the dawn of a new era

La convocation avait tardé à venir mais il avait su qu’elle finirait par arriver à un moment ou à un autre, il l’avait su parce qu’avec la mort d’Anita Jones et la prise de la Mine par ce fils de pute d’Aaren Diggs, la paix précaire jusqu’alors maintenue entre les quatre clans voisins était sérieusement sur le fil du rasoir.
Et Abel, en ce qui le concernait, risquait de sortir grand perdant de cette réorganisation.
Il était donc nécessaire que les trois leaders se réunissent. Savoir si quelque chose de bon sortirait de là était une autre histoire, mais cela n’en rendait pas pour autant cette confrontation moins impérative.

Toutefois, le cavalier n’avait pas vraiment envie de s’y rendre. Être en position d’infériorité le faisait enrager. Se retrouver dans la même pièce que Diggs était dangereux pour l’envie qu’il avait de lui refaire le portrait. Et Peyton… mieux ne valait pas songer à ce qui s’éveillait en lui quand il songeait comme elle avait réussi à le manipuler. Forcé de saluer l’acte, toutefois, forcé d’en reconnaître la bonne intelligence (il aurait fait pareil à sa place) mais puisqu’il s’était retrouvé le dindon de la farce, il se sentait humilié. Restaient toutefois quelques zones d’ombres à éclaircir dans toute cette histoire…
Il n’avait pas envie de s’y rendre, mais il n’avait pas non plus le choix. Jones sortie de l’équation, Abel n’avait plus de fournisseur pour l’antiviral. Ils avaient certes des stocks (une prise d’avance par malade au cas où) mais cela ne l’avançait en rien : ils n’avaient ni l’équipement ni les connaissances nécessaires au ranch pour s’autosuffire sur ce sujet en particulier.

Sa colère, le cavalier avait eu le temps de la ressasser entre le moment où, de retour du raid, la nouvelle lui était tombée dessus, et celui où le message lui était parvenu. Il avait eu le temps de s’empêcher mille fois de piquer des deux illico presto jusqu’à Olympia et pousser une de ses gueulantes mémorables. Il avait eu le temps donc, de se refroidir l’esprit et réfléchir plus posément à la situation.
Ce fut donc plus comme un bon clébard (quoique rétif) qu’il se rendit à la ville, à se demander à quelle sauce les deux autre allaient encore le faire mariner pour mieux l’humilier et ce qu’il faudrait qu’il fasse afin d’obtenir le vaccin pour les siens. Il avait une chaîne autour du cou, terriblement lourde, et qui le forçait à la docilité malgré toute la haine qui bouillait en lui.

Abel arriva bon dernier, mais cela lui importait peu. La jument laissée à l’entrée avec ses gardes, il prit le temps de finir sa cigarette et de s’obliger à un calme aux antipodes de ce que réclamaient ses envies actuelles. Et puis, bon gré mal gré, le visage fermé et les yeux noirs de l’orage refoulé, il se rendit à la mairie d’Olympia et s’invita sans frapper dans le bureau où il savait que les deux autres se trouvaient déjà.

Aaren s’avançait d’un pas triomphant et jubilatoire dans les rues d’Olympia. Il avait gagné sa longue guerre froide contre la Mine, et d’une certaine façon, avait aussi un peu triomphé des cavaliers, ces chiens. La plupart des olympiens semblaient également heureux d’avoir pu se jouer du ranch et de Rhodes en particulier. Un rendez-vous avait été organisé puisque désormais, pas mal de choses allaient changer, il n’y a désormais que trois clans officiels. C’était peut-être une parade pour les vainqueurs, et surtout Aaren, car il se doutait que vu la relation entre la dirigeante d’Olympia et Abel, Peyton ne risquait pas de fanfaronner sur tous les toits; Peut-être même qu’elle s’en voulait d’avoir trahi son amant ? Qu’importe, on ne pouvait pas revenir en arrière et Abel devait désormais passer sous les fourches caudines de l’alliance Olympia-Carrière. Cela dit, Aaren n’était même pas sûr qu’il vienne, peut-être enverrait-il un émissaire, pour ne pas à avoir à supporter la situation. A sa grande surprise, alors qu’Aaren était déjà dans la mairie, Abel pointa finalement le bout de son nez. Si Aaren avait envie de jubiler et être mesquin avec lui, il savait qu’il fallait que ce rendez-vous soit productif pour ne pas envenimer les choses davantage. S’il froissait Abel tout de suite, ce dernier serait tout à fait capable de claquer la porte avant même que les discussions aient commencé. Et ce n’était pas le but de cette réunion à haut sommet. « Abel. Heureux de constater que tu ai accepté de venir. » dit-il, d’un ton neutre et sans méchancetés, même si un sourire se dessinait légèrement au creux de ses lèvres. Il n’était pas en mesure de dire davantage avant que Peyton n’ait pris la parole, et il montra une chaise devant le bureau de l’olympienne, pour l’inviter à s’asseoir. « Je pense que tu peux t’installer ici. »

Peyton est pour le moins nerveuse, elle l’admet. Maintenant que les jeux de pouvoir sont renversés, tout est différent. Un nouveau pacte est nécessaire, de nouveaux accords. Elle a le sentiment d’avoir ce poids sur ses propres épaules. En réalité, elle a pertinemment conscience qu’elle va se retrouver dans l’obligation de jouer le rôle de médiatrice. Elle n’aime pas cette situation. Elle craint qu’Aaren ne puisse s’empêcher de s’exalter face à son nouveau statut. Tout comme elle craint qu’Abel ne puisse contenir sa colère et son ego froissé. Les deux risquent de lui donner du fil à retordre. Alors, forcément, l’appréhension est à son paroxysme. Surtout maintenant, tandis qu’elle est sur le point d'accueillir les deux hommes au sein de la même pièce. Mauvaise idée, bien que cela soit nécessaire.

Aaren est le premier à pénétrer au cœur de son bureau, la mine fière. Il semble rayonnant. En même temps, qui ne le serait pas à sa place ? Jones est hors du tableau. Il possède le complexe minier. Il dispose de ce dont il souhaite depuis des lustres. Après quelques échanges de banalités, c’est au tour d’Abel de faire son entrée, sans s’annoncer, sans frapper, il est fidèle à lui-même. En une demi-seconde, l’ambiance devient glaciale. Le Roi incite le Cavalier à prendre place alors qu’elle prend sur elle pour ne guère quitter la pièce en courant. Si seulement… Peyton se sent quelque peu coupable, elle doit bien l’avouer. Déjà que sa relation avec Abel n’est pas au beau fixe, elle éprouve des remords depuis la prise de la Mine et le fait qu’elle l’ait volontairement incité à partir en raid afin d’être tenu éloigné. Mais, elle a fait ce qu’il fallait, elle le sait, pour autant ça ne l’empêche guère d’éprouver des regrets. Elle se rassure en s’intimant qu’il n’aurait pas hésité à en faire de même s’il s’était retrouvé dans le même cas. On parle d'Abel Rhodes après tout. « Il faut qu’on discute de la suite des événements maintenant que Jones ne fait plus partie de l’équation. » Maintenant que Diggs dirige le Royaume. Maintenant qu’Abel est dépourvu d’alliance. Maintenant qu’Olympia devient le centre scientifique de la zone. En somme, maintenant que Rhodes s’est fait entuber… Bon sang, elle aimerait les abandonner là, les laisser régler leurs comptes. Malheureusement, ils risqueraient de se sauter à la gorge, de s’entre-tuer, et elle se sentirait coupable. Autant éviter. « Qu’on envisage les termes d'un nouveau traité. » Peyton ne souhaite pas être en conflit avec le Ranch. D’une part parce qu’elle convoite les cultures de la Crimson Valley, elle en a besoin, mais surtout parce qu’elle est étroitement liée avec les Rhodes. Quoiqu’on en dise, elle est attachée à Abel et à Silas, personne ne peut changer cela.

