. Sa voix lui avait semblé rocailleuse comme un homme qui n'a pas parlé depuis dix ans. Caden et Abel ne parlaient pas beaucoup alors ce n'était pas évident pour lui d'être celui qui engageait la conversation. Néanmoins, des situations désespérées entraînaient des mesures désespérées. Le noyau familial aussi étrange fut-il restait important pour tout le monde. Il fallait préserver une certaine solidité. Caden savait qu'Abel ne pouvait pas lui apporter de réconfort mais sans doute espérait-il qu'en souffrant de concert, ça soit moins douloureux. "On devrait lui faire faire un poulain avec Hadès en souvenir" Hadès était le cheval du père, un étalon pour le moins puissant et noir. Pas étonnant qu'une telle bête lui ait été nécessaire pour prouver une fois de plus sa virilité. Les mots se voulaient un substrat de plaisanterie tout en n'étant pas si drôle que cela. Même un bruit étouffé ressemblant à un rire lui aurait accordé un peu de baume au cœur. "On est dans une belle merde Abel." finit-il en soupirant lourdement repensant à sa mère, à sa sœur et sa fiancée disparue. Tout cela évident sans oublier les ordres de revenants évidemment. Il fallait prendre un problème à la fois. En général on commençait par le plus important. On savait bien, pensa-t-il avec ironie, que le plus gros problème vient toujours des femmes. Quand elles sont là, elles nous rendent folles. Quand elles ne sont plus là, elles nous laissent pour mort.

La discussion entre frères ne pouvait plus être évité. Les quelques mots qu'il avait lancé lui faisait réaliser que tous les deux devaient sortir de leur mutisme pour avancer. Dans le nouveau monde, c'était avancer ou mourir.

Spoiler:

Il haussa les épaules à la remarque d’Abel. Pourquoi pas après tout ? Parler de la vie alors que tout mourrait autour de lui ne semblait pas si irrationnel. Peut-être que d’une manière ou d’une autre ça conserverait l’étincelle de vie de leur mère encore bien vivante. Voilà qu’il recommençait avec ce sentimentalisme à la con qu’il avait toujours tout fait pour oublier. Tu es un grand sensible avait dit sa mère un jour. Son père aurait dit qu’il était une femmelette.

« Il ne nous reste que les chevaux Abel. Ils ne se transforment pas eux. » avait-il dit sobrement évitant e loin ou de près ce qui aurait ressemblé de trop à des sentiments d’êtres humains. Caden se rendait compte qu’il ne savait pas grand-chose des conceptions de son frère sur les enseignements de son père. Il lui avait toujours fait l’effet de l’élève modèle qui connaissait toutes les leçons alors même qu’il n’avait jamais eu à réviser.  Il jeta un coup d’œil à son frère comme s’il essayait de lire dans ses pensées. Il observa sa clope au bec en se disant qu’en temps normal il lui aurait demandé de ne pas fumer dans l’écurie pour des raisons évidentes de sécurité. Toutefois, cette phrase, aux vues de la situation actuelle,  n’aurait pas manqué d’être ironique. « Ça ressemble bien au genre où plus tu te débats, plus ça t’engloutit. Enfin ce n’est pas genre de détails qui arrêterait un Rhodes te dirait Papa. » La dernière phrase avait été dite avec un ton faussement ferme pour rappeler le ton irascible du paternel qui semblait parfois ne s’exprimer qu’en bougonnant et en parlant avec un air sévère. « Avec le ranch, je pense qu’il y a moyen de s’en sortir. On va devoir se battre mais c’est faisable. » Alors qu’il prononçait ses mots avec une certaine conviction, sa véritable pensée lui semblait qu’ils finiraient par tous y passer. Les zombies, rôdeurs ou dieu seul savait comment on pouvait encore les nommer arriveraient ici et détruirait tout. Néanmoins, ils auraient un sacré combat à faire avant de pouvoir gagner. Il n’en démordrait pas, il sauverait ce ranch qu’il avait toujours aimé aussi longtemps que son corps pourrait tenir debout. Il ne se battrait probablement pas physiquement mais il avait plus d’un atout pour cela. Il hocha silencieusement la tête  à la remarque de son frère. Caden avait raison. Malgré ses travers, il savait souvent curieusement où taper juste quand il parlait. Peut-être car il savait aussi où taper quand il fallait jouer des poings.

