« How dare you martyr me ? »
All of us are lost in this hell
Before the end.
1991 – 2006 Ce récit, il ne l’entendit jamais. Il n’est pas né dans le Kentucky, il n’est pas né à Madisonville, ni aux Etats-Unis. Eòghan a vu le jour en Irlande, à Dublin, dans un misérable foyer. À l’origine, sa mère ne voulait pas de lui et son attitude souleva l’inquiétude du service hospitalier qui l’avait prise en charge. Elle présentait des séquelles physiques et mentales alarmantes. Ancienne addict aux amphètes, de fil en aiguille, les infirmiers purent faire le lien entre cette nouvelle maman hystérique sur son lit d’hôpital et l’adolescente enfermée en désintox, puis dans une unité psychiatrique quelques années plus tôt avant de gentiment retourner dans les bras de son détracteur de vingt ans son aîné. Un homme alcoolique, colérique, ayant fumé toute sa vie, en proie au cancer. Ce dangereux couple, plus que jamais dans le collimateur des services sociaux, n’avait qu’un faux pas à faire pour que leur progéniture passe le seuil de leur misérable porte d’appartement dans des bras autres que les leurs. Leur environnement les trahit à la suite d’une plainte pour violence conjugale. La police se saisit du nourrisson que ses parents avaient appelé Octave, au milieu d’un nuage de fumée de nicotine, d’une mère tiraillée entre une crise de larmes et d’hystérie et d’un père ivre qui se montra sous son vrai jour en essayant de boxer l’un des agents. Le géniteur fut rapidement immobilisé puis conduit au poste. Le dénommé Octave, lui, passa la nuit dans un foyer pour l’enfance. Malgré le peu de temps qu’il séjourna chez ses parents biologiques, le médecin qui se chargea du petit garçon craignait que celui-ci développerait de l’asthme dans un avenir proche, mais aussi qu’il serait probablement sensible à diverses pathologies mentales.
Quelques jours plus tard, deux chevelures longues et rousses dont les pointes formaient de gracieuses boucles dans leurs dos, étaient attendue un matin à l’heure d’ouverture du foyer. Yseult O’Mara et Siobhàn Hopkins attendaient depuis des années de pouvoir adopter un enfant. Toutes deux de professions médicales, l’une était psychologue et l’autre chirurgienne. Elles avaient été mises sur le dossier dans l’urgence et n’avaient pas manqué une occasion de rencontrer celui qui pourrait être leur futur fils. Six mois plus tard, la période d’essai fut validée avec succès, la jeune famille s’envolait pour le Kentucky, aux Etats-Unis pour y commencer leur nouvelle vie à Madisonville, en compagnie de leur enfant Eòghan.
La justice était ce que le garçon aux yeux bleu de Cæruleum réclamait le plus souvent. Il ne s’est jamais pris pour le justicier masqué à l’école. En vérité, plus il grandissait, moins Eòghan n’intervenait dans les conflits et lorsqu’il le faisait, il avait tendance à serrer les poings en premier. Sa première suspension eut lieu en Junior High, puis elles se multiplièrent au lycée. Il défendait d’une part, ses camarades de classe mis de côté par les autres sans raisons apparentes ; d’autre part, ses mères qui n’étaient soit disant pas
normales et enfin lui-même, car certains camarades et leurs parents pensaient qu’Eòghan serait un enfant problématique, issu d’une fécondation in vitro d’après une rumeur, élevé sans la présence d’
un mâle alpha… Autant de préjugés dans les années 90 qui n’auraient pu s’arranger avant une vingtaine d’années. Il ne souffrit guère d’être élevé par des femmes, bien au contraire. Il se sentait plus libre et moins jugé, il pouvait aimer qui il souhaitait et raconter toutes ses histoires à Yseult et Siobhàn sans craindre les regards emplis de stupéfaction voire de déception à chaque nouveauté. Leur fils découvrait le monde à sa manière, en explorant et parfois en se battant pour la justice. Il ne manquait de rien. Ni d’amour, ni d’audace, ni de caractère. Pour cela, Il avait la chance de vivre dans un milieu qui respectait ce mode de vie, mais ailleurs, l’atmosphère n’était pas aussi favorable à cette forme de liberté. Siobhàn l’avait bien remarqué alors qu’elle assistait à une réunion de parents. Un attroupement de femmes au foyer parlait du
gamin de la caravane en bordure de la route, elles mentionnaient vaguement les violences dont il était victime et s’attardaient sur l’état de ses vêtements ou son hygiène. Le lendemain, la rousse insista auprès de sa femme pour venir chercher leur fils à l’école et se renseigna sur l’identité de l’enfant qui semblait avoir été oublié par ses parents. Mikh Sloan. Elle s’approcha, d’abord curieuse, puis dissimula toute la consternation qui la possédait lorsqu’elle remarqua les bleus et les blessures. Cette rencontre s’acheva bien vite, lorsque le jeune garçon aux yeux aussi bleus que ceux de son fils refusa tout dialogue et l’envoya paître. Sa situation ne semblait pas aller en s’améliorant et Eòghan qui n’avait pas été indifférent à la présence de Mikh depuis un moment déjà, s’était à son tour inquiété de son état, mais à nouveau, le dialogue fut court. Le garçon né en Irlande n’était pas du genre à insister, il se retira malgré un point final beaucoup plus cordial que lors de la tentative de Siobhàn. Il fallut qu’un orage s’abatte sur Madisonville, que Mikh Sloan vagabonde amoché sous une averse torrentielle, que Eòghan regarde par la fenêtre de sa chambre au moment exact où son camarade marchait au milieu de la route, pour que le jeune Hopkins ne décide d'aller à sa rencontre. De son accent British bien prononcé, il l’invita à venir s’abriter chez lui et dans la minute qui suivit, Yseult et Siobhàn prirent le relais en l’enroulant dans une couverture et en pensant ses plaies. À la suite de cet évènement, le vide que représentait la relation entre les deux adolescents se transforma en gêne. Eòghan s’en voulait d’avoir interféré dans la vie de Mikh alors qu’il le connaissait seulement de vue avant l’orage. Il se contentait de le saluer, de lui sourire lorsqu’il le pouvait et par-dessus tout, de cacher son béguin croissant de jour en jour.