Heureux mes couilles. « J’ignorais que j'avais une autre possibilité. » Il rétorqua à Aaren, braqué d’entrée de jeu quoique tout de même décidé à se tenir sage. Connard. L’envie de lui faire ravaler ce sourire était présente, et diablement tentante… sauf qu’aujourd’hui le cavalier ne venait pas tant en son nom, qu’à celui de tous les cavaliers qu’il avait à sa charge et pour lesquels il se devait d’assurer le futur le plus pérenne possible. On pouvait lui reprocher – et à juste titre – une liste longue comme le bras de défauts, mais pas celui de négliger les conditions de vie de ses survivants.
Seul, le ranch pouvait s’en tirer sur plusieurs points – pas sur le vaccin.
Abel dédaigna la chaise et l’invitation du roi, choisissant à la place de s’adosser au mur, les bras croisés. Il sentait la tension en lui prête à éclater pour la moindre raison et, de fait, se savait incapable de rester bien sagement assis sur une putain de chaise à l’image d’un écolier studieux sans pouvoir s’empêcher de bondir comme un diable de sa boîte au premier propos un peu contrariant.

Et ça commençait déjà : le nom de Jones dans la bouche de Peyton le faisait grincer des dents et sa mâchoire se contracta tandis qu’il se faisait violence pour ne pas attaquer directement sur le sujet. Forcément, il ne pouvait pas s’empêcher de se demander si elle avait un rapport quelconque avec la mort de l’ancienne dirigeante de la Mine. Si ils en étaient responsables, avaient comploté contre elle pour la jeter à bas de son piédestal. Le débat cependant, n’était pas ici aujourd’hui. Ou pas tout de suite.
Un petit ricanement s’échappa, acide, lorsqu’elle mentionna l’éventualité d’un nouveau traité. « Je suis là pour le vaccin, rien de plus. » Pour son fils, toujours alité à Olympia. Et pour tous ceux des siens qui souffraient du virus Lazarus. « Oh, et peut-être éventuellement pour m’assurer que je suis pas le prochain sur votre liste. Sait-on jamais la prochaine lubie qui vous passerait par la caboche. » Difficile de ravaler le sarcasme quand il avait cent fois pire en réserve qu’il se devait déjà de contenir à grand peine. « Enfin. J’imagine que vous avez eu le temps de mûrir quelque chose, déjà. » Et lui, il n’avait pas exactement ce luxe de faire la fine bouche par rapport à ce qu’on allait lui proposer…

Il n’est pas étonné qu’Abel refuse sa chaise et joue la réplique cynique. Si la situation était inverse, pas sûr qu’Aaren s’embarrasse à être sympa et faire bonne figure. Perdre n’a jamais bon goût, surtout lorsqu’on s’est fait avoir de la sorte. Aaren se contenta de retenir un soupir alors qu’Abel se la jouait déjà, le regard assassin à broyer sa haine contre le dos du mur. Ce n’est pas les paroles de Peyton qui le calma et ce dernier voulut évidemment faire savoir qu’il n’était là que pour le vaccin. « Nous allons discuter du vaccin, mais je pense tout de même qu’il y a d’autres points que nous pourrions élaborer… Tu comptes vraiment faire bande à part ? Je ne pense pas que ce soit dans les intérêts des autres cavaliers. » Toujours qu’à penser à sa gueule, à sa petite fierté. Déjà, Aaren avait le petit pressentiment que si Abel s’intéressait au vaccin, c’est parce qu’il était directement concerné avec son fils, actuellement traité à Olympia. Si cela n’avait pas été le cas, Aaren restait persuadé qu’Abel aurait bien pu se foutre de cette réunion et laisser crever à petit feu les cavaliers touchés. « On a rien à voir avec la mort de Jones. Ca été une opportunité je ne te le cache pas, mais c’était pas prévu. C’est arrivé et c’était ma chance de reprendre la Mine, je l’ai saisie, rien de plus. » Aaren refusait qu’on pense qu’il était impliqué dans la mort de Jones. Peut-être l’était-il indirectement, peut-être qu’un sympathisant l’avait tuée pour foutre le bordel, mais dans tous les cas, Aaren n’était pas au courant. Il tourna son regard vers Peyton. « On s’est dit avec Peyton qu’un traité en effet s’imposait, après tout Silas est à Olympia et je ne m’y suis pas opposé, donc on peut bien s’entendre sur certains points non ? » demanda-t-il, espérant que la carte Silas jouerait en sa faveur. Peut-être que Peyton, qui le connaissait mieux que lui, allait elle trouver d’autres mots plus à même de convaincre le dirigeant Rhodes de s’asseoir et d’arrêter de bouder.

Il serra les dents, s'imposant un calme qu'il était loin de ressentir quand la moindre remarque d'Aaren était pourtant si propice à le faire exploser. Bon sang, mais il se prenait pour qui à juger des intérêts de ses propres hommes ? A mépriser sa manière de mener son ranch, alors même que celui-là s'était toujours dressé envers et contre tout depuis bientôt neuf ans, et n'étais jamais tombé devant personne d'autre ? Et qu'est-ce qui était si risible dans le fait qu'il soit désireux de faire bande à part dans la mesure où Diggs tout aussi bien que Yates avaient contribué à cet isolement en faisant tomber son alliée ? « Mêle-toi de ton cul et laisse mes affaires tranquilles, tu veux ? » il riposta tout de même, incapable de tout garder pour lui alors qu'il lui avait déjà fallu ravaler sa fierté pour venir ici. Mais merde, il s'attendait à quoi Diggs ? Qu'Abel lui ouvre grand les bras après ce qu'il venait de faire ?
« Rien de plus, hmm. » Un petit ricanement imbibé de sarcasme ponctua la remarque, dénonçant de manière plutôt explicite le peu de foi qu'il avait en l'innocence de son interlocuteur. Il lui faudrait certainement plus que la promesse d'un homme que cette mort arrangeait bien, pour croire au fait qu'il n'y avait rien intrigué là-dedans. Et pour l'heure, Abel n'était pas le moins du monde prêt à gober ces conneries.

