Still secrets remaining ∆ Nino

Eòghan avait les yeux rivés sur le plafond. Il eut le temps de scruter chaque millimètre de la pièce et de tourner et retourner ses pensées dans son esprit, à défaut de pouvoir le faire dans son lit sans que ses mouvements ne lui fassent un mal de chien. Toutes les questions auxquelles il n’avait pu apporter de réponses directes parce qu’il n’était pas capable de les prononcer de vive voix, revenaient sans cesse dans son esprit et il avait renoncé à les chasser. Pourquoi était-il parti ? Comment avait-il pu se retrouver en si piteux état ? Pourquoi est-ce qu’il n’avait demandé à personne de l’accompagner dans le Kentucky ? Et surtout : que pouvait-il bien avoir vu pour ne plus user de sa voix ? Il n’était pas encore prêt à le raconter. Se remettre d’aplomb n’était déjà pas tâche facile, il devait aussi se reconstruire moralement. Joey était tout autant coincé dans l’ignorance que leurs amis, mais il devait certainement savoir pourquoi Jet avait filé à l’anglaise au début de l’été. Enfin, si ce n’était toujours pas le cas, il le comprendrait bien assez tôt.

Pour l’heure, le brun mourrait d’envie de fumer une cigarette. Dehors, l’obscurité avait absorbé Olympia. Ils devaient être au beau milieu de la nuit. Il n’entendait aucun bruit à l’extérieur ou dans la maison dans laquelle ses amis l’avaient accueilli. Doucement, Eòghan repoussa sa couverture et tenta de s’asseoir. Il serra les dents et s’appuya sur ses mains. Moya se réveilla lorsqu’il posa les pieds sur le sol. Ils échangèrent un long regard, comme si elle incitait son maître à essayer de se tenir sur ses deux jambes. Enfiler un pantalon était certainement ce qu’il y avait de plus difficile, mais il y parvint au bout d’un certain temps. Du mieux qu’il put, à pas de velours, le mécanicien sortit de la chambre que les trois survivants lui avaient gracieusement donnée. Un jour, alors qu’il prétendait dormir, il se souvenait avoir entendu ses colocataires parler de Lenny, la sœur de Nino et apparemment, le lit dans lequel Jet dormait appartenait à la sœur de l’Olympien. Personne ne lui avait encore rien dit et il se doutait que quelque chose clochait comme il ne l’avait plus revue depuis son départ… Et c’était le cas aussi pour son ami, rencontré à la Mine, qu’il avait juste aperçu depuis qu’il s’était réveillé la semaine précédente.

Dehors, la température était douce. Le survivant resta un instant sur le seuil de la porte d’entrée, les yeux clos, pour laisser la brise légère chatouiller ses cheveux en bataille. Moya se faufila avant qu’il ne referme derrière lui et s’allongea à ses côtés. Il glissa son bras dans le dos de l’animal et lui gratouilla la tête. La fin du monde avait rendu l’existence des âmes qui avaient échappé au fléau bien trop silencieuses. Il était seul, dehors, assis sur l'un des deux tabourets, à attendre que le sommeil l’emporte. Son horloge interne était complètement déréglée. Il appuya son dos à la façade de la cabane et observa pendant un long moment les étoiles scintillantes dans le ciel noir. Il glissa sa main libre sous son t-shirt et du bout des doigts, il parcourait les points de suture. Le calme et le spectacle merveilleux que lui offrait la nuit le déconcentrèrent, il avait oublié le nombre d’entailles qu’avaient laissées les lames dans son abdomen. L’envie de mettre le nez dehors avait été plus forte que celle de fumer, il avait laissé ses cigarettes à l’intérieur. Le cliquetis de la poignée attira son attention et la porte d’entrée s’ouvrit sur une silhouette que l’ancien fugitif reconnu. Eòghan déglutit. Le visage de Nino s’était à moitié estompé dans sa mémoire depuis qu’il avait quitté son groupe d’amis et comme il l’avait à peine revu depuis son retour, il n’avait pas eu le temps de rafraîchir ses souvenirs. Son rythme cardiaque s’accéléra. Telle une avalanche, la culpabilité le submergea. Comme s’il avait bâti un mur entre lui et ses mauvaises décisions passées, il venait de s’effondrer à l’instant même où l’ancien Miner s’était révélé devant chez lui. Jet détourna les yeux après un instant. Son regard laissait sous entendre qu’il avait vu un fantôme. Dévisager inconsciemment son ami était une attitude maladroite qui pouvait le trahir. Le mécanicien n’était pas prêt à raconter la vérité. Sa vérité. Or, il devait arracher le pansement, même s’il devait trahir Joey au passage.