Après toutes ces années, Madisonville demeurait toujours la même petite ville du Kentucky et les adolescents se retrouvèrent à Madison High. Impossible pour Eòghan de détourner les yeux en la présence de Mikh et à mesure que le temps passait, il n’en avait presque plus rien à faire de trahir ce qu’il ressentait tout en gardant ses distances. À la même période, alors qu’il avait environ une quinzaine d’années, il se montrait encore moins assidu en cours, plus distrait, et ne pouvait s’empêcher d’enchaîner les délits mineurs. Sa spécialité était de sortir en douce de chez lui la nuit pour aller taguer des façades ou des murs de bâtiments en ruines. Il s’est aussi retrouvé en garde à vue pour s’être battu à l’extérieur du lycée avec un gosse de riche –et sa bande- qui ne cessait de le prendre pour cible et le moquer depuis l’enfance. Ce ne fut qu’au début de sa relation avec Mikh qu’Eòghan rangea un peu ses mauvaises habitudes et profita pleinement de son lien avec le plus jeune des Sloan. Celui-ci, craintif vis-à-vis de sa communauté et principalement ses parents, préférait garder leur relation secrète aux yeux du public. La situation dépassait complètement Eòghan, entre l’arrestation du frère ainé de son copain à la suite de la mort de son père, il voyait que celui qu’il aimait se détachait peu à peu de lui et se laissait conquérir par la montagne de soucis qui s’accumulait de jour en jour dans sa vie. Hopkins ne parvenait pas à suivre malgré ses vaines tentatives et se sentait sans arrêt mis en touche, mais il n’aurait jamais imaginé que leur lien serait rompu aussi brutalement. Mikh disparut à partir du mois de juillet 2006 et Eòghan eut beau passer la ville au peigne fin, il ne trouva plus aucune trace du jeune Sloan, ni de sa sœur Gracie. Ils s’étaient tout bonnement volatilisés. Le lycéen, à présent seul, se noya dans sa peine et recommença ses bêtises sous les yeux de ses mères qui eurent beau sévir, mais le garçon ne semblait jamais retenir la leçon. Il enchaîna les relations pendant l’été, mais celles-ci ne duraient jamais bien longtemps. Peu de temps après sa rentrée, Eòghan fut prit en flagrant délit de vandalisme. Il taguait la façade de la maison d'un sénateur Républicain lorsqu’un policier vint le cueillir alors que l’adolescent s’apprêtait à mettre les voiles. Ce fut la goutte de trop pour les autorités et le jeune homme dut purger une peine de quelques mois en prison pour mineurs à Louisville. Cette
expérience l’endurcit, or il en sortit encore plus révolté qu’à son arrivée. Ses conditions de vie et le traitement infligé aux détenus lui donnèrent des idées encore plus radicales. Lorsqu’il revint à Madison High, son avenir semblait tout tracé sur son dossier scolaire, ainsi que sa réputation, mais l’entraîneur de l’équipe de football se reconnaissait dans la hargne du jeune Hopkins et il lui proposa de participer à un test de sélection. Son temps de réaction, ses réflexes et sa vitesse lui permirent d’intégrer l’équipe au poste de running back.
Every night the dream's always the same
2007 – 2015 Oubliant les sourires, vêtu presqu’entièrement de noir, Eòghan passait ses dernières années de lycée dans le cabinet de son psychologue, sur le terrain de football de Madison High ou à gribouiller. Repoussant le plus possible la popularité prodiguée par son poste dans l’équipe, il était le seul à ne jamais porter son blouson aux couleurs de l’école. Il préférait se tenir à l’écart de ses coéquipiers et de leurs soirées ennuyeuses. Il préférait largement trainer seul à l’extérieur, loin de la populace lycéenne. Alors qu’il taguait un mur dans une usine désaffectée un peu en dehors de Madisonville, un groupe de jeunes lui tomba dessus. Une dizaine contre un, Hopkins étudia le peu de chances qu’il avait de s’en sortir indemne et préféra lentement lever les mains en l’air, une bombe de peinture entre ses doigts, son masque à gaz sur le nez, pour signifier qu’il se rendait et ne voulait pas de problèmes. Après quelques secondes de silence, l’un des gamins s’extirpa de son cercle d’amis faisant face à Eòghan et lui demanda, stupéfait, s’il était à l’origine de la fresque en construction qui s’étendait sur le mur derrière lui. À partir de ce soir-là, le lycéen se lia d’amitié avec le groupe venu d’Evansville, mais les festivités furent de courte durée, car il entra peu de temps après à l’université. En tout cas, sa relation avec ses mères ne se dégradait pas pour autant. Elles avaient été le pilier de leur fils depuis le départ de Mikh et la disparition de ce dernier les attrista. Yseult eut l’idée de remotiver son garçon en lui enseignant tout ce qu’elle savait sur la mécanique automobile. Peu enthousiaste au début, Eòghan développa un réel intérêt pour ce domaine et réduisit considérablement ses sorties nocturnes pour travailler sous le capot d’une vieille voiture que sa mère restaurait. Quelques mois plus tard, cette dernière franchit la porte de leur garage avec une épave de roadster et proposa au lycéen de la restaurer ensemble. Au bout de quelques mois, l’adolescent était enfin véhiculé.