Mais cela n'avait pas grande importance : il n'était pas venu pour faire le procès d'une morte, tout aussi emmerdant son décès puisse-t-il être pour ses propres affaires. Son regard quitta celui d'Aaren tandis qu'il mentionnait Peyton, cessant ainsi de sembler vouloir le fusiller sur place pour s'intéresser plutôt à la responsable de cette réunion. Il ignora la question qui venait de lui être posée ou plutôt, ignora celui qui venait de la lui poser. « Quelle sorte de traité ? il demanda à l'olympienne. Qu'est-ce que tu veux, hein ? » Tu et non pas vous, mais la volonté d'Abel d'exclure son ennemi de longue date n'était pas vraiment étonnant, connaissant la mauvaise foi incroyable du cavalier - et sa colère, à l'heure actuelle, n'aidait en rien. « C'est toi qui fabrique le vaccin, je suppose que t'as déjà réfléchi à tes conditions ou tu m'aurais pas demandé de me ramener ici. »

Peyton à ce mauvais pressentiment, ce pressentiment qui vous indique que tout pourrait déraper d’une minute à l’autre. Ses yeux oscillent entre Abel et Aaren, l’un se montrant excédé, l’autre se voulant victorieux (et l’étant d’ailleurs). Elle a l’impression de ne guère avoir le temps d’en placer une, c’est légèrement irritant. Du coup, elle n’a ni l’occasion de se défendre face à l’accusation du meurtre de Jones ni celle de s’expliquer. Heureusement, Diggs tente de remettre les choses au clair concernant le sujet de la défunte Mineuse dont le décès reste un grand mystère. Un mystère qui ne fait pas vraiment partie de ses priorités pour tout avouer. Ce qui compte, c’est la suite des évènements, l’avenir, un potentiel nouveau traité. Par contre, elle n’est pas certaine que jouer la carte famille et donc Silas soit une très bonne idée. En réalité, aucune idée ne sera considérée comme bonne aux yeux d’Abel. Il se referme comme une huître au moindre mot. Est-il prêt à faire des concessions ? Rien n’est moins sûr. Pour autant, il tient à son Ranch et à ses hommes, il est égoïste et buté certes, mais pas au point d’en faire pâtir la Crimson Valley. Il n’est pas qu’un vieux bougre têtu, elle le connaît suffisamment pour savoir que son souhait le plus cher n’est autre que de voir perdurer son clan.

Finalement, les regards se posent sur elle. Elle fixe Abel, haussant un sourcil perplexe face à ses paroles. Clairement, il ne s’adresse qu’à elle et n’a aucune envie d’intégrer Aaren à l’équation. A l’exception près que ceci est impossible étant donné l’alliance la liant au Royaume. « Je ne suis pas la seule à avoir réfléchi à un nouveau traité. Cela nous concerne tous, que tu le veuilles ou non. » Et, clairement, il ne le veut pas. Mais, il n’a pas le choix, pas vraiment. « Certes, Olympia fabrique l'antiviral et s’avère être le seul fournisseur. J’ai besoin de tes parcelles cultivables pour continuer à le concevoir, tout comme j’en ai besoin pour tout ce qui est médicaments médicinaux. Sur ce point, je veux reprendre les termes de l’accord que tu avais avec Jones. Tu fournis les matières premières, en cas de blessés graves j’accueillerai les tiens et bien entendu je fournis l’antiviral et autres médicaments aux autres clans. » Y compris le Royaume donc. Sans vraiment offrir le luxe à ses interlocuteurs de rétorquer, elle se tourne vers Aaren et reprend ; « J’aimerais que tu autorises à nouveau les Cavaliers à troquer au sein de la Carrière, après tout, cette dernière reste un marché important et les Cavaliers sont des clients non-négligeable, ça relancerait le troc, sans parler du fait qu’ils aideraient donc potentiellement à la confection des médicaments destinés également au Royaume si Abel accepte. » Pour Peyton, tout semble logique. Le Ranch fournit les ressources premières, Olympia fournit l’antiviral et autres remèdes, le Royaume redevient un point central de marchandage, comme il l’était autrefois. Un échange de ressources équitable, du gagnant gagnant.

Aaren roule encore des yeux à l’agressivité vulgaire d’Abel. Ce dernier n’a jamais fait dans la finesse, en même temps le dirigeant de la Carrière non plus, mais quand même, cela ressemblait plus à un gamin qui joue l’insolent pour la première fois avec des figures d’autorité qu’autre chose. Aaren laisse passer la chose, il n’a pas exactement envie de passer la journée à s’envoyer des insultes avec le cavalier, et préfère prendre la position moralisatrice de jouer le plus beau jeu. De toute façon, ils ont gagné et il a perdu, et la bouderie d’Abel ne changera pas la situation. Pas s’il souhaite que les cavaliers soient encore soignés par le vaccin en tout cas. Peyton ne tarde pas d’ailleurs à expliciter ce que le Royaume et Olympia ont en tête lorsqu’Abel lui pose plus directement la question. L’accord paraît juste, même plus que généreux au vu des circonstances, si bien qu’Aaren s’est aussi mis à réfléchir de son côté à quelque chose à y véritablement gagner puisque c’est bien lui qui autoriserait les cavaliers à revenir faire du commerce au sein de la Carrière. Les bras croisés, Aaren attend donc sagement que Peyton ait fini de parler pour lui aussi poser sa condition avant qu’Abel ne décide d’accepter ou non. « Je suis prêt à ce que les cavaliers puissent revenir au sein de la Carrière. Maintenant que le clan est uni, ils ne peuvent plus être des espions pour la Mine et je pense que les échanges de ressources qui en résultent seraient bénéfique à tous. » Cela, c’est donc pour la première partie de sa prise de parole. Montrer patte blanche, et surtout, agir pour l’ensemble de la communauté des survivants, quelle que soit leur allégeance. Il se racle la gorge, signe qu’il n’a pas terminé et qu’il va reprendre la parole. « Toutefois, j’espère en retour un signe de bonne foi de la part du Ranch : je souhaiterai que le Royaume puisse avoir accès à une parcelle du Ranch, afin que nous puissions nous aussi cultiver des récoltes pour le clan, qui devient désormais plus vaste et qui a donc besoin de plus de ressources pour se nourrir. Tu possèdes de nombreux champs, je ne demande qu’une parcelle que je puisse exploiter librement. » demanda-t-il en adressant son regard plus directement à Abel. Il pouvait grogner autant qu’il voulait, Aaren n’accepterait pas de cavaliers à la Carrière tant qu’il ne pourrait pas exploiter une partie de ces champs qu’il avait toujours enviés aux Rhodes.

Evidemment qu’il se fit promptement rappeler à l’ordre, qu’on ne tarde pas à lui signaler que oui, ils étaient bel et bien deux contre lui, là, quand il était tout seul puisque sa seule alliée avait clamsé dans quelque affaire nébuleuse en le laissant bien con, bien esclave des deux autres aussi. Emmerdeuse jusque dans la mort Jones, hein ?
Abel fit silence, écoutant sagement la proposition que son interlocutrice ne fit pas attendre davantage. Au fur et à mesure des mots, lâchés comme tout autant de petites bombes, un sourcil se haussa et puis un air circonspect passa sur ses traits tandis qu’elle abordait la possible réouverture du marché de Diggs pour ses hommes. Et… quoi ? C’était tout ? Aussi simple que ça ? Il se pinça les lèvres, attendant le piège, attendant la condition ultime, celle qui le mettrait à genoux juste parce qu’ils pouvaient se le permettre, eux autres, juste parce qu’ils avaient ce pouvoir sur lui en sachant qu’à la fin de cette entrevue il accepterait tout de même, par manque d’un autre choix viable – le seul autre qu’il possédait étant de tuer jusqu’au dernier tous ceux de ses hommes qui étaient malades, Silas inclus bien évidemment. Et même dans son règne despotique sur les siens, il savait qu’une telle solution ne serait jamais tolérée, qu’on se soulèverait contre lui pour cela, qu’on le tuerait même, tant qu’on y était, tant qu’on le pouvait.

