« Tell me your story
please tell me everything »
If I could face them,
If I could make amends,
With all my shadows,
I'd bow my head
And welcome them.
But I feel it burning
Like when the winter wind
Stops my breathing.
EVERYBODY, THE DAY BEFORE IT ENDS, 2010 + Ses yeux, mis clos, étaient perdus dans le paysage qui défilait devant lui. Il faisait frais, mais il ne ressentait pas le froid. Peut-être allait-il neiger encore ? Il aimait ça la neige. Ils aimaient ça. Le son distinct d’un rire le fit sourire. Le rire de son frère était si caractéristique, si unique. Ça le faisait toujours sourire. Aujourd’hui était un jour spécial. Ils n’étaient pas allés en cours, car Papa avait pris cette journée off pour passer du temps avec eux. Ces derniers temps, il n’avait fait que travailler. Une journée entre ‘mecs’. D’abord il y avait eu la randonnée en pleine forêt. Et maintenant ils se dirigeaient chez « Matty’s ». Leur chocolat chaud était la plus belle invention sur terre. Enfin, la plus belle invention après Diane, la voisine de droite, et les ornithorynques. La nuit tombait déjà. Et il n’y avait pas meilleur endroit pour observer le ciel que de l’arrière du pick-up. Il avait perdu à Pierre-feuille-ciseau contre son frère. Volontairement, se plaisait-il à penser. La voiture ralentît en s’engouffrant sur le parking. Il se redressa, fermant un peu plus son manteau. Ils n’allaient pas tarder à arriver. Le goût du chocolat chaud emplissait déjà sa bouche.
Le meilleur des chocolats chaud. Le dernier aussi.
And I run from wolves,
Breathing heavily,
At my feet.
SARA. DECEMBER, 22, 2010 + Il se serait cru dans un film de série B. Ce qu’il aimait ces films. Des effets spéciaux qui, la plupart du temps, laissaient à désirer, mais une créativité sans limite. Pour le coup, le département des arts s’était surpassé. Un mince sourire apparu sur ses lèvres.
« Dimitri ! Ta sœur ! » Maman paniquait. Ce n’était jamais bon signe. La dernière fois qu’il l’avait vu dans cet état remontait à la fois où le vieux Jimmy avait coupé un arbre qui, tombant du mauvais côté, était venu fracasser la grande baie vitrée, éventrant directement l’aquarium. Son sourire disparu. Aux dernières nouvelles, l’aquarium était encore intact, et les poissons exotiques nageaient tranquillement. Jetant son sac sur son épaule, Dimitri entra dans la chambre de sa petite sœur et l’attrapa par la main. «
Ma poupée ! » «
Plus tard ! » Bien évidemment, il ignorait qu’il n’y aurait pas de plus tard. Il ignorait qu’elle ne reviendrait pas dans cette chambre. Tout comme il ignorait qu’elle allait mourir. Qu’ils allaient tous mourir. « Attrape. » Il lança son sac à Jeremi avant de prendre sa sœur dans ses bras. Une voiture s’engagea dans l’allée. Tous se figèrent. « Dehors. Vite. » Papa était rentré. Ils en sauraient un peu plus sur ce qui se passait dans la ville, à une dizaine de kilomètres de là. Au fond de son estomac, il ressentait une petite boule. Il angoissait. Il serra Sara contre sa poitrine avant de passer la porte. C’était un autre monde. Des gens criaient. D’autres courraient. D’autres détruisaient. D’autres encore essayaient d’entrer dans des véhicules qui n’étaient pas les leurs. Ils traversèrent le petit jardin au pas de course. On entendait déjà le sifflement des balles un peu plus loin. « Maman ? » Elle l’ignora et les fit monter. A peine la porte refermée, une brique traversa la vitre arrière droite. Un homme leur bloquait la route, les empêchant de quitter leur maison. Poussé par l’adrénaline et un appel qu’il aurait aimé être extérieur, Papa accéléra. Il renversa l’homme. Quelques minutes plus tard, ils se rendraient comptent que la brique n’avait pas fait que traverser la fenêtre. Sara gisait dans son sang, une partie du visage méconnaissable. Elle était morte sur le coup. Elle était morte la première. C’était la plus chanceuse de tous.
