hex sam
« another day in paradise »
Quelque chose martèle l’intérieur de son crâne.
Elle souffre en silence pendant quelques secondes mais refuse d’ouvrir les yeux.
Pas tout de suite. À la place, elle enfonce sa tête dans le coussin avec un grognement étouffé. Les réveils ne sont jamais une partie de plaisir, particulièrement quand elle se réveille presque sobre et que son corps regrette ses excès tout en souffrant d’un manque. C’est paradoxal. Mais il s’agit du prix à payer pour quelques heures d’inconscience, pour un semblant de répit. C’est un genre de léthargie à la limite du comateux ; pas de rêves, pas de cauchemars,
nothingness. Avant même d’ouvrir les yeux, elle sait qu’elle n’est pas seule. Une intuition plutôt surprenante considérant le boucan qui secoue sa cervelle depuis qu’elle a repris conscience et qui l’empêche accessoirement de réfléchir correctement. Finalement, elle roule péniblement sur le côté pour lui faire face avant d’ouvrir un œil. Une main passe sur son visage, puis glisse dans ses cheveux. Elle essaie de dire quelque chose, entrouvre sa bouche, mais les mots se coincent dans sa gorge. Sa bouche est trop pâteuse, alors elle passe sa langue sur ses lèvres sèches en essayant d’estimer l’heure.
It’s feeling like shit o’clock. Elle s’appuie mollement sur un bras pour se redresser ; la pièce tourne furieusement, et elle pose son regard sur l’intru le temps de reprendre ses repères. Son cœur se serre imperceptiblement, comme si le temps d’une journée, elle aimerait pouvoir être plus, faire plus. Plus qu’une coquille qui tente de remplir le vide qui l’habite, une bouteille à la fois. Plus que de se perdre au fond de son verre jour après jour. Seulement voilà, elle n’est plus faite pour ça. Elle met le dangereux discours intérieur sur le dos de la gueule de bois et, quand la bouteille d’eau rebondit sur le matelas, elle s’en saisit allègrement pour la porter à ses lèvres. Sa question lui fait hausser un sourcil,
that’s new. À défaut de réellement lui faire du bien, l’eau apaise au moins sa gorge sèche et met le vacarme dans sa tête en sourdine. Puis, le gamin parle de dettes et elle ne parvient pas à ravaler le petit rire. Merde, c’est
attendrissant. Elle s’étouffe un peu, passe le dos de sa main sur sa bouche et s’éclaircit enfin la gorge, «
J’apprécie l’inquiétude, mais j’t’assure, les connards échangent joyeusement leurs bouteilles tant que je fais en sorte que leur joujou roule. » Sa voix est rauque, mais se délie au fur et à mesure que les mots s’enchaînent, «
Ils ont plus besoin de moi que moi d’eux. »
C’est une demi-vérité. Pas tout à fait vrai, mais pas un mensonge à part entière non plus. Les transactions se déroulent généralement sans accrocs, et si elle a pris un peu de retard sur deux ou trois projets, elle finit toujours par s’en sortir. Aussi, la distillerie d’Augures a perfectionné sa cuvée de moonshine, et si ce n’est pour le
dérisoire incident qui a fait perdre la vue à Dwayne il y a quelques mois – c’est un connard de toute façon, leur produit fait l’affaire à défaut de pouvoir mettre la main sur les bouteilles pré-apocalyptiques.
The good stuff. Pour ce qui en est de la bouteille d’eau qu’elle vient de vider, elle la dépose négligemment sur le matelas avant de se relever. Ses premiers pas sont incertains, mais elle finit par naviguer l’atelier désorganisé avec une certaine aisance. Elle déplace quelques circuits et quelques pièces gisant sur la table au fond de la pièce, puis tombe finalement sur ce qu’elle cherche. Ses pas la ramènent vers le vieux lit miteux. Avant de se rasseoir sur le matelas, elle laisse tomber le petit objet qu’elle tient dans sa main sur les genoux du gamin. Un vieux lecteur MP3 enroulé d’une paire d’écouteurs. Sur un ton un peu narquois :
«
Tu peux partager les écouteurs avec ta belle. J’suis sûre que la proximité te dérangera pas », elle lui fait un clin d’œil et rajoute, «
Quoi d’neuf ? »
Le changement de sujet n’est pas tout à fait innocent et elle
sait pertinemment qu’
il sait. Le malaise qui accompagne toute conversation qui tourne autour d’elle, ses difficultés à rester indifférente dès le moment où ladite conversation devient trop sérieuse. Son existence devient trop réelle, et ses erreurs aussi. Alors elle préfère se concentrer sur
lui.
Même si c'est un peu dangereux aussi.