Le regard retournant vers Diggs quand celui-ci prit la relève, il hocha la tête en guise d’acquiescement muet quant à la commodité d’un retour au troc entre leurs clans, forcé de reconnaître la praticité du marché pour cela – mais il ne l’avait jamais niée, même avec Stonebriar pour compenser ce qui avait été perdu dans l’ancienne alliance avortée avec le roi.
Puis d’autres conditions, encore, mais c’était logique en soit : pourquoi Diggs lui cèderait-il quoi que ce soit gratuitement, au simple nom d’un nouveau traité ? Et l’idée lui déplut, forcément, cela aussi était prévisible. Des carrières chez lui ? A travailler ses terres ?

Il ne répondit pas de suite, non pas par hésitation à donner son accord mais plutôt pour s’éviter que les mots ne dépassent les pensées et que l’acidité n’éclabousse son interlocuteur d’un jet trop vivace pour être cette fois toléré. Quelques secondes lourdes donc, pendant lesquelles les trois leaders n’eurent rien de mieux à faire que se contempler dans le blanc de l’œil. Puis, finalement, Abel parvint à se convaincre de desserrer ses mâchoires contractées. « J’ai des terres en friche, hors des zones protégées. » D’anciens champs laissés à l’abandon parce que de toute manière sans engin agricole, il n’avait pas assez de main d’œuvre pour entretenir jusqu’au dernier hectare de la Crimson Valley et que dérouler des kilomètres de barricades en plus pour un lopin de terre inutilisé aurait été stupide. « Les autres, j’en ai besoin pour mes propres récoltes. Hors de question d'amaigrir mes réserves pour tes beaux yeux, Diggs. » Puis, se tournant vers Peyton cette fois : « Jones avait sa propre équipe sur la parcelle que je lui avait donné. Si tu la veux, tu y mettras tes hommes aussi : je peux te donner la terre, pas la main d’œuvre, et c’est non négociable. » Mais pouvait-il vraiment se permettre, lui, de glisser ses propres exigences là-dedans ?

Après leur proposition, place au silence et au visage pensif d’Abel qui étudiait leurs demandes voire même exigeances. Aaren se demandait si Abel avait réellement le choix dans cette histoire, mais bon, il pouvait toujours sortir un autre allié, un nouveau clan de sa poche. On n’était à l’abri de rien et Aaren restait prudent, pour cette raison que le ton lors de sa demande d’une parcelle n’avait pas été aussi arrogant qu’il aurait pu l’être vu le rapport de forces. Bras croisés, Aaren regarda tour à tour Abel, Peyton, Abel, Peyton, les lieux autour de lui, prit même le luxe de se servir un verre pour faire passer le temps. C’était lui ou le temps s’écoulait vraiment lentement ? Comme résigné, il finit par parler d’un lopin de terre qui n’est pas exploité par le ranch et qui est non-protégé, sous-entendu accessible aux gens du Royaume. Aaren le jauge du regard, cherchant le piège ou l’entourloupe dans ses paroles, mais non, il avait bien précisé que la parcelle n’était pas protégée par leurs barricades habituelles, peut-être parce que trop loin ou du Ranch ou plus difficile d’accès. « Je pense de toute façon qu’avoir une parcelle de terres en plein milieu des tiennes ne serait que sujet à de potentiels conflits parmi nos hommes. Je me réserve toutefois le droit d’observer la parcelle en question avec certains de mes hommes qui s’y connaissent en la matière, tu entendras que j’aimerais bien voir la gueule de ce que tu me proposes pour être certain de ne pas me faire plumer. » Il lâcha cette fois-ci un petit sourire, il ne savait pas s’il devait douter de la qualité de la terre que lui offrait le cavalier ou non. Une reconnaissances des lieux devait toute façon s’imposer pour voir combien d’hommes et de femmes seraient nécessaires à son exploitation. Il but une gorgée de son verre et rajouta. « Par ailleurs, je souhaite obtenir le feu vert pour construire des protections autour du lopin si tu dis qu’il n’est pas protégé, au moins, ça dressera une frontière claire et tu conviendras que plus le risque est bas, moins les esprits s’échauffent. » Les cavaliers auraient leur terre, le Royaume la leur bien à part et bien protégée, il y aurait moins de potentielles contestations. « Je serai en tout cas très ferme avec mes hommes sur les consignes à adopter, ils cultiveront la terre donnée et rien de plus. »

Peyton a presque l’impression d’assister à une scène surréaliste. Déjà, rien que le fait qu’Aaren et Abel se tiennent dans la même pièce sans essayer de se tuer relève du domaine de l’irréaliste. Et pourtant, à cet instant, les deux sont sur le point de passer un accord, Abel ployant le genou bien malgré lui et pas de bon cœur. Franchement, ça aurait pu être sacrément pire. D’ailleurs, Peyton est plutôt satisfaite de la situation. Finalement, personne ne s’est étripé. Pas encore du moins, peut-être est-ce donc le moment parfait pour écourter cette entrevue qui avouons-le, n’était pas gagnée d’avance. Les points principaux sont réglés et le reste ne relève pas du domaine d’Olympia après tout. Elle espère qu’une paix relative saura perdurer sur le long terme entre les différents clans. Il faut savoir rester optimiste. « Bien, je pense que tout est réglé. » Pour le moment. Elle a le sentiment de ne plus être intervenue depuis des siècles - ce qui est le cas - et d’avoir principalement joué le rôle d’intermédiaire entre les deux coqs. Soit, si sa présence peut empêcher une quelconque tentative de meurtre, elle veut bien encore se dévouer. « Du moins, les points majeurs. Il n’appartient qu’à vous de régler les détails concernant cette parcelle de terre. » Elle n’ira pas fourrer son nez là-dedans, les affaires d’Olympia suffise amplement à occuper ses journées et parfois même ses nuits. Elle n’a guère besoin de s’encombrer de nouvelles préoccupations au risque que sa caboche n'explose sous la pression et le flot de problèmes constant. « Une fois que j’aurai vos listes exactes concernant les contaminés, je vous ferai parvenir l’antiviral. » Sous-entend : l’accord entre les clans prend effet le plus vite possible, voir immédiatement. Pas question qu’il valse aux oubliettes. « Merci d’être venu… » Ce n’est pas comme s'ils avaient le choix, surtout Abel, mais autant conserver les apparences. Peyton adresse un regard bienveillant aux deux hommes assis de l’autre côté du bureau, si l’un semble assez satisfait suite à cet entretien, l’autre ne paraît pas en avoir terminé avec elle. Merde, ça pue la confrontation avec le grand manitou Rhodes. Est-ce qu'elle espérait sincèrement y échapper après son petit coup en douce ? Peut-être. Elle se voilait clairement la face.