« Tu ne dors pas ? » Eóghan se mordilla l’intérieur de la lèvre. Non, il n’y arrivait pas. Alors il releva à nouveau les yeux vers Nino sans dire quoique ce soit, puis reporta son attention vers le sol. Avec le bout de sa botte, il traça le mot « overthink » dans la terre sèche, presque sablonneuse. Dans sa poche, il avait toujours du papier et un stylo que Portia lui avait donné à son réveil. Il l’utilisera plus tard. Toujours avec son pied, il effaça d’un geste horizontal ce qu’il venait d’écrire par terre, pour inscrire par-dessus « u ? » Il se doutait que son colocataire vivait mal depuis quelques temps et que c’était probablement pour cette raison qu’il ne parvenait pas à fermer l’œil. Il se souvenait de toute la force qu’il lui avait fallut pour retrouver sa jeune sœur Lenny. Son absence devait être un coup dur et pour ça, le brun à la mèche rebelle ne pouvait que comprendre sa peine.

Ils n’avaient pas encore pu s’asseoir et discuter car eu fond de lui, Eóghan était persuadé que les deux adultes n’auraient pas grand-chose à se raconter et s’ils parvenaient à trouver les mots, l’ancien fugitif aurait du mal à cacher plus longtemps le secret qui les avaient séparés. À cet instant, il regrettait presque d’avoir été ramené à Olympia. La même force qu’il avait utilisée pour retrouver ses mères lui avait fait oublier la culpabilité qu’il ressentait encore en quittant le Texas. Elle avait même été remplacée par d’autres sentiments néfastes à son retour, mais également d’autres remords liés au fait qu’il n’aurait jamais du quitter le Kentucky au tout début de l’épidémie.

Le mécano était aussi honteux à l’idée de ne pas avoir été présent pour Nino. Il était conscient que son absence avait été engendrée par un profond égoïsme mêlé à l’absurdité de ses actes ayant entrainé la mort de Anita Jones. Alors, il effaça encore une fois ce qu’il avait écrit pour le remplacer par un « sorry » solitaire, dénué de sens, mais à la fois révélateur. Un pardon pouvant signifier qu’il regrettait d’être parti, de ne pas avoir été présent pour son ami, d’être un con égoïste, d’être revenu dans un état lamentable, de lui avoir fait peur, de l’avoir laissé tomber… « I’m such a dick. » Aurait-il aimé ajouter, mais il garda ces mots pour lui. Ses cheveux brun glissèrent alors qu’il avait baissé la tête vers son unique mot d’excuse, vague et à la fois sincère.

Non, il ne dormait pas parce qu’il regrettait ce qu’il était devenu. For fuck’s sake ! Il était pourtant un mec loyal qui avait échoué à chaque fois qu’il avait cherché à entreprendre quelque chose de concret. D’abord Siobhàn et Yseult, ensuite son meilleur ami disparu depuis l’évasion du Mall, puis toute sa fratrie. Oui, il était un abruti qui n’avait fait qu’enchaîner les mauvais choix. Il ne s’était pas préoccupé suffisamment de ceux qu’il considérait comme ses amis et qui lui avaient sauvé la vie plus d’une fois. Les yeux brillants, il releva la tête vers les étoiles sans pour autant regarder Nino, puis il passa une main dans ses cheveux bruns pour rabattre sa grande mèche sur le dessus de sa tête.