« On n’a pas appris à faire ça Abe. Je sais pas si on en est réellement capable. Bien sûr que ça nous touche directement, c’était notre putain de mère et ils nous l’ont pris. » Ses traits se durcirent et son regard se fit froid et déterminé. « Il ne se passera pas un jour sans qu’on fasse regretter à ses fils de pute de s’en être pris à elle. Ce sera notre manière de leur montrer qu’on ne s’attaque pas impunément à nous. » Il comprenait maintenant, en l’absence de Jenna qu’il avait une carte à jouer. En s’unissant avec son frère, ils étaient plus forts, ils pouvaient sans doute tenir le fort et regrouper des survivants. Les employés habituels du ranch seraient déjà d’accord pour participer.  «Serrons-nous les coudes comme tu dis. Il y a beaucoup à faire et si on vit chacun de notre côté, on ne fera rien. On le doit à maman, d’être forts, de lui montrer qu’en fin de compte on écoutait quand elle parlait. » Les frères Rhodes rapprocher par la mort d’un être cher. Il aura au moins fallu cela pour que les deux frères si différents se rendent compte de l’importance de faire front commun face à la menace. Ça et une invasion de marcheurs pour le moins cannibales. Le destin avait une drôle de manière de réaliser nos souhaits. Caden avait espéré longtemps avoir une relation proche avec son frère et maintenant que son souhait était réalisé, il regrettait qu’il ait fallu ces circonstances pour le rendre réalité. « On va survivre à cette putain d’apocalypse, et en plus de ça on va devenir les rois. » Il eut un sourire alors qu’il lui tendait une main. Une main  qui ne changerait pas le monde mais qui aurait des répercussions insoupçonnées à cet instant. « Pour maman. » rajouta-t-il en laissant s’échapper un peu de son émotion contenu. Il observa un long moment son frère alors que la pluie tombait drue se reconnaissant dans ses yeux pour la première fois. Il lut dans son reflet le besoin de se réconforter avec un vice. Aucune ne pointerait le bout de son nez à part la vieille gouvernante qui n’était clairement pas de première fraîcheur. Tout était un peu difficile à obtenir actuellement sauf l’alcool. La cave était pleine à craquer. Autant en profiter. « Si on allait boire un verre. J’en ai assez de toute cette flotte qui nous dégueule au visage. »

Spoiler:

Il fut ravi que son idée soit si facilement acceptée. Il n’en avais jamais douté une seule seconde cela dit. En général, ils étaient toujours du même avis quand il s’agissait de se jeter un verre, deux verres et ainsi de suite jusqu’à arrêter de compter. Il s’interrogea se demandant  si c’était purement masculin ou simplement si le monde entier ressentait ce besoin universel quand le monde semblait lui aussi avoir pris un coup dans le nez. « C’est tellement vrai. Au moins maintenant on peut dire qu’on a une vraie raison de dire que le monde c’est de la merde. On pourra pas dire qu’on est des dramaqueens. » Il se fendit d’un sourire en coin « pas comme d’autres dans notre famille ». Il se souvint à cet instant en l’évoquant qu’on était sans nouvelles d’elle. « Je suis sûre qu’elle va bien là où elle est. C’est sûr qu’on finira par nous la rendre. C’est tellement une teigne et en plus c’est une Rhodes. » La première gorgée fut tant salvatrice que stérilisante pour sa gorge. Il se retint de justesse mais toussa un peu quand même. « La gnôle de not’ père c’est pas de la merde en tous les cas. » Il suspectait l’alcool d’avoir peut être un peu dépassé la date de consommation car elle goûtait presque le pétrole pour lui mais il n’en dit rien. Tous les alcools forts lui donnaient l’impression d’être une voiture qu’on remplit avec de l’essence. Il l’observa pensif. Les événements n’avaient pas été si amusants ce soir là pour lui mais il n’en fit pas la remarque. Il se contenta de répondre. « Oui je m’en rappelle bien, j’ai cru qu’il m’avait déplacé une vertèbre le bougre. Il a jamais eu la main douce. » Il se servit de sa main pour prendre un verre de plus en le finissant cul sac. « Buvons encore plus à sa santé. De toute façon, aujourd’hui, il pourrait bien essayer de nous cogner qu’il ne gagnerait pas pour autant.