Il pouvait convenir, effectivement, du fait que Diggs voyait juste et qu'il était primordial de chercher à tout prix à limiter les risques de conflits entre leurs deux camps. L'animosité régnant entre ses hommes et ceux de son interlocuteur se faisait suffisamment vieille pour rester tenace envers et contre tout et, bien qu'elle ne s'étendît pas à chaque personne de leurs clans respectifs (encore heureux), il savait avec certitude qu'il y avait suffisamment de tête de con chez lui ou ailleurs pour qu'une baston naisse de rien du tout et dégénère en guérilla sanglante. Ceci, au mépris de tout traité, quels que soient les avantages que celui-ci pouvait bien leur offrir. « T'auras qu'à passer au ranch demain, ça sera plus simple de voir sur place ce qu'on peut faire. » Demain, ou n'importe quand messire du nouveau Royaume unifié pourrait se libérer de ses nouvelles responsabilités afin de peaufiner ce nouvel accord au plus vite.
Le plus tôt serait le mieux pour Diggs, s'il souhaitait que ses survivants puissent d'ores et déjà entamer les travaux et le travail de la terre (du moins s'il désirait déjà avoir quelques récoltes cette année), mais Abel n'allait certainement pas insister en dehors du strict minimum. En d'autres termes : l'invitation étant lancée, son interlocuteur pouvait bien en faire ce qu'il voulait – et même se la coller au cul si cela lui chantait.

Peyton reprit la parole et le cavalier abandonna son tête à tête avec Aaren pour braquer à nouveau son attention sur elle. Tout était réglé, oui, et tout l'avait été avec une efficacité et une rapidité exemplaire : fait à marquer d'une pierre blanche. D'un autre côté, Abel avait été le seul réel risque au sein de ce meeting, les deux autres étant alliés depuis déjà un long temps maintenant, et il aurait été bien mal avisé de sa part – quoique ce ne fut pas l'envie qui lui en manquât – de mordre la main qu'on lui tendait.
C'est tout ?, il eut envie de dire, presque surpris qu'aucun des deux ne veuille se montrer plus gourmand que cela. Son naturel suspicieux et paranoïaque le poussait à chercher le hic de l'histoire, trouvant tout ceci bien trop parfait et expédié à son goût. C'est tout ce que vous voulez ? Mais il ravala sa langue et les sarcasmes qui s'y bousculaient parce que ça l'arrangeait bien, en fait. Trop bons trop cons, les deux autres ? Peut-être (sûrement, de son point de vue), lui en tout cas ne se serait pas privé à leur place – de la même manière qu'il ne s'était pas privé durant cette année où il avait eu Olympia sous sa coupe.

Merci d'être venus. Il roula des yeux, laissa filer un petit rire amer. L'olympienne et son sens des civilités... Mais le message, quoi qu'il sonnât clairement comme un congédiement pur et simple, ne suscita pas chez lui la moindre réaction. Toujours debout, les bras croisés et tranquillement appuyé contre le mur, Abel ne fit pas mine d'amorcer un signe de départ. L'intention contenue dans son immobilité, et dans le regard qui finit par abandonner Peyton pour vriller Aaren sans qu'un mot de plus ne franchisse ses lèvres, était on ne pouvait plus claire : en ce qui le concernait, il n'en avait pas encore terminé ici.

Peyton aurait largement préféré se retrouver seule avec elle-même à cet instant précis. Mais, il faut croire que seul Aaren Diggs est capable de comprendre que derrière les civilités de l’Olympienne se dissimule l’envie de mettre un terme à cet entretien. Une façon polie de congédier ses interlocuteurs. Oh, bien sûr, elle est persuadée qu’Abel dispose également du QI nécessaire afin de capter le sous-entendu clair et net, sauf qu’il préfère tout bonnement l’ignorer, demeurant immobile et l’air implacable. Est-elle prête pour la confrontation qui s’ensuit ? Oui et non. Disons qu’elle n’a pas à se justifier et qu’elle est éreintée par l’idée même qu’une nouvelle dispute éclate entre elle et le Cavalier. Cycle éternel qui ne semble pas du tout sur le point d’être brisé. Mais, maintenant qu’il est là, autant crever l’abcès immédiatement plutôt que de reporter à plus tard cette confrontation pour le moins désagréable. Au moins sera-t-elle débarrassée de ce fardeau. Il faut savoir rester optimiste.

Après un sourire sincère échangé avec le dirigeant du Royaume suivit d’un regard entendu, ce dernier s’éclipse, la laissant seule avec Abel Rhodes et son humeur maussade - le mot est faible. Il a de la chance, une partie d’elle aimerait être à la place de Diggs. Mais disons qu’elle n’a pas trop le choix, éviter le conflit qui s’annonce ne fera que le repousser. Un mauvais quart d’heure à passer et elle pourra ensuite s'effondrer dans le canapé tout en priant pour que la tornade Willa Yates ne lui tienne pas la jambe. Un ange passe et elle pourrait jurer que les prunelles inflexibles du Cavalier la transpercent de part en part. Elle pourrait se sentir mal à l’aise si elle n’était guère habituée au comportement d’Abel. Elle comprend pourquoi ce dernier est craint, même si cela n’est pas valable pour elle. Finalement, elle ouvre la bouche, parce que le silence lui semble insupportable. « Je n’ai pas l’intention de m’excuser, d’ailleurs tu n’en aurais strictement rien à foutre de mes excuses. » Ce qui est fait est fait. Elle ne regrette pas vraiment ses choix. Et, elle le connait assez bien pour savoir qu’il n’attend aucune excuse de sa part et qu'elle peut se les carrer où elle pense. « Je n'ai pas de comptes à te rendre. Si les rôles étaient inversés, tu aurais agi de la même manière que moi. » Il aurait repris la Mine, succédé à Anita Jones, fusionné les clans. Dieu sait ce qu’il aurait tenté de soutirer à Olympia ainsi qu’à la Carrière, surtout à la Carrière d’ailleurs. Elle ne veut pas imaginer cette possibilité. « Mais, vas-y, crache ton venin. » Elle s’attend à des paroles dures et des regards assassins. Des injures ne sont pas à exclure. En somme, ce ne sera pas plaisant. Pourvu simplement qu’il sorte de ce silence et qu’il arrête de la trucider du regard sans piper mot.

Spoiler:

Aaren finit enfin par quitter les lieux mais Abel resta encore dans l’attente une poignée de secondes, les lèvres tout aussi closes que la porte derrière la sortie du roi. Il aurait pu bondir à peine l’autre leader parti, incriminer Peyton directement sans se soucier que les éclats de sa voix transpercent le battant de voix et parvienne à celui qui n’avait pas encore eu le temps de trop s’éloigner mais le silence lui parût à la place un choix bien plus judicieux.
Non par parce qu’il craignît que Diggs soit susceptible de l’entendre, mais pour une raison beaucoup plus terre-à-terre : il réfléchissait. Beaucoup de choses se bousculaient dans son esprit, beaucoup de questions, d’accusations à se batailler pour sortir la première et le cavalier, conscient de ne pas disposer d’un jeu de cartes très fourni, préférait ne pas les poser comme elles venaient pour la simple et bonne raison qu’il n’avait pas grand-chose pour lui aujourd’hui. Peu à gagner, mais beaucoup à perdre. Et condamner un traité tout fraîchement établi à cause de quelques propos malencontreux n’était certainement pas dans ses intérêts.