The apocalypse Lexington, UK collège of design. Le jeune brun s’attendait à rester seul la majorité de son temps et regrettait presque parfois d’avoir choisi le monde des études supérieures au travail, directement à sa sortie du lycée. Il avait parfois l’impression de perdre son temps, même s’il s’était retrouvé dans une collocation agréable avec un groupe d’étudiants qui devinrent rapidement ses amis. Il retrouva même l’un des délinquants qui avait été en juvy en même temps que lui deux ans auparavant et les deux jeunes hommes s’entendaient comme larrons en foire, mais ce fut de courte durée, encore une fois. Lorsqu’Eòghan se rapprocha de la vingtaine, une nouvelle alarmante avait pris possession de l’intégralité des chaînes de télévision.
L’influenza. Au début, la bande d’étudiants vivant sous le même toit se fichait un peu de la fameuse grippe ravageuse, croyant qu’il s’agissait plus d’une vilaine épidémie que d’un réel fléau. Ils prirent conscience de leur erreur lorsque le campus fut atteint et que dans la panique, tous durent prendre leurs jambes à leur cou. Le plus proche ami d’Eòghan accepta de le suivre jusqu’à Madisonville, il devait à tout prix rentrer chez lui pour s’assurer que ses mères allaient bien. Ces dernières s’étaient barricadées chez elles et s’étaient transformées en deux survivalistes armées jusqu’aux dents. Chacune dormait seulement quelques heures par nuit tout en montant la garde à tour de rôle et ne quittait jamais son fusil à pompe des yeux, elles les trainaient avec elles jusque dans la salle de bain ou aux toilettes. Cependant, survivre de cette manière pouvait durer un temps, mais pas éternellement. Alors, au bout de plusieurs semaines et constatant que leurs ressources viendraient à manquer sous peu, les deux anciens étudiants transformés en survivants contre leur gré, avaient décidé de sortir de la maison des Hopkins pour trouver de quoi se sustenter et éventuellement, trouver un moyen de se débarrasser des
nuisibles.
Eòghan se souviendra probablement toute sa vie de son premier rôdeur et du sort de ce dernier. Il ne supportait pas les armes à feu et préférait se défendre au corps à corps qu’à distance. Armé d’une hache, il pensait qu’en décapitant les parasites qui erraient en ville, il pourrait s’en tirer à bon compte or il réalisa très vite que c’était inutile, tout comme son ancien compagnon de chambrée. Ce dernier eut la chance d’être équipé d’une masse et pulvérisa le crâne de leur premier rôdeur. Devant un tel spectacle, Hopkins vomit, réalisant assez vite qu’il serait incapable de reproduire un tel acte pour assurer sa survie. Ils comprirent aussi qu’il leur était presque impossible de pouvoir sortir de la maison. Plus le temps passait, plus le nombre de rôdeurs augmentait malgré leurs sorties quotidiennes. Eòghan était persuadé de ne pas pouvoir passer l’année 2011, mais alors qu’un jour ils se sentaient submergés, une dizaine d’individus équipés de battes de baseball et autres armes contondantes leur prêta main forte. Lorsqu’ils purent tous s’isoler sans craindre d’être bouffés, l’ancien footballeur reconnu plusieurs visages. La bande d’Evansville avait elle aussi eu l’idée de descendre faire le nettoyage à Madisonville. Alors qu’Yseult et Siobhàn devenaient les gardiennes d’un groupe de douze personnes sous leur toit, le compagnon d’Eòghan avoua s’inquiéter pour sa sœur depuis des semaines. Le brun se sentait entièrement redevable pour son ami et décida de l’accompagner vers l’ouest du Kentucky avec cinq autres membres de la bande d’Evansville, laissant les autres et ses mères derrière lui.