Sa gorge était maintenant bien anesthésiée par la boisson. C’était beaucoup plus facile, il observait son frère qui faisait de même alors que la discussion se poursuivait. « Enfin, c’est pas comme si on avait essayé de monter SON cheval. Tu sais comme il devient con dès qu’on aborde le sujet. » Il se servit un verre qu’il but plus tranquillement que la dernière fois. Le tord-boyau lui faisait du bien alors qu’il se demandait s’il n’allait pas percer en même temps un trou dans son estomac. Il avait vu une fois un ulcère sur un chat qu’il opérait et ça n’était pas très joli. « Dis.. Qu’est-ce que tu penses de papa ? » Il n’aurait jamais posé cette question en n’étant pas sous l’effet de l’alcool qui commençait lentement mais sûrement à le désinhiber. Cependant, la situation de ce soir, l’alcool et les circonstances le permettait. «  T’as toujours été son chouchou, je sais pas si c’est vraiment la place du privilégié. » Disant ces mots, il se rappela que lui aurait bien voulu les inconvénients de cette place plutôt que d’être ignoré et traité comme un déchet quand on le voyait. Il avala son verre après sa question. L’alcool l’aidait à garder une certaine contenance. « Enfin, moi il me déteste, alors au final, je suppose que ça pourrait nous mettre à égalité. » Il soupira s’affalant un peu lui qui tenait toujours une posture très droite. Il n’avait pas envie de faire des efforts ce soir. Il n’avait pas envie d’être le parfait petit fils à papa qui fait tout ce que tout le monde lui demande mais n’est jamais récompensé. «  Et puis toi et Jenna vous vous serez les coudes. » rajouta-t-il avec une certaine amertume. En temps normal, il se contenant le plus possible de parler pour éviter de se dévoiler. Ce soir, il mettrait tout sur le compte de l’apocalypse. Il y avait fort à parier qu’elle aurait bon dos pendant les prochaines décennies cette crise. Il réalisa qu’il ne savait pas bien qu’elle en était l’origine. Si on lui avait demandé son avis, il aurait sans doute répondu que ça devait être les humains les responsables. C’était toujours eux qui finissent par foutre le boxon. Il ne savait pas s’il y avait une quelconque information là-dessus. Il se rendit compte qu’il ne s’en foutait pas tant qu’il aurait cru. Il ne se soucia pas plus de cela car il savait qu’un jour ou l’autre par la force des choses il finirait par savoir ou par devenir l’un d’eux. Une belle expérience en réalité augmentée. Le cinéma en 3D pouvait aller se rhabiller.

Spoiler:

Il gronda silencieusement mais il ne dit rien d’autre se contentant de ruminer comme toujours. Il n’obtiendrait sans doute jamais de son frère qu’il fut de son côté. Il soupira, que pensait-il de toute manière ? Abel aimait son père et le soutenait. Cela lui sembla d’un coup évident. Il se punit en se forçant à ingérer deux verres d’un coup. Le silence devint gênant comme toujours, ils n’étaient jamais sur la même longueur d’ondes. Sauf peut-être lorsqu’ils montaient ensemble quand ils étaient jeunes. La voix de son frère semblait parvenir d’un endroit lointain. Il redressa la tête alors qu’il finissait par saisir le sens de ses mots. Il n’avait sans doute pas tort. Encore un peu embrumé par ses propres pensées, il finit par se souvenir comment fonctionnait sa langue.

« C’est mieux que de passer la soirée à remuer la merde du passé et celle du présent. » Il ne parvenait plus à compter le nombre de verres. Cela ne pouvait signifier qu’une chose, c’était que la boisson commençait à faire son effet. Il attrapa la bouteille avec une dextérité relative. Buvant une rasade, il se redressa pour se diriger vers l’écurie.