Ce fut Peyton qui finit par casser le silence en premier. « Et est-ce que je t’en ai demandé ? » il rétorqua d’entrée de jeu, directement sur la défensive sans toutefois relancer derrière.
Et l’olympienne avait raison, bien sûr – une fois de plus, une fois de moins : qu’est-ce que cela changeait, à la longue ? – en ce qu’elle n’avait en aucun cas à se justifier de ses actions. Bien sûr qu’il aurait fait la même à leur place, ou même pire à occasion donnée parce qu’une fois la Mine entre ses griffes, il ne se serait pas arrêté là. Sauf que l’occasion ne s’était pas présenté, vu qu’une certaine personne ici présente avait jugé plus judicieux de le rouler dans la farine, de s’assurer qu’il ne risquait pas d’intervenir de quelque manière que ce soit… Une étincelle de colère flamboya dans son regard, alors que l’impression désagréable qu’elle le traitait à l’image d’un gamin capricieux et boudeur s’insinuait dans son esprit. Est-ce qu’elle n’était pas légitime, son irritation ? Diggs et elle avaient conspiré dans son dos, s’étaient assurés de l’avoir à leurs bottes ensuite et il n’avait pas le droit de s’estimer lésé ? Il renifla et un petit rire sarcastique fusa du fond de sa gorge. Si gentiment invité à le faire, il n’allait certainement pas se faire prier afin de le lui cracher à la gueule, son venin. « Ça a dû sacrément te remonter la cote auprès des tiens, hein, de te foutre de ma gueule comme ça. Tu peux être contente de toi : t’es la première à me baiser aussi bien que ce que t’as fait. C’est facile après ça, non ? Suggérer un nouveau traité la bouche en cœur comme la dernière des salopes, sachant très bien que tu pourras exiger n’importe quoi de moi vu comme tu t’es bien assurée de me rendre dépendant. » Elle aurait pu lui passer des chaînes aux poignets qu’il ne se serait pas senti plus entravé que ce qu’il n’était déjà. Et à l’image des mustangs qu’il avait dans ses prairies, Abel n’avait qu’une seule envie : ruer dans les fers jusqu’à les briser, ou qu’ils le brise lui. « C’est quoi l’idée ensuite, commencer en douceur histoire de me donner l’impression que j’ai encore un minimum de contrôle ? Et m’entuber un peu plus jusqu’à être bien sûrs que je sois maté ? Si vous faites ça bien, vous pourriez mettre un de vos pantins à ma place et personne ira chialer. Peut-être même qu'il y en aurait pour vous applaudir. » Le cynisme amer était perceptible, derrière le ton mordant de ses propos et l’agressivité à peine bridée.
Mais loin de s’emporter, Abel n’avait toujours pas bougé de sa place et sa voix n’avait pas vraiment grimpé dans les tons, se contentant simplement de se durcir davantage.

L’invitation de Peyton est pratiquement saisie au vol et une vague de reproches parsemée d’insultes ne tarde pas à déferler au sein du bureau soudainement saturé en énergies négatives. Les mots sont durs et crachés avec froideur et cynisme. À force de côtoyer de moins en moins le Cavalier après leur éloignement, elle a presque failli en oublier la véhémence avec laquelle il est capable de la confronter. D’ailleurs, elle doit se faire violence pour ne pas l’interrompre. Les injures l’enragent, tout comme le discours prononcé durement par son interlocuteur. Elle comprend sa colère, ce n’est pas pour autant qu’elle accepte ce manque de respect. Elle a l’impression qu’il ne la connaît pas. À l’entendre, elle n’est qu’une sorte de monstre assoiffé de pouvoir sur le point de l’évincer et de l’enchaîner au fond de sa cave. Il doit confondre avec sa propre personnalité. Les poings serrés sur le bureau à en faire blanchir les jointures, elle s’abstient de frapper du poing sur la table, pourtant ce n’est guère l’envie qui lui manque.  

Finalement, il la boucle. La posture toujours aussi fermée. Le regard transcendant de colère. L’expression c’est l'hôpital qui se fout de la charité n’a jamais été aussi concrète qu’à présent. Peyton se redresse finalement, contournant le meuble en bois, quittant son siège pour prendre appui contre le bureau, bras croisés contre sa poitrine, l’agacement presque palpable tant il est omniprésent. « La salope, elle aurait pu très largement te baiser d’avantage, en exiger sacrément plus de ta part et te dépouiller jusqu’à l’os. Alors, tu devrais sincèrement réfléchir à tes propos et ta situation, même si j’ai pertinemment conscience que ça ne fait pas partie de tes facultés. » Elle serre les dents, soutenant les prunelles d’acier du Cavalier. Elle sait d’avance que cette discussion ne mènera à rien. Pourquoi devrait-elle s’expliquer au juste ? Est-ce qu’il exige de Diggs quoi que ce soit ? Certainement pas. On fait chier Peyton, c’est plus simple. Peyton Yates, défouloir personnel d’Abel Rhodes. Il peut bien lui reprocher son sort, c’est légitime, il n’en reste pas moins qu’elle s’est montrée clémente envers lui, qu’elle a calmé les ardeurs d’Aaren. « Quand il est venu le moment de faire un choix, j’ai fait ce qui était le mieux pour Olympia. Pourquoi est-ce que je devrais prendre en compte le sort des Cavalier ? Ton sort ?  Ce n’est pas comme si tu en faisais de même, bien au contraire. Si tu en avais eu l’occasion, la ville serait sous ta coupe. Alors, arrête ton numéro. » Il a bien profité du traité avec Olympia, trop d’ailleurs. Il a exploité la ville, il aurait recommencé sans sourcillé s’il avait eu l’occasion de mettre la main mise sur la Mine. Il n’a aucun droit d’être ici, de l’injurier et d’attendre elle ne sait quoi exactement d’elle. « De plus, je ne crois pas qu’on me connaisse sous le nom d’Abel Rhodes, arrête de confondre. Les termes du nouveau traité sont clairs, du moins avec Olympia, je n’ai pas l’intention de revenir dessus. Je ne suis pas celle qui souhaite le beurre et l’argent du beurre. » Elle n’est pas lui, sûrement pas. « Tu devrais plutôt t’inquiéter de tes relations avec Diggs. » Mais, à la place, il est ici, à lui casser les pieds, alors qu’elle s’est montrée de bonne volonté, qu’elle a permis au Ranch de ne pas couler avec la prise du complexe Minier. Trop bonne trop conne, putain. C’est toujours pareil, elle devrait tout bonnement arrêter de se soucier des autres. Il se sent enchaîné ? C’est son droit. Il ne s’imagine même pas à quel point cela pourrait être pire. Heureusement qu’il ne doit pas faire face à lui-même.

A ses yeux, tout l’argumentaire de Peyton n’était bon à une chose : lui rappeler comme elle était bonne et juste, elle, leader adorée d’Olympia, tandis que lui n’était rien de plus qu’un vulgaire fils de pute. Et bien sûr qu’il y avait un large fond de vérité là-dedans, Abel n’ayant après tout jamais prétendu être autre chose que ce que les rumeurs (et ses propres actes) dépeignaient en tous points mais, à cette instant précis, il était tout sauf d’accord avec ce tableau blanc et noir qu’elle lui esquissait.
« Je sais très bien de quoi je dois m’inquiéter, il grinça tout en se retenant d’exploser. Et je m’occuperai de Diggs en temps voulu. » Cela pouvait sonner comme une menace, certes, mais ça ne le serait que s’il en avait les moyens pour – or ce n’était pas le cas à l’heure actuelle, et tout le monde le savait. Qu’importe le désir du cavalier à faire ravaler toutes ses prétentions au nouveau leader de la Mine, il faudrait bien que cela reste à l’état de fantasme inassouvi dans l’immédiat. En attendant, il n’aurait plus qu’à prendre sur lui et faire des efforts afin de tenter de rendre cette alliance viable. Même si cela impliquait d’accueillir des travailleurs du Roi sur ses propres terres. Et même si cela impliquait d’avoir à supporter la présence de ce dernier sous son propre toit, afin de traiter avec lui dans des termes les plus cordiaux possibles.
Tout ça parce qu’il avait réussi, largement aidé en ça par Peyton, à le mener en bateau droit dans leurs petites manigances. Et il était censé accepter sa prétendue bonne volonté, maintenant, quand elle lui disait qu’elle aurait pu faire pire mais s’en était abstenue ?