Maman serait la seconde à mourir, quelques mois plus tard.
And I run from wolves,
Tearing into me,
Without teeth.
DAVE ONE. 2013 + «
Bah alors, on veut partir sans dire au revoir à Tonton ? » Le groupe les avait surpris en pleine nuit. Sans doute les avaient-ils observés plus tôt dans la journée, pour ne venir les cueillir que le soir. Car la nuit, dans l’obscurité, si on ne connait pas bien le coin, on fait une proie facile. Un homme et deux adolescent. Il est vrai qu’ils n’étaient pas très impressionnants. Ils les avaient pillés. Ils les avaient blessés un peu aussi – pour le ‘
fun’ comme l’un d’eux le répétait sans cesse. C’est vrai que voir deux gamins pleurer devait avoir quelque chose de fort satisfaisant quand on est un homme d’une quarantaine d’années et que l’on a rien à faire de ses journées à part tuer des charognes. Car les zombies ne crient pas.
Cette nuit-là avait été sa première fois. Ça n’avait pas été ‘
fun’ comme l’autre disait. Ça ne l’avait jamais été. Ni la première fois. Ni la dernière. Où peut-être était-il celui qui ne comprenait pas ? Peut-être que le ‘
fun’ se trouvait dans la douleur de nos jours ? Il avait haït chacun de ces moments intimes. La pensée que son frère subissait un sort semblable le révoltait. Pire, savoir que leur père ne faisait rien lui donnait littéralement envie de vomir. Le prix de la survie, paraissait-il. Parfois, la mort faisait envie. Puis il voyait les ‘morts’ et il se disait qu’au final son sort n’était pas si horrible. Ils étaient protégés. Ils étaient plus ou moins nourris. Un luxe qui n’était plus donné à tout le monde. La douleur devint la norme. L’habituel. Le ‘
fun’ perdit finalement tout sens. Le prix à payer. Rien de plus.
De nouveaux membres arrivent. D’autres périssent. Cette cruauté particulière jusque là réservée aux survivants escalada au sein même du groupe. Le prix à payer ne suffisait plus. Alors la fuite fut décidée. Papa partirait avec eux. C’est ce qu’il leur avait dit. C’était leur père après tout, même si la fin du monde l’avait changé, ils l’aimaient.
«
Dave ? » l’homme n’eut pas le temps de se retourner qu’il s’effondra à terre. C’était Gemma. L’une des seules femmes du groupe. Elle semblait aussi être une des plus saines d’esprit. Elle avait perdu une petite fille, alors elle aimait passer du temps avec eux. Dimitri lui, aimait aussi parler avec elle. Apprendre à la connaître. Elle était la chose la plus douce à laquelle il avait le droit depuis ces deux dernières années. Elle lui donnait l’espoir que le cauchemar de la vie pourrait un jour se transformer en paradis si on y croyait suffisamment.
Légèrement sonné, l’homme cherchait déjà à se redresser. Non. S’il se relevait, ce serait la fin. Pour lui. Pour eux. Jeremi l’avait compris aussi. Comme s’ils avaient passé un accord silencieux, les deux jumeaux se jetèrent sur l’homme, afin de l’immobiliser tout d’abord. Mais il était fort. Trop fort. Bientôt ils lâcheraient. Dimitri saisit la pierre. Et il frappa. Il frappa. Il frappa. Le sang gicla. Il frappa un peu plus fort. Bientôt l’homme ne fut plus preuve d’aucune résistance. Il frappait toujours. Lorsque la pierre lui échappa, il frappa avec ses poings. Exprimant par la violence cette haine qui s’était accumulée en lui. Une haine qui n’aurait pas pu s’exprimer d’une autre façon. Puis ils s’enfuirent. Jeremi. Gemma. Papa. Et lui. Ils s’enfuirent dans une obscurité semblable à celle qui avait vu débuter toute cette histoire.