« Qu’est-ce que t’attends ? Qu’il neige ? » Sans se retourner vers lui, se doutant que sa provocation suffirait, il se dirigea vers le lieu dans lequel il avait eu leur discussion précédemment. Tout était calme et silencieux. Seul le bruit de respirations des chevaux interrompait parfois le calme. Des bruits de sabot se faisaient parfois entendre également. Ils se dirigèrent vers le fond de l’écurie. Caden se tournant vers son frère adoré à l’approche du box d’Hadès. « Je suis sûr que t’es pas chiche de monter le cheval de notre cher père. » En lui lançant un regard de défi, il se dirigea vers Pythagore, son cheval. C’était une belle bête baie aux crins dorés présentant à la fois des traits espagnols et allemands. L’animal avait un bon caractère avec les cavaliers qu’il connaissait mais pouvait être la pire des teignes avec une nouvelle personne. Le père de Caden pouvait à peine approcher la bête sans que celle-ci se rebiffe au souvenir des coups de cravache que ce dernier lui avait déjà mis pour tenter de la mater sans succès. Ils burent encore une bonne partie de la bouteille alors qu’ils se dirigeaient pour attraper les selles. Ils ne regardèrent pas vraiment le nom des bêtes sur les écriteaux et prirent les premières qui se présentèrent à eux. Il sourit en constatant qu’Abel avait décidé de relever son défi. Il observa la selle comme si c’était la première fois qu’il la voyait. Alors qu’il buvait encore comme si ça pouvait l’aider à se souvenir de comment on plaçait cette chose barbare sur un cheval. Aucune sens ne lui convenait, il avait beau s’acharner, ça ne passait pas. Il râlait de frustration en bougonnant dans son coin lorsqu’il entendit la voix de son frère l’appelant.

Spoiler:

Il se dirigea vers le box de la bête récalcitrante se marrant comme un baudet. « Bah alors Babybel, on sait plus monter sur un cheval ? » dit-il narquoisement alors qu’il allait maladroitement vers lui pour lui faire la courte échelle pendant qu’Abel maintenait la bête. Il se demandait lui aussi comment il allait pouvoir monter sur son cheval. Au moins, il montait un cheval dont il avait l’habitude. Il savait que Pytha ne bougerait pas trop. Le tabouret devrait suffire. Alors qu’il réfléchissait, il poussa un peu trop fort la jambe de son cher frère envoyant celui-ci  valdinguer par-dessus croupe. L’hilarité le gagna. Il ne pouvait pas s’empêcher de rire à gorge déployée devant la scène improbable qui venait de se passer. Cela ne serait sans doute jamais arrivé s’ils avaient été tous les deux dans un état potable. Rire comme cela lui fit un bien fou. Il se demanda pourquoi son propre rire le surprenait. A bien y penser, cela faisait des années qu’il ne riait plus tant que cela. Sa vie avait pris ce tournant morose de la monotonie. L’apocalypse l’avait aidé à se libérer du poids de sa vie quotidienne d’une certaine manière. Il ne l’aurait pas dit mais parfois il rêvait de rentrer chez lui et que tout ait purement et simplement disparu. Que sa femme se soit barrée avec le jardinier et qu’il retrouve la paix à laquelle il aspirait tant. La seconde fois fut la bonne et il put s’en retourner pour monter sur sa propre bête qui l’attendait sagement. La détachant, il trouva un tabouret qui lui sembla incroyablement instable et se retrouva après un long moment de calcul lui aussi à cheval. La balade pouvait commencer. Ils se dirigèrent vers la forêt déserte aux alentours.