Alors qu’ils ratissaient l’ouest de l’Etat, les jeunes commençaient à perdre espoir, tout comme le meneur toujours en quête de sa sœur. Après avoir nettoyé un immeuble d’une petite bourgade et s’être installés au dernier étage, Hopkins repéra des ombres qui se déplaçaient dans la rue sous une pluie diluvienne. Craignant que des rôdeurs revenaient en meute et que ces derniers les empêcheraient de sortir le lendemain à l’aube, les jeunes adultes reprirent leurs armes et sortirent pour éradiquer la vermine une bonne fois pour toutes. Plutôt qu’un nettoyage, le groupuscule créa une violente bagarre et lorsque tous réalisèrent qu’ils s’attaquaient à des humains bien en vie, les combats cessèrent. Eòghan reprit alors ses esprits et quand ses yeux firent leur mise au point sur un visage en particulier, il perdit son sang froid. Il se rua alors sur sa cible et ne put s’empêcher de lui coller une droite. Il ôta son masque à gaz ainsi que sa capuche, dévoilant alors complètement son visage et hurla à sa victime «
Je te cherche depuis cinq ans, enfoiré ! Tu m’as lâché comme une merde ! » Puis il s’écarta, fit un tour sur lui-même, passa ses mains violemment dans ses cheveux, et cria une dernière fois, le visage ruisselant de gouttes de pluie, «
Bordel ! Mikh Sloan ! Tu fais chier ! »
Les Redeemers. Voilà le groupe auquel la troupe d’Evansville s’était attaquée. Certains avaient été blessés dans l’affrontement, mais à part de gros hématomes, rien de grave n’était à déplorer. Même après plusieurs heures, l’ancien footballeur n’en revenait pas. Il aurait aimé poser des milliers de questions à son ex petit ami, mais pour l’heure, il préférait être furieux et arborer un masque de glace. Alors, toute la nuit, Eòghan resta assis à l’autre bout de la pièce que la troupe d’Evansville avait nettoyée de ses rôdeurs, se tenant le plus loin possible de Mikh et des éventuelles excuses qu’il aurait pu lui raconter pour se racheter. Alors qu’ils étaient les deux seuls éveillés à monter la garde, le concerné lui-même se rapprocha d’Hopkins. Pour une fois que les rôles étaient inversés, il était le seul à faire la conversation. Le brun, tout de noir vêtu, répondait par des onomatopées graves en tâchant de masquer au mieux sont intérêt pour le fugitif. Il ne put détourner les yeux lorsque celui-ci lui proposa de le rejoindre dans les Redeemers. D’abord dubitatif, le mécano promit de donner une décision le matin venu. Il ne pouvait pas laisser son ami de l’université en plan alors qu’il lui avait sauvé la vie plus d’une fois et qu’il n’avait jamais eu l’occasion de lui rendre la pareille. Quelques heures plus tard, Eòghan s’entretenait avec lui. Il renonçait aux recherches pour le moment. Leur troupe serait bientôt trop limitée pour reprendre la route seule, alors Hopkins accepta la proposition de Mikh et ses alliés se greffèrent au groupe du frère ainé, Tobias.
Il lui avait fallut du temps avant d’accepter d’avoir une conversation avec le plus jeune des Sloan. Un jour, un peu avant l’automne 2011, l’ancien footballeur ne put se retenir plus longtemps. Pour un détail idiot, il provoqua une énorme dispute en mettant, bien entendu, toute les raisons de sa colère refoulée pendant cinq ans sur le tapis. Il eut l’envie de prendre ses affaires et se barrer à son tour, impulsivement. Au lieu de ça, Mikh lui avoua qu’il avait tué son père par accident et que Tobias avait avoué le crime à sa place. Eòghan, les sourcils froncés, sa rage caractéristique peinte sur le visage, au fond de lui, il n’en revenait pas. Pourquoi ne lui avait-il rien dit ? Que pouvait-il bien lui cacher d’autre ? Où était-il parti depuis tout ce temps ? Encore frileux à l’idée de renouer avec le fugitif, Hopkins préféra se calmer à l’écart un moment avant de revenir de lui-même pour finir leur conversation. De jour en jour, Il réussit à calmer ses nerfs et à accepter un dialogue sans escarmouches. Il se laissa même reconquérir par ses sentiments qu’il pensait disparus à jamais et cette fois, les deux jeunes adultes purent reprendre leur relation là où ils l’avaient laissée.
Trois ans et demi plus tard, les évènements tournèrent au vinaigre. Tiraillé par l’envie de retourner à Madisonville pour y retrouver ses mères, Eòghan se laissa embarquer dans une mission suicide. La prise de San Antonio. Alors que tout semblait aller pour le mieux pour les Redeemers, que le convoi s’agrandissait à mesure que les jours passaient, Tobias Sloan eut la brillante idée de vouloir conquérir la deuxième ville du Texas. Complètement retissant à ce fantasme, Hopkins était dos au mur, mais il n’était qu’un soldat. Il ne pouvait pas contredire leur chef en le décrédibilisant devant la troupe entière, annonçant à tous que son plan n’était qu’une pure folie. Il se promit alors que s’il survivait à l’attaque, il retournerait dans le Kentucky et seul, s’il le fallait. Blessé, Eòghan s’en sortit à bout de forces. Son meilleur ami, autrefois colocataire à l’université, avait eu moins de chance, mais fut aussi épargné par la mort. En revanche, deux des membres d’Evansville avait péri dans l’offensive et les trois restants, survoltés, refusèrent d’avoir à nouveau affaire avec les Redeemers. Mikhaïl tenta de résonner Hopkins en lui confiant qu’il était persuadé que Tobias était encore vivant et qu’il avait l’intention de retourner le chercher. Eòghan refusa l’invitation, certain que le destin ne lui offrirait pas de seconde chance. Fidèle à la promesse qu’il s’était fait, le jeune homme en noir rebroussa chemin et repartit vers le nord est, en direction du Kentucky, en accord avec les survivants d’Evansville. Cependant, le retour ne se fit pas comme prévu. Aux abords de San Marcos, les cinq survivants ne se réjouirent pas bien longtemps d’apercevoir la ville à l’horizon. L’ancien colocataire du mécano souleva un détail important : aucun nuisible ne rôdait aux alentours, comme si le ménage avait été fait assez récemment. Prudents, ils essayèrent de prendre une autre route, mais leur plan tomba à l’eau. Des dingues leur tombèrent dessus, intrépides, ils ne laissèrent aucune chance aux natifs du Kentucky qui devinrent leurs prisonniers. L’un d’eux perdit la vie lors de leur tentative de fuite, avant même de se faire capturer. Eòghan voulut immédiatement le venger, mais il prit un coup si violent à l’arrière de la tête qu’il perdit connaissance.