Dimitri venait de tuer un homme. Son premier. Et agir était si différent de voir. Le soir venu, il se coucha anxieux. Anxieux de qui il serait le lendemain. Car tuer un homme, ça vous change. Et il avait peur de devenir quelqu’un qu’il n’aimait pas.
Lorsqu’il se réveilla le lendemain, il n’avait pas changé du tout. C’est ce qui l’effraya le plus.
I can see through you
We are the same,
It's perfectly strange
You run in my veins.
DIMITRI. NOVEMBER, 12, 2014 + Le liquide n’avait pas fini de s’écouler dans sa gorge que la douleur se fit ressentir. Une brûlure. Intense. Il lui semblait que sa trachée était en train de se dissoudre. Il porta une de ses mains à son cou, réalisant subitement que l’air ne s’y engouffrait plus. Il avait mal. Si mal. Il lâcha la bouteille, qui finit sa course sur le sol. Encore ouverte, le liquide s’en échappa. Ce n’était pas de l’eau. Maintenant il le savait.
Il vomit. Mais vomir faisait d’autant plus mal. Le sang ne tarda pas à rejoindre la bile. Il paniqua. La respiration coupée, penché vers l’avant, le cerveau en surchauffe, il ne réalisait pas vraiment ce qui était en train de se passer. Les yeux brouillés par des larmes, il cherchait du regard un visage familier. Mais il trouva un touché. Celui d’un frère qui avait accouru, alerté par le vacarme. Il trouva une voix aussi. Celle d’une mère de substitution, hurlant presque. Il trouva l’apesanteur, tandis que ses pieds quittaient le sol. Il ne vomissait plus. Il n’avait plus rien à vomir. Une mousse s’échappait désormais de ses lèvres. Et toujours ce sang. Toute sa bouche était emplie de ce goût de métal. Un goût affecte, qui ne le quittera plus jamais par la suite. Le seul goût qu’il lui reste aujourd’hui. Et cette odeur. L’odeur âcre du sang. Heureusement, cette odeur finie par s’estomper. Comme presque toutes les autres. Il trouva le sol, froid, alors qu’on l’y déposait. Sa tête s’agitait dans tous les sens. Une main agrippa la sienne. «
J’suis là Dim. » Il trouva le réconfort, instantanément. Il s’agrippa à cette main en retour.
C’est dans le désespoir et la peur qu’ils les rencontrèrent eux. Les fidèles de Lazare. Gemma implora leur aide. Papa proposa leurs quelques ressources en échange. Finalement ils acceptèrent. Ils les conduisirent à leur chef. Gemma était une bonne cuisinière, Papa, lui, un bon constructeur. Jeremi était jeune, et paressait en bonne santé. Alors Lazare les accueilli au sein de sa communauté. Papa devint Samuel. Gemma devint Elisée. Jeremi devint Thomas,
’le jumeau’. Dimitri n’obtint pas de nom immédiatement. Il devait d’abord survivre. Montrer qu’il était digne d’appartenir à la tribu des Lazarus. Montrer qu’il était digne d’appartenir à Lazare. Il en fut digne. Il n’avait pas ingéré suffisamment de produit pour en mourir. La douleur emmena avec elle sont odorat et son goût. Et en s’en allant, la douleur tua Dimitri pour faire naître Nathan.
You hover like a hummingbird,
Haunt me in my sleep,
You're sailing from another world,
Sinking in my sea.