Ils auraient pu tomber sur des rôdeurs ou des pilleurs mais s’en foutaient complètement. Au mépris de tous les dangers, et même du temps qui se vouait plutôt gris, ils sortirent dans la pénombre qui s’installait. L’air frais fouetta le visage de Caden qui trouva qu’il n’avait pas bu depuis assez longtemps. Il se servit dans la bouteille qu’il avait pris la précaution d’emmener avant de partir. Il n’en restait qu’un fond qu’il tendit à Abel. Il eut du mal à la lui mettre dans la main mais l’échange fut finalement fait. Le cadavre de la bouteille fut bientôt abandonné. Le petit détail amusant fut qu’elle retomba sur le crâne d’un rôdeur définitivement éliminé dont le crâne se fendit un peu plus sous l’impact. Ils n’y prêtèrent pas attention plus que cela. Ils firent plus de trente minutes de balade avant d’arriver à l’endroit où ils faisaient la course étant jeune. C’était une longue ligne droite qui serpentait parfois un peu entre les arbres. Du côté gauche se trouvait des arbres à ne plus savoir quoi en faire et du côté droit une petite ravine qui longeait le rebord de la forêt. Un peu plus à l’est on trouvait une petite clairière avec un point d’eau. Pas besoin de préciser, qu’ils avaient tournés en rond une fois ou deux et qu’ils étaient bien incapables de se souvenir du chemin qu’il fallait prendre pour rentrer. Aucun d’eux ne devait savoir d’ailleurs leur  emplacement exact.

« T’es prêt à te faire rétamer, frérot ? » Il se rendit compte que l’alcool le rendait provocateur et bravache. Il se sentait rajeunir de plusieurs années.

Spoiler:

La course commença. Caden savait bien que son cheval n’était pas le plus rapide mais on pouvait toujours espérer que cet âne d’Hadès fasse une connerie à un moment. L’espoir ça fait un peu vivre.  Le cheval noir aimait aller vite et ça se sentait dans sa manière de se courber comme s’il voulait raser le sol le plus possible.  « Ouais, ouais «  se contenta-t-il de rétorquer dans un premier temps afin de taquiner l’ego de son frère. N’ayant jamais été un bon perdant, il rajouta au bout d’un moment. « Enfin, avec le cheval le plus rapide du ranch, c’est pas si dur hein. » Il avait toujours considéré Abel comme meilleur en tout. Peut-être était-il réellement le meilleur cavalier des deux. Ce ne serait pas bien surprenant, c’était déjà le meilleur fils.  Alors que son frère fanfaronnait, Caden s’agaçait intérieurement. Il aurait pu avoir la défaite beaucoup moins rageuse si l’autre n’avait pas eu la victoire aussi mauvaise. Il en était à espérer que le cheval fasse un écart inattendu et désarçonne le cavalier lorsqu’il regretta amèrement son souhait que le divin avait décidé d’accomplir. Caden voulut venir au secours de son frère mais ses réactions étaient ralenties par l’alcool. Il eut l’impression que de très longue secondes s’écoulèrent alors qu’il voyait le cheval d’Abel tourner dans un angle. La bête filait comme le vent et la nuit noire le rendit bien vite invisible. Il n’entendait que le bruit des sabots qui finit par devenir lointain. C’est ainsi que dans la nuit, bourré comme un coin, perdu au milieu de la forêt sans savoir où il était, il se mit en devoir de chercher son frère.

Il se morigéna d’avoir tant abusé de la boisson car il peinait à réfléchir. Tout était flou alors qu’il criait le nom de son frère comme une formule magique. « Abbbel !Bebel ! » grognait-il de sa voix pâteuse. « Troufion reviens ! » Il grommela et alors qu’il bifurquait vers la droite ; Abel avait-il pris la gauche ?  Impossible de s’en souvenir ; il se sentit incroyablement las. Il était fatigué et son frère ne répondait pas à ses appels. Le désespoir s’emparait de lui ainsi que sa phase descendante après l’amusement de l’alcool. Il avait terriblement sommeil. Il voulait juste dormir. Il sursauta quand ce cheval passa un petit ravin sans le prévenir. Il soupira, à présent encore plus au cœur de la forêt. Il aperçut un tronc d’arbre recouvert de mousse sur un côté. Sans y penser plus que cela, il descendit de cheval. Il trouverait plus facilement Abel à la lueur du jour quand il se serait enfin reposé car il avait le corps qui s’engourdissait. Sans plus penser à tout ça, il caressa la mousse et s’endormit d’un sommeil lourd d’ivrogne.