Il s’éveilla dans une pièce sombre, dépossédé de son masque à gaz et de son perfecto. Le jeune homme en noir se releva très vite malgré une atroce migraine liée au coup qu’il s’était pris sur le crâne et tenta de sortir en enfonçant la porte à coup d’épaule. Il n’avait pas pris le temps de regarder autour de lui : dans son dos, une voix le surprit. Il fit volteface et remarqua plusieurs présences. Dans un coin à l’autre bout de la pièce et malgré l’obscurité, il put facilement en détailler une. Elle avait environ la vingtaine, de longs cheveux blonds et semblait aussi plutôt grande. Elle répéta alors qu’il ne pourrait pas sortir, puis elle lui expliqua qu’ils étaient prisonniers d’une bande de psychopathes. Hopkins ne répondit rien. Ils se regardèrent en chien de faïence pendant un long moment. Lui, dos à la porte et elle, assise dans son coin, les genoux repliés contre sa poitrine. Eòghan commença à faire les cent pas, à analyser les moindres défauts de la pièce pour trouver une issue. Toutes ses armes avaient disparu, le moindre petit outil, tout. Puis il péta un câble. Il jura, longtemps. Il se détruisit les phalanges à frapper un mur. Puis, désespéré, il s’assit à son tour dans le coin opposé. Plutôt que de lui demander son nom, le jeune homme s’enquit plutôt du récit de son arrivée en prison. Il lui était arrivé à peu près la même chose : elle voyageait en groupe lorsque des dingues leur sont tombés dessus. Ces dingues avaient d’ailleurs un nom, les
Jackals. Avant qu’il ne puisse demander ce que ces gens leur voulaient, elle expliqua que leur spécialité était de capturer des voyageurs pour s’amuser avec. Les premiers jours, Eòghan ne parla pas beaucoup. Les seuls mots qui s’échappaient de ses lèvres étaient principalement des jurons.
La peur se mêlait à l’ennui. Au bout de quelques jours, sa langue se délia et il demanda enfin le prénom de sa colocataire, (les autres disparaissaient les uns après les autres, le mécano se doutait qu’ils étaient certainement tous morts) réalisant qu’ils seraient peut-être enfermés pendant un moment. Elle s’appelait Portia Meadows, ils avaient le même âge et elle avait aussi eu un quotidien assez lourd depuis le début de l’épidémie. En dehors des cris qu’ils pouvaient entendre au dehors, les deux jeunes adultes devaient se faire la conversation pour tenir, moralement. À la moitié de son séjour, Eòghan fut soumis au supplice de la baignoire et au waterboarding car des Jackals avaient appris qu’il avait intégré les Redeemers, mais Hopkins ne leur révéla jamais les informations qu’ils voulaient obtenir, à savoir : si Tobias était encore en vie et si d’autres Redeemers étaient encore à cueillir à San Antonio. Ses tortionnaires le balancèrent dans sa cellule lorsqu’ils comprirent que l’ancien footballeur était trop abimé pour répondre car il était en pleine hypothermie. Portia dut le débarrasser de ses vêtements trempés et l’enrouler dans un vieux rideau qui leur servait de couverture. Il fut à deux doigts d’y passer, la jeune femme lui avait sauvé la vie. À partir de ce moment-là, il se montra moins distant et ainsi, ils purent développer une véritable amitié. La nuit, la température commençait à chuter au début de l’automne 2015 et les deux prisonniers durent se serrer pour se tenir chaud. Un mois après son arrivée, alors que la New Yorkaise s’était endormie sur son épaule, Eòghan entendit des bruits dans leur couloir. Une nouvelle fois, les geôliers vinrent le chercher. Ils marchèrent jusqu’à une vaste pièce à l’odeur plus nauséabonde que les autres et le balancèrent au milieu d’un cercle d’hommes à l’allure infâme. En face de lui se tenait son meilleur ami de l’université du Kentucky qui semblait aussi surpris que lui. On leur annonça alors l’enjeu de leur présence : un combat à mort. Pendant de longues minutes, les deux jeunes hommes se tapèrent dessus et s’ils n’y mettaient pas de la bonne volonté, des Jackals amusés par le spectacle n’hésitaient pas à participer au combat, or, nouveau coup de chance, l’épreuve fut interrompue par l’arrivée d’un groupe de survivants solitaires visant à libérer des captifs, l’agitation gagna l’ensemble de la pièce. Hopkins et son ami s’allièrent une dernière fois en prêtant main forte aux fauteurs de trouble. Le brun aux yeux bleus remarqua alors celui qui lui avait volé sa veste et son masque à gaz. Il profita de la bagarre générale pour s’occuper de son dépouilleur. Eòghan eut l’avantage assez vite car son adversaire était fortement alcoolisé. Disposant à nouveau de ses effets personnels, il poursuivit sa lutte jusqu’à ce que les Jackals soient, pour la plupart, tous au tapis. Avant de partir, il ramassa un tournevis, un couteau suisse, un cran d’arrêt et un marteau. Beaucoup se précipitaient vers une sortie, mais avant de s’enfuir, le jeune homme décida de faire un détour à sa
cellule pour récupérer Portia. Il put détruire la porte à coup de pied et de marteau pour sortir la jeune femme encore captive. Les Jackals reprenaient le dessus au moment où ils parvinrent à sortir du Mall en compagnie d’un inconnu et de l’un des jeunes d’Evansville. Eòghan perdit toute trace de son meilleur ami et craignit que celui-ci fut retenu prisonnier. Il ne put faire marche arrière.
Whispers generate waves;
I can't heed them all.