Un léger rictus désabusé se tordit sur les lèvres d’Abel tandis qu’il secouait légèrement la tête, l’air de refuser ses propos et une sorte de déception ternissant l’éclat furieux de son regard. « C’est très bien tout ce que tu dis là, mais je crois que tu oublies quelque chose dans tout ça. Un détail. » Il restait calme, une belle image de façade et l’olympienne était bien placée pour savoir qu’une colère froide, chez lui, était de bien pire augure que les explosions qu’il lui prenait parfois d’avoir, généralement face à des subalterne qui n’avaient pas besoin de grand-chose de plus pour avoir peur de lui. Sa rancœur venimeuse n’était pas moins pénétrante pour autant. « A quel moment je suis supposé croire à tout ça ? Pourquoi je devrais faire confiance ? » Après tout elle l’avait déjà manipulé une fois pour pouvoir en arriver là, aujourd’hui ? Elle lui avait caché la vérité pour mieux arriver à ses fins et maintenant qu’elle l’avait à sa merci, il fallait qu’il accepte de croire qu’elle ne s’en servirait pas davantage que ce qu’elle avait exigé précédemment en présence d’Aaren ? Hors de question : Abel ne se ferait pas avoir une seconde fois.

« Ça ne serait pas la première fois que tu contournerais les termes pourtant clairs d’un traité, il relança sans guère lui laisser le temps de répondre à ses deux questions. Pour le bien d’Olympia. A moins que tu l’aies déjà oublié ? » How convenient. Abel, lui, ne risquait pas de tirer un trait sur cette histoire de médicaments, qu’importe que ce fût de l’histoire ancienne ou non. Ici, ressortir ce sujet enterré depuis lurette servait à merveille le point qu’il cherchait à établir en remettant en cause la fiabilité des affirmations de son interlocutrice. Si le sort de sa précieuse ville pesait sur la balance, qu’est-ce qui lui prouverait, à lui, qu’elle ne mène pas sa barque comme elle l’entendait une fois de plus ? Et, partant de là, qu’est-ce qui définissait la limite, le moment à partir duquel elle pouvait se permettre de bafouer un accord pour le bien de ses citoyens ? La réponse était simple : il n’y en avait pas. C’était à la seule appréciation de la personne en charge, Peyton en l’occurrence.
Les bras se décroisèrent, tandis qu’il se décollait de son appui pour s’avancer vers elle, franchir en trois pas tranquilles la distance qui les séparait pour se planter tout juste devant elle. De sa main droite il lui attrapa le menton, lui imposant de garder la tête levée vers lui – quoi qu’il y eût peu de chances qu’elle se fut, de toute manière, dérobée à son regard – pendant quelques longues secondes. « Tu te crois tellement meilleure que moi, il lâcha finalement d’une voix où un mépris palpable suintait, laissant retomber sa main avant de reculer d’un simple pas. J’espère que tu t’en souviendras quand quant ton petit traité ne te paraîtra plus si profitable que ça. »

Bien sûr, Peyton n’a jamais imaginé que ce serait facile de convaincre Abel de sa bonne foi. D’ailleurs, elle ne s’y efforce pas vraiment, elle se contente juste d’exposer les faits, quoiqu’elle aurait pu le faire d’une manière différente, mais disons que la colère pulse dans ses veines. Forcément, ça n’aide pas et surement s’est-elle montrée sèche et désagréable. Tout comme lui au final. Il l’attaque - peu importe qu’il ait ses raisons -, elle réagit, ni plus ni moins, bien qu’elle conserve encore formidablement bien son self-contrôle. De toute évidence, la confiance n’est pas quelque chose qu’ils partagent. Cette qualité a toujours été absente de leur relation, que ce soit sur le plan pseudo-politique ou privé. Peut-être est-ce pour cette raison qu’ils en sont là aujourd’hui. Elle ne sait pas trop où exactement, tout ce dont elle a conscience est qu’ils ne sont pas plus avancés qu’il y a trois ans de cela. Triste constat. Plutôt douloureux à réaliser. Elle aimerait prétendre n’avoir aucun tort à ce sujet mais force est de constater qu’étant donné la situation actuelle, ce n’est pas le cas. Pour autant, il n’est pas en reste non plus.

Tel un uppercut dans l’estomac, les paroles d’Abel lui coupent le souffle. Le fait qu’il fasse référence à cette décision qu’elle a prise concernant une livraison amoindrie en médicaments n’est pas pour lui plaire, loin de là. Surtout en sachant pertinemment que sa conscience en a déjà pris un sacré coup, elle porte toujours le poids de la mort du patriarche Rhodes sur ses épaules, peu importe ce qu’elle peut bien prétendre. Peu importe qu’il serait sûrement mort de toute manière  - étant donné son âge avancé - bien qu’elle ait précipité sa chute dans les limbes. Malgré la multitude d’émotions s’emparant d’elle à cet instant précis - colère, indignation, culpabilité -, Peyton se contraint à conserver une mine quasi inexpressive. Il n’a pas besoin de prendre conscience de l'efficacité de cette remarque acerbe et bien placée. Pour autant, cette dernière a fait mouche, c’est indéniable. « Donc, quand ça t’arrange, tu ressors de vieilles rancunes. D’accord. Heureusement que je ne me décide pas à revenir sur tes nombreuses erreurs et mensonges, tu n’es pas en reste non plus. » Elle en vient presque à grincer des dents rien qu’à y repenser. Mais l’envie de s’étendre là-dessus n’est guère au beau fixe. À quoi bon s’y attarder ? Ce n’est pas franchement le moment et de toute façon, elle n’a pas l’intention de s’abaisser à son niveau.
Le calme et la froideur dont fait preuve le Cavalier tandis qu’il rompt tranquillement la distance les séparant aurait de quoi faire frémir n’importe quel autre survivant lambda doté d’un minimum de bon sens. Pas elle. Peyton est parfaitement consciente qu’il est incapable de la blesser, du moins physiquement. D’ailleurs, lui aussi en a totalement conscience, ce qui le pousse la plupart du temps à avoir recours à des mots et des remarques acérées. Mais, c’est d’abord le silence qui prime, le genre de silence qui donne froid dans le dos et dont on se passerait largement. Téméraire, comme toujours, elle soutient le regard d’acier du Cavalier. De toute évidence, elle n’a pas le choix, bien que l’idée de baisser les yeux face à Abel Rhodes ne lui serait jamais venue à l’esprit, question de fierté oblige. Il n’a pas besoin d’émettre un son qu’elle peut déjà percevoir le mépris qu’il nourrit à son égard. Pas franchement plaisant, ses sentiments en prennent un coup, comme souvent d’ailleurs. Les mots ne font qu’enfoncer le couteau dans la plaie alors qu’il s’écarte à nouveau. Ce reproche, elle l’a déjà entendu. Peut-être qu’il n’est pas totalement dénué de sens. Est-elle meilleure que lui ? À en juger par leurs actions respectives elle aurait tendance à dire que la balance penche en sa faveur. C’est un simple constat purement réaliste, quoique foutrement égocentrique. « J’ai déjà entendu cette remarque, tu devrais penser à te renouveler. » C’est clair et net, cette conversation ne risque pas d’aboutir à quoique ce soit de bien ou de constructif. Non, ils sont encore en train de se déchirer. Les mauvaises habitudes ont la vie dure. « Je suis vraiment navrée de te décevoir encore manifestement. » Qu’elle ajoute finalement, la voix on ne peut plus cassante, évitant soigneusement de songer plus amplement à la dernière réplique piquante de l’aîné des Rhodes. En attendant, ce traité, il lui profite bien, et c’est tout ce qui compte. Même si une infime partie d’elle exècre cette situation, déteste la façon dont cela impact sa relation déjà bien catastrophique avec Abel.