ELISEE. NOVEMBER, 5, 2015 + «
Elle était faible. » A croire qu’il essayait de s’en persuader lui-même, depuis le temps qu’il répétait ces trois mois. «
Elle était faible. Elle n’était pas digne de Lazare. » Ce n’était qu’un mensonge. Elle n’était pas faible. Elle était bien plus forte que beaucoup d’entre eux. Elle était d’ailleurs la femme la plus forte qu’il avait pu connaitre. Elle était devenue sa mère. «
Elle serait morte de toute façon. » «
C’est toi qui devrais être à sa place. » C’était sorti comme un cris du cœur. Comment avait-il pu laisser faire ça ? N'avait-il donc aucun cœur ? Dans l’immédiat, il le voulait mort. « Elle n’était pas digne de -- » «
LA FERME » Nathan lui sauta à la gorge. Peu lui importait si l’homme était son père. Leur lien de sang n'avait plus aucune importance de nos jours. Ils étaient tous frères. Son jumeau ne broncha pas, signe qu’il approuvait. Ses mains se crispèrent autour de son cou, venant jusqu’à entailler la chaire si fragile. Il le haïssait, et pour cette raison il voulait le tuer. Il sentait qu’il pouvait le tuer. A cette pensée, il eut un mouvement de recul. Qu’était-il en train de faire ? Lazare ne l'accepterait pas. La gifle arriva comme une surprise. Elle ne fit pas mal, mais eut pour effet de remettre ses idées en place et de le faire redescendre d’un cran. Même de deux. «
Tu devrais t’estimer heureux d’être encore en vie, petit c*n. » L’homme lui cracha au visage, avant de s’éloigner, laissant les deux jumeaux, seuls. Nathan se laissa tomber à genoux. «
Tu te bas vraiment comme une fille tu l’sais ? » Thomas et l’humour, ça n’avait jamais vraiment marché. Son frère lui offrit toutefois un mince sourire.
Un rite de passage. Une purge parmi les fidèles. Appelez ça comme vous le voulez. Elle avait été assassinée par ce qui aurait dût la sauver. Elle les avait abandonnés. Si elle avait été suffisamment pure pour prendre soin d'eux ces dernières années, elle avait été considérée un beau matin comme trop impure pour voir grandir ses fils d'adoption un peu plus longtemps. Il devrait haïr Lazare. Pour son acte. Pour ses justifications. Son frère lui, y arrivait. Mais il ne le pouvait pas. Alors il la haïssait elle, pour avoir été faible. Il haïssait son père, pour n’avoir rien fait. Il se haïssait, pour être toujours vivant.
Samuel mourut quelques jours plus tard. En mission. Il ne fut pas pleuré.
How can I keep you
Inside my lungs,
I breathe what is yours
You breathe what is mine.
THOMAS. 2018 + «
Pardonne-moi. S’il te plait. Pardonne-moi. Pardonne-moi. S’il te plait. S’il te plait. S’il te plait… » Il n’obtint aucun pardon. Aucune réponse. Et il n’en recevrait plus aucune. Son frère était mort. Il l’avait lui-même condamné à mort. C’était un peu comme s’il avait lui-même passé la lame le long de son cou. Il pouvait encore sentir le poids d’un couteau qu’il n’avait jamais porté dans sa main. Il pouvait encore entendre la respiration rapide de ce frère qu’on sacrifiait. Pour l’exemple. Pour montrer ce qu’il arrivait si l’on fautait. Si on osait remettre en question Lazare. Si on osait aller à l’encontre des règles. Thomas avait été stupide. Il aurait dû l’écouter. Ils étaient frères. Jumeaux. Pourquoi avait-il été aussi têtu ? Il n’y avait rien de bon là-bas. Il n’y avait plus rien de bon, sinon ce qu’avait à leur offrir Lazare. Thomas était mort. Putain. Il était mort.
Thomas était mort. Nathan était celui qui l’avait dénoncé.
I’m giving you all.
Swallow my breath, and takes what is mine.
I’m giving you all.