Quand il se réveilla un peu plus tard, le soleil était déjà très haut dans le ciel. Il se redressa et c’était encore pire que de se réveiller avec une inconnue moche dans son lit. Il avait carrément dormi sur l’inconnue alors que la menace des rôdeurs était une réalité. Il avait une barre sur le front. Son cheval broutait non loin de lui quand soudain, il se souvint. Abel avait disparu ! Il était peut-être mort à l’heure qu’il est. Toutefois, rien que d’imaginer crier son nom, sa tête lui tombait des épaules. Il prit le parti de remonter à cheval et de l’appeler avec une voix normale, en espérant que ce dernier ne s’était pas paumé trop loin. Hadès manquait à l’appel mais cette lopette avait du retourner fissa au ranch. Il commença alors sa marche de la honte à cheval et en appelant son frère de la voix la plus forte qu’il pouvait tolérer. « Abe ? T’es là ? »

le petit Caden dans la forêt:

« Putain mais t’étais là en fait ! » Il se sentit bien con d’avoir abandonné les recherches alors que manifestement son frère n’était pas très loin. Il avait l’impression qu’on tambourinait à son crâne. C’était comme si des milliers de singes avec chacun des cymbales s’amusaient à faire le bruit de possible. Il soupira de soulagement se disant que sa famille l’aurait tenu responsable si jamais Abel n’était pas revenu sain et sauf. Il fut rassuré même si les mecs ne se disaient pas ce genre de trucs entre eux voyons. « Et toi alors troufion ? Je t’ai cherché presque toute la nuit ! » heu.. dix minutes avant de s’endormir peut-être mais bon il ne fallait pas toujours la vérité ou la première chose qui nous venait en tête. « Ha…ha… je te parie que ce saligot est juste retourné au ranch en te laissant en plan. Ça te fait quoi de te faire poser un lapin par un cheval Abel ? » il ricana un peu en observant son frère. Quelque chose s’était débloqué dans leur relation, il arrivait à lui parler plus familièrement sans prendre ce ton sérieux et cérémonieux qu’il gardait tout le temps. A la place de cela, il s’était même permis de badiner un peu. Après une soirée comme celle-ci peut-être était-ce complètement logique. Ils finirent pas retourner au ranch prenant des tours sur le cheval parce que Caden n’était un enfant de salop qu’au sens figuré et pas au sens propre.

Le moins que l’on puisse dire c’était que le chemin avait pris une éternité. C’est fou comme la nuit et alcoolisé tout semble bien plus facile. Enfin, ils finirent par apercevoir les terres promises. « Je pensais pas être aussi content de revoir ce ranch un jour. » Quelques pas plus tard pourtant, ils furent tenus en joue. Et dire qu’il pensait que les gens du ranch seraient content de les voir rentrer sain et sauf.

« Oui, oui c’est ça. Tu vas nous tirer dessus peut être Wendel ? » demanda-t-il sarcastiquement alors qu’il se rapprochait les mains en l’air pour observer l’un des plus vieux employés du ranch accompagnés de plusieurs autres employés. « J’espère qu’au moins vous nous reconnaissez. » Il ne se rendait manifestement pas compte de son aspect extérieur. Couvert de boue et de crasse, les vêtements déchirés, il était à peine reconnaissable. Tout le monde connaissait le Caden qui faisait attention à son apparence et qui veillait à ne pas ressembler à un tas de boue qui aurait pris vie. « Vous nous prenez pour des cons,c’est ça ?! Vous ressemblez à personne que j’connais. C'est suspect que vous connaissiez mon nom ! » rajouta Wendel qui manifestement avait décidé de ne pas utiliser ses yeux ce matin. Il soupira alors que le canon de l’arme se trouvait à présent pointé contre son nez directement. « Heu, Abel, un petit coup de main ne serait pas de refus ici. » Visiblement, le ranch devait s’être mis en alerte quand Abel et Caden étaient restés introuvables. Il aperçut au loin Hadès qui broutait dans un pré. Si on lui avait demandé, il aurait juré que la sale bête le narguait du regard en ricanant bien du ridicule de la situation. Leur père n’était pas encore présent mais peut-être que le remue-ménage le ferait sortir de la sacro-sainte demeure des Rhodes.