2016 – 2019 De tous les hivers qu’il avait connu, de fin 2015 à début 2016, Eòghan n’avait jamais eu aussi froid de sa vie. D’autant plus que la majorité du temps, les survivants restaient dehors, n’ayant nulle part où s’abriter. Vers la fin de la saison, ils cherchaient toujours un point de chute et ce jour de février 2016, ils purent enfin espérer en avoir un. Un type qui semblait plus âgé qu’eux s’était fourré dans une situation quasi tragique. Cerné par des rôdeurs, l’homme inconnu n’aurait probablement pas pu s’en sortir seul sans l’intervention des quatre survivants. Le sauvetage du dénommé Nino, éclaireur de la Mine, ne se solda pas par un simple merci-au revoir, une longue conversation s’en suivit. Au bout du compte, le Miner leur proposa de les accompagner et de se joindre à la communauté qu’il servait. C’est à ce moment-là que le groupe d’aventuriers réalisa qu’ils n’avaient pas les mêmes objectifs : D’un côté, Portia et Eòghan acceptèrent l’invitation en croyant qu’ils iraient à Olympia, de l’autre, le membre d’Evansville et l’autre rescapé des Jackals préférèrent poursuivre leur route dans la nature. Au complexe minier, la vie n’avait rien à voir avec celle que le mécanicien avait connu. Ses compétences lui permirent de réparer des véhicules et autres objets mécaniques avec l’aide de personnes partageant la même passion. En plus de cela, Nino proposa à Eòghan une place dans sa chambre aux côtés de son meilleur ami Joey. Tous trois finirent par tisser un lien amical en vivant en colocation. Cela rappelait des souvenirs au jeune homme vêtu de noir, il enviait ses deux nouveaux compagnons d’avoir pu rester ensemble tout ce temps. Cela n’avait pas été le cas pour l’ancien footballeur qui se rappelait sans cesse qu’il avait lâché son allier dans la fosse aux Jackals… Avec Portia, leur relation évolua un nombre incalculable de fois en raison de leurs nombreuses disputes et rabibochages. La jeune femme lui proposa au bout du compte de rester amis ce que Hopkins finit par accepter en se convaincant que dans leur monde actuel, une relation amoureuse n’avait très certainement pas lieu d’être.
Plus le temps passait, plus il était difficile pour Eòghan de supporter la façon dont la Mine était dirigée. Anita Jones représentait tout ce qu’il pouvait détester chez une personne et le mécanicien en fit secrètement part à son colocataire et ami, Joey. Les deux hommes commencèrent à comploter dans leur coin. L’ambiance sous terre l’étouffait, alors, dès qu’il put, il se faufila à l’extérieur où il rencontra un groupe qui semblait plutôt intéressé par ce qui se passait dans le clan d’Anita Jones. Peu intéressé et négligeant vis-à-vis des choses qu’il révélait, les gens qu’il fréquentait dehors lui proposèrent implicitement d’espionner ses semblables à la Mine. Le jeune homme accepta en s’imaginant que ses informations ne changeraient pas grand-chose. Peu de temps après, la leader fut assassinée et de fil en aiguille, les évènements s’enchaînèrent à la vitesse de l’éclair. Olympiens et Quarries prirent d’assaut le territoire des Miners, Eòghan se sentit immédiatement responsable de ses agissements passés. Il n’aurait jamais cru qu’être un mouchard et que les éléments qu’il apportait au compte goûte à l’extérieur puissent se solder par un meurtre. Naïvement, il avait juste imaginé une destitution. Submergé par la honte, il aurait aimé mettre les voiles aussi vite que possible, mais cela aurait attisé bon nombre de doutes à son sujet, alors, il se jura de garder son pénible secret pour lui notamment parce que Joey lui avait fait promettre que ce qu’ils avaient fait ne devait en aucun parvenir aux oreilles de Nino. Quelques mois s’écoulèrent.
Difficile de regarder ses amis dans les yeux sans éprouver de la honte après une si grosse trahison. Surtout Nino. Devoir garder un secret aussi troublant, après sa promesse faite à Joey, Eòghan ne pensait pas s’être un jour retrouvé en aussi mauvaise posture. Persuadé que la vérité éclaterait au grand jour bientôt, le jeune homme considéra qu’il n’était pas prêt à l’avouer avant que ces derniers ne l’apprennent d’eux-mêmes. Il profita que ses amis aient le dos tourné pour prendre ses affaires et s’en aller. Il ne pouvait plus vivre avec un fardeau pareil : tromper ceux qui avaient confiance en lui en gardant une telle erreur pour lui-même. Alors, s’il ne pouvait rien dire, autant partir avec la vérité et s’il y avait un seul endroit qu’il n’aurait pas du tout dû quitter, c’était bien Madisonville. Le jeune homme regrettait tous les jours d’avoir laissé ses mères se débrouiller toutes seules avec ses amis d’Evansville même s’il savait que les deux gaillardes avaient pu s’en sortir seules pendant toutes ces années. Toute cette route qu’il avait parcourue, depuis le début... Son meilleur ami l’avait accompagné jusqu’au Mall, et même avec lui, il n’avait pas été capable de tenir sa promesse, d’être à ses côtés jusqu’au bout, quoiqu’il arrive. Il ne pouvait même pas s’assurer que son meilleur compagnon avait survécu à l’assaut des survivants solitaires. Rien que d’apercevoir l’ancien centre commercial de loin lui faisait revivre l’horreur de ce mois passé entre ses murs. Sur le route 35, Eòghan cherchait une voiture encore relativement en état. Il avait l’impression de faire son marché dans une casse, comme à l’époque avec sa mère lorsqu’ils recherchaient de vieilles pièces pour retaper des carcasses de bagnoles. Couvertes de poussières, les pneus dégonflés, le capot défoncé… la chasse n’était pas bonne. Jusqu’à ce que le garçon vêtu de noir en aperçoive une qui semblait moins abîmée par les caprices du temps et de l’apocalypse. Immatriculée en Louisiane, il s’imaginait que des survivants l’avaient utilisée pour se rendre vers l’ouest et l’avaient abandonnée là. Un double des clés se trouvait dans la boîte à gants. Il comprit alors que le véhicule avait été largué là pour une bonne raison : les bougies de préchauffage ainsi que la courroie de distribution étaient mortes et le réservoir d’essence à sec. Ravi de constater que le problème était bénin, Hopkins se prépara à siphonner quelques véhicules et à se servir sous les capots pour récupérer des bougies fonctionnelles. Quelques heures plus tard, il se mit au volant de son bolide de substitution et quitta le Texas. La route fut difficile. Parfois encombrée, parfois couverte de débris en tout genre ou même de rodeurs… Mais cette fois, le risque en valait la peine, malgré les quelques jours passés seul. Ce fut un soulagement pour lui de revoir le panneau décrépit annonçant l’entrée de Madisonville.