ils furent tenus en joue:

Caden haussa les yeux car il savait déjà ce qui allait suivre. C’était prévisible. Il réalisa que c’était le nouveau palefrenier qui avait prononcé les dits mots. Le gars n’était pas une lumière pour sûr et il avait la langue un peu trop bien pendue. Il ne fit pas un mouvement pour arrêter le coup de poing bien mérité dans le visage de l’inconnu. Peut-être qu’il apprendrait à tourner sept fois sept sa langue dans sa bouche avant de parler ainsi au boss. Cependant, il n’allait pas pouvoir non plus le laisser défigurer un des nouveaux employés. Voilà qu’arrivait la bonne personne pour qu’Abel finisse par décolérer tiens. La silhouette fatiguée de son père faisait son apparition sur le perron. L’homme avait le poids des années qui le marquait. Ça lui donnait un air plus vulnérable qui le rendait encore plus terrifiant quand il explosait. Ce qui vu la plissure intense de son nez risquait de ne pas tarder. Il se retrouva bientôt à hauteur des autres. Sa voix ferme et autoritaire imposait naturellement le silence.

« Abel » car c’était évident que celui qui venait de cogner le palefrenier ne pouvait être que le sanguin. Son ton commença à devenir de plus en plus menaçant. « Ton frère et toi avez disparu, en n’oubliant pas de siffler une bouteille de MON alcool, en emmenant MON cheval et maintenant en plus vous revenez la fleur au fusil tout en profitant pour frapper MON palefrenier ! » Le ton avait monté crescendo. « Si j’avais encore ma force d’antan, c’est à toi que j’aurais fait perdre des dents mon garçon » Il exultait de rage ne faisant pour l’instant pas attention à Caden qui représentait pour lui une quantité négligeable. Caden n’avait pas assez de caractère pour être l’instigateur de tout cela à son avis. Ce n’était qu’un reliquat de ce qu’il y avait de meilleur chez les Rhodes. Il n’avait pas grand-chose pour lui que le père admirait sincèrement. Il avait toujours eu du mal avec ce fils qui ne lui ressemblait pas et qui ne serait jamais celui qu’il avait toujours attendu. Le fils sur lequel il plaçait tous ses espoirs ne pouvait pas le décevoir. Il n’en avait pas le droit. Caden vit la main se lever et pour la première fois de sa vie, il eut la réaction de vouloir défendre son grand-frère. Il se plaça entre la main et son frère regardant fermement son père et répondant froidement.

« Au cas où tu ne m’aurais pas vu, je suis là père. Tu ne frapperas plus jamais personne de cette famille tant que je serais vivant. Tu devrais être rassuré que tes deux fils soient en bonne santé. Oui parce qu’au cas où tu ne saches pas, tu en as deux des fils. Ton cheval va bien, ta cave s’en remettra, tes fils vont bien et ton ego tout le monde s’en contre fout. Maintenant, tu retournes te coucher parce que tu sais toi-même que tu dois te reposer. C’est pas que ça m’intéresse si tu cannes ou non mais ça ferait tâche si je ne me comportais pas en bon fils pour mon si bon père. » Caden n’avait pas réfléchi à ce qu’il faisait. C’était sans doute une des premières fois qu’il faisait front contre son père pour protéger un membre de sa famille. Il ne pensait pas qu’Abel avait besoin d’aide, loin de là, mais il avait ressenti cet élan de fraternité comme si en ce matin même il avait découvert qu’il était le frère de quelqu’un.

haaaan tu sais pas quoi répondre hein ?:

Caden n’avait pas bougé et il n’avait pas desserré les dents non plus. Ça ne servait à rien de se défendre contre cet homme qui ne comprendrait jamais rien à rien. Il l’observait silencieusement déverser son venin avec la force de l’habitude. Il ne voulait pas se livrer, il ne voulait pas parler de sa mère car ça aurait été la salir que d’essayer de faire entendre raison à cet individu. Il soupira, et en le voyant chanceler ne réagit pas. Pourquoi ? Pas parce que, comme il le clamait il n’en avait rien à foutre, mais parce qu’il savait que c’était le rôle du fils prodigue de s’occuper de son père. Ce vieux fou aurait été fichu de refuser son aide avec sa fierté mal placée. Sa faiblesse fut d’ailleurs bien passagère parce que déjà il reportait l’accusation sur Caden. Le vétérinaire n’était pas si con que cela, et sa volonté avait été de faire en sorte de prendre le coup pour son frère. Jeune, il en avait voulu plus d’une fois à Abel quand il se faisait gronder ou rosser pour lui, mais aujourd’hui la donne était différente. Décider d’assumer le blâme, ça n’avait rien de difficile. Il portait le blâme d’être né depuis toujours. Son amertume se trouva titillé malgré tout. Il avait envie de lui hurler sa rage et de lui dire qu’il avait tout fait pour être aimé pour être le meilleur et que ça n’avait jamais été suffisant. Il voulait lui demander pourquoi est-ce que c’était si difficile de l’aimer ? Est-ce qu’il était si monstrueux ? Qu’est-ce qu’il avait bien pu rater pour que son propre père ne daigne lui accorder de l’importance que lorsqu’il y avait un poulain à la clé ? Il voulait lui dire qu’il avait toujours voulu qu’on soit fier de lui. Il aurait aimé entendre ces mots et ressentir leur force car on n’avait qu’un seul père et que ça soit un connard ou non, ça ne changeait foutrement rien. On voulait la reconnaissance, et plus que cela, on désirait l’amour. Caden savait qu’il ne serait jamais ni aimé ni apprécié comme il l’aurait voulu et sa rage bouillonnait intérieurement. Il ne supportait pas d’être ainsi rejeté tous les jours. Encore et encore. Nuit après nuit il ressassait tout ça dans la solitude de sa chambre. Ça ne changeait rien, et ça ne faisait qu’embraser le feu de sa rancœur. Toutes ses pensées passèrent en un éclair dans son esprit.

Il n’avait pas besoin de répondre pour approuver ou désapprouver la remarque de son père. Il se contenta de se détourner pour aller voir à quoi il ressemblait. Ce ne devait pas être très joli à voir vu que les membres du ranch ne les avaient même pas reconnu. Il ne demandait pas de remerciements de la part d'Abel, car il ‘était bien assez clairvoyant pour savoir qu’il n’en aurait pas. Ils n’étaient pas assez proches ni assez complices pour parvenir à savoir ce que l’un attendait de l’autre. Au fond, Caden se complaisait à penser qu’Abel comme son paternel n’attendait pas grand-chose si ce n’est qu’on lui foute la paix. Il appréciait sans doute d’être le digne héritier des Rhodes. Caden ne lui en voulait pas parce que ça n’était pas un titre qu’il briguait. Ce qu’il aurait voulu était bien plus inaccessible. Il en prenait à chaque instant un peu plus conscience. N’ayant jamais véritablement connu l’amour d’une femme et découvrant à peine son lien fraternel, il se sentait cruellement seul. Il n’avait aucune idée de ce qu’on ressentait quand on donnait et qu’on nous offrait en retour. Il n’avait jamais réalisé que c’était sa mère qui tenait ce rôle avant qu’elle ne meure. Il s’en voulait de lui avoir infligé ce que lui-même avait subi. Il arriva bientôt à l’écurie en se disant qu’avec l’âge qui passait et l’apocalypse qui n’aiderait sans doute pas, il risquait de finir par passer sa vie seul avec les chevaux. Il n’avait pas de mal à trouver une demoiselle pour lui tenir compagnie le temps d’une nuit mais il n’avait jamais ressenti une véritable connexion avec personne. Sa première femme était juste le meilleur rapport qualité/prix qu’il avait trouvé. C’est dans ses pensées moroses qu’il parvint jusqu’à l’écurie laissant sa jument se reposer. Alors qu’il l’étrillait, il se dit que le tableau n’était pas si noir car il avait la sensation pour la première fois de sa vie d’avoir un frère.

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