Il ne l’avait jamais vu aussi déserte. La ville ressemblait à un village fantôme. Il en eut presque des frissons. Peut-être que cela lui aurait hérissé les poils huit ans auparavant, mais il était devenu beaucoup plus courageux que quand il était parti et avait vu des endroits bien pires. Content de constater que la maison de ses mères tenait encore debout, Eòghan garda son excitation pour lui et, par précaution, empoigna son marteau. Son rythme cardiaque s’accéléra quand il remarqua que la porte d’entrée était ouverte. Dans le hall, il n’y avait plus personne. Ni dans le salon. Ni dans la cuisine. Tout avait été saccagé. Le mécano respirait de plus en plus fort. Il appela ses mères, son dernier espoir. Puis il entendit de l’agitation à l’étage. Il s’y rendit en enfilant son masque à gaz et sa capuche, puis il découvrit que la porte de la chambre d’Yseult et Siòbhan avait été barricadée… de l’extérieur. L’homme en noir déglutit. Il dégagea l’entrée et repoussa doucement la porte. En découvrant l’intérieur de la pièce, Eòghan s’effondra intérieurement. Tétanisé. Il croyait vivre l’un de ses nombreux cauchemars. Ses mères avaient muté et avaient visiblement été torturées. Il les reconnu à leurs longues mèches de cheveux rousses qui faisaient de la résistance sur leurs crânes en état de putréfaction, leur t-shirt et chemisier qu’elles avaient déjà porté lorsqu’il était adolescent… Les deux avaient été solidement attachées. L’une sur le lit, les jambes coupées et l’autre, sur une chaise, criblée de flèches. À force de gigoter, elle s’était écrasée une partie de la boîte crânienne sur le lit en basculant, puis en percutant le sol. Il ignorait depuis combien de temps elles attendaient là, mais compte tenu de l’état de leurs corps, cela devait bien faire plusieurs années. Au bout de quelques minutes à contempler sa découverte morbide, la seule réaction d’Eòghan fut de faire lentement demi-tour et de partir, mais lorsqu’il se retrouva sur le seuil de la porte d’entrée de la maison, il se ressaisit. Ses mères avaient disparu depuis longtemps, les choses qui les avaient remplacées ne pouvaient pas survivre. En résonnant de la sorte, il trouva le courage de les faire partir une bonne fois pour toutes. Il ne put retenir ses larmes lorsqu’il abattit son premier coup de marteau sur le crâne de Siòbhan, puis un deuxième, un troisième… Il répéta les mêmes gestes pour Yseult. À présent fou de rage, Eòghan retrouva un vieux sac dans sa chambre. Il récupéra quelques vêtements, deux ou trois objets utiles dont une photo de famille et se rendit au garage pour voir si son Roadster s’y trouvait encore. Des réserves d’essence avaient été faites, il en utilisa une partie pour en asperger le sol de la pièce à vivre, puis il y mit le feu. Personne ne viendrait éteindre l’incendie. Si Madisonville devait être une ville fantôme, si personne n’y avait survécu, alors autant qu’elle périsse dans les flammes. Le jeune homme ne pouvait pas enterrer ses mères, sa rage choisit la crémation. Il resta dehors, assis sur la selle de sa moto, à observer le brasier immense lécher le ciel… Puis il repartit vers le sud, là où il avait lâchement abandonné son autre famille, pour courir après des cadavres du Kentucky. Il ne reproduirait plus la même erreur, pas une troisième fois.
Il dû marquer un arrêt dans l’Arkansas. Son ventre grognait depuis des heures. Eòghan n’avait plus rien avalé depuis deux jours et son réservoir d’essence criait aussi famine. Il dormait par quart d’heure. Les images horribles de ces huit dernières années ne cessaient de surgir dans sa mémoire, surtout les dernières. Il coupa le moteur de son Roadster à la sortie de Conwey où il trouva une grange pour la nuit. Il avait récupéré plusieurs paquets de barrettes de pemmican et deux ou trois conserves dans ce qui pouvait rester à l’épicerie de la ville qu’il venait de quitter. Lorsqu’il ouvrit une boîte de haricots, des bruits attirèrent son attention. Le jeune homme en noir sortit avec son marteau, persuadé de tomber sur un rôdeur coincé quelque part. La zone semblait plutôt marécageuse et boueuse sur les chemins de terre. Les plaintes se rapprochaient à mesure qu’il avançait, mais les nuisibles ne
s’exprimaient pas comme ça. Couverte de boue, il faillit la manquer, mais ses yeux ambrés attirèrent immédiatement son attention. Une chienne ressemblant à un berger allemand noir était tombée dans le marécage et s’était enfoncée si profondément dans la fange qu’elle ne pouvait plus en sortir. Soulagé, Eòghan l’observa un instant pour vérifier que l’animal n’était pas agressif, puis il se chargea de la sortir de là. Alors qu’il allait rentrer à son nid de fortune, il se dit qu’il ne pouvait pas la laisser là, seule, sans défense. Dans la grange, il utilisa de vieux tissus pour débarrasser sa nouvelle compagne des restes de terres pris dans ses poils. Elle s’installa avec lui sur un tas de foin. Il allait reprendre son repas, le regard de chien battu qu’elle lui lança l’attendrit, il lui donna le contenu de sa conserve, puis ils s’assoupirent. Il l’avait baptisée
Moya.
Lorsqu’il s’éveilla, ce fut avec une lumière braquée en plein visage. Eòghan empoigna son marteau. «
Oi ! Tout doux, Jet black ! » Des voix de femmes, trois fusils braqués sur sa tête, le jeune homme lâcha son arme et leva les mains en l’air. «
Reprend ton chien, on se casse. » Déclara leur leader en s’adressant à une personne derrière elle. Or, Moya n’était pas de cet avis et même si une autre voix l’appelait, la chienne ne bougea pas d’à côté de son sauveur. Elles braquèrent alors leur lampe torche ailleurs et le mécanicien remarqua qu’elles étaient environ une dizaine, que des femmes. «
Waw ! Elle est à toi la bécane ? » Deux d’entre elles tournaient autour. Il était hors de question qu’il se fasse dépouiller encore une fois, mais il hocha la tête malgré tout. «
Cool ! Elle est custom, y’a rien d’origine dessus. C’est toi qui l’as montée ? » Il répondit à nouveau oui de la tête. «
Et sinon, tu causes ? » S’énerva leur cheffe, mais une main se posa sur le canon de sa carabine. Une fille très jeune signait pour se faire comprendre. Eòghan la regardait faire, l’incompréhension peinte sur le visage. «
Elle dit que tu pourrais nous aider. Si tu sais monter des bécanes, tu sais aussi réparer des bagnoles, non ? » Le brun acquiesça encore une fois, mais il l’empêcha de reprendre la parole en lui faisant comprendre qu’il avait une seule condition à sa requête. Il se leva, les fusils se braquèrent dans son dos, il saisit un bidon d’essence vide, puis il le balança à leurs pieds. «
Deal ! » Comprit la cheffe. La nouvelle troupe s’enferma dans la grange en compagnie de l’ancien footballeur. Elles firent un feu et toutes s’installèrent autour. Au fil des discussions et à l’aide d’une carte routière, ils réalisèrent qu’ils avaient le même itinéraire, sauf que le mécanicien les abandonnerait à mi-chemin car le groupe se rendait au Mexique. Puis, l’adolescente qui signait attira son attention et sa camarade la plus proche fit la traduction. «
Elle dit qu’elle ne sait pas ce que tu as pu traverser, mais elle comprend la raison de ton silence. » Eòghan avait déjà regardé des séries avec des personnes malentendantes ou muettes, il connaissait quelques bribes de gestes, alors il la remercia maladroitement. Elle lui sourit et se mit à rire.
Une panne de batterie et une fuite d’huile, c’était tout ce dont il avait eu à s’occuper car les
Amazones avaient besoin d’un nouveau véhicule. Après une recharge, ils se mirent tous en route vers le Texas. Moya voyageait avec la cheffe et sa sœur malentendante pendant que le nouvellement dénommé
Jet Black ou
Jet, les suivait à moto. Le courant était très bien passé avec certaines Amazones, pourtant, d’autres auraient aimé le plomber, refusant qu’un homme gagne leurs rangs même pour une si courte durée. De retour sur la route 35, ils décidèrent de s’arrêter une dernière fois pour camper et à l’aube, les ennuis recommencèrent. Eòghan n’était pas de garde, il s’était assoupi avec Moya, mais dans un monde comme le leur, il ne dormirait plus jamais d’un sommeil de plomb. Lorsqu’il empoigna son marteau, il était déjà trop tard. Un groupe de survivants leur était tombé dessus et ils étaient bien plus nombreux que les Amazones. Elles se défendirent comme elles purent, mais certaines d’entre elles furent grièvement blessées. Elles parvinrent à s’enfuir. Eòghan, lui, se retrouva encerclé. Ses maigres possessions n’intéressaient personne, les types voulaient juste le tabasser, pour le sport. Il se demandait d’ailleurs si certains n’étaient pas des Jackals. Jet perdit l’avantage très vite. La douleur fut si vive. Il entendit son nez se briser, il sentit ses côtes se fracturer, les coups ne cessaient de pleuvoir. Sa mâchoire, son ventre, ses jambes… Il s’écroula, priant pour que la tempête passe. Moya s’était enfuie. Les bruits assourdissants et les cris des assaillants l’effrayaient. Lorsque les hommes partirent, elle retrouva le mécanicien et s’allongea à ses côtés, comme pour lui tenir chaud. Il était couvert de sang, de plaies et d’hématomes. Au petit matin, il ne restait plus que lui, sa chienne et son roadster. Puis il rêva. Il rêva qu’il ouvrait les yeux, sur les visages de Joey et Portia. Eòghan pensa que c’était une belle image pour mourir.