« Bien sûr que non, il rétorqua. Pourquoi tu le serais, alors que t’as tout ce que tu veux ? Epargne-moi ta condescendance hypocrite, j’en ai pas besoin. » Après tout, elle et Diggs avait réussi un coup de maître en se débarrassant d’un voisin gênant tout en s’assurant de mettre l’autre aux fers. Elle n’était pas navrée, non, elle retournait juste le couteau dans la plaie en profitant d’une supériorité évidente qu’il n’avait aucun moyen de lui contester. « Tu savais très bien ce qui allait se passer et comment j’allais réagir, prétend pas tomber des nues maintenant parce que la situation me convient pas. » Elle l’avait déçu ? Doux euphémisme, car le mot était beaucoup trop faible pour exprimer tout ce qu’il éprouvait pour elle à cet instant.
Pour ce que ça pouvait lui importer à elle, de toute façon : elle avait gagné alors, elle pouvait bien se comporter comme ça lui plaisait…

Abel fut saisi de la brusque envie de tourner les talons, claquer la porte et s’en aller noyer sa colère et sa frustration dans le sourire de son fils – à supposer qu’il soit en forme aujourd’hui, l’instabilité de son état toujours à même de lui réserver les pires surprises comme les meilleures…
Mais ils n’en avaient pas encore fini ici : il y avait d’autres choses que l’homme avait besoin de savoir, peu importe que cela soit plaisant à entendre ou non. Laissant le silence flotter un instant, il prit le temps de ré-agencer le désordre dans ses pensées, de choisir la prochaine question qui allait franchir ses lèvres. Et puis, finalement : « T’étais au courant depuis quand, pour Jones ? » Bien sûr, les tenants et les aboutissants de cette histoire lui étaient complètement inconnus, à lui, même s’il avait bien quelques idées qui s’étaient formées sur des indices, des rumeurs. Il avait aussi les dires de ceux qui étaient venus chercher refuge chez lui mais cela ne l'aidait en rien : on parlait après tout d'un assassinat et l'identité du commanditaire était encore inconnue.  

« Est-ce que tu savais avant d’adhérer au plan de Diggs et de te prêter à tout ça ? » L’autre question qui lui brûlait les lèvres, mais qu’il ne posa pas : jusqu’où avait-elle sa part de responsabilité dans ce chamboulement de pouvoirs ?  Aaren avait affirmé tout à l’heure qu’ils n’avaient rien à voir dans la mort de l’ancienne leader du complexe minier, mais Abel n’y croyait pas une seule seconde. Pour lui, cela n’avait été qu’une bête affirmation lancé au débotté dans le but de l’apaiser parce que l’accepter en tant que vérité lui paraissait bien trop absurde. Trop beau pour être vrai… Sur que c’était un joli mensonge bien pratique pour le roi qui pouvait, ainsi, se récupérer la loyauté d’une partie des hommes de son ancienne ennemie mais en dehors de ça ? Le cavalier était persuadé que son éternel rival avait trempé là-dedans et, si c’était le cas, pourquoi pas elle également ? Aujourd’hui, il la croyait parfaitement capable de ce genre de manigances.
Après tout, était-elle à ça près maintenant ? L’expédition à Austin avait bien prouvé qu’elle était capable de se montrer plus retorse qu’il ne l’aurait cru pour arriver à ses fins.

Il a raison. Elle savait en trompant ainsi le Cavalier qu’elle n’échapperait guère à une telle confrontation. Qu’elle mettrait encore un peu plus en péril ce qu’il reste d’eux. Qu’elle allait le foutre sacrément en rogne. Pourtant, elle l’a fait. Elle ne peut plus reculer, elle ne veut pas reculer. Si, la Mine était tombée entre les mains d’Abel, la situation aurait probablement été - du moins tôt ou tard - à son désavantage. Olympia avant tout, triste constat. Toutes les raisons pour lesquelles elle ne souhaitait pas le moins du monde endosser le rôle de leader de clan lui reviennent telle une immense gifle en pleine figure. Elle déteste ça. La chef en elle est satisfaite. Pour ce qui est de Peyton Yates, c’est une autre histoire. Si, elle n’éprouvait rien pour l’aîné des Rhodes ce serait facile, elle serait pleinement comblée. Ce n’est pas le cas, parce que justement, les sentiments s’en mêlent et fichent tout en l’air alors qu’ils ne doivent pas être pris en compte. Elle a volontairement fait le choix d’écarter ces derniers, de les éloigner de l’équation, lorsqu’elle a décidé d’appuyer Aaren Diggs lors de la prise du complexe minier.

Peyton s’attendait sincèrement à ce qu’il quitte la pièce sur ces entrefaites, elle l’espérait même, autant être honnête. Elle ne veut plus se disputer, pas aujourd’hui, pas maintenant. Mais, force est de constater qu’il n’est pour l’instant pas encore de cet avis, c’est bien sa veine. Elle pourrait le rembarrer, à l’exception près qu’il ne l’écouterait pas et qu’il resterait campé dans son bureau jusqu’à qu’il obtienne ce qu’il souhaite, autrement dit des réponses. C’est qu’il est foutrement tenace, elle est bien placée pour le savoir. Elle sait qu’elle ferait mieux de se montrer coopérative, mais au fond d’elle une toute petite voix lui insuffle d’opter pour le mauvaise foi. Heureusement, elle prend soin d’ignorer cette dernière. Pour autant, elle a l’impression de se diriger tout droit vers la potence. Elle sait que ses aveux seront loin de lui plaire. « Je le savais avant l’expédition. » Elle sent le regard d’acier du Cavalier la transpercer de part en part, la trucider sur place même. Elle est presque certaine de discerner des envies de meurtre dans les prunelles de son interlocuteur. Elle aurait pu mentir, prétendre qu’elle n’était guère au courant de la mort de Jones avant qu’il ne parte en expédition mais, il y a déjà trop de mensonges qui subsistent entre eux. Tout à coup, elle prend conscience qu’ils ne se relèveront peut-être pas suite à cela, enfin encore faudrait-il qu’il y ait encore quelque chose entre eux et ça, c’est une autre histoire. Enfin, bien sûr qu’elle ressent tout un paquet de sentiments franchement incompréhensibles envers lui, mais elle a pu constater que leur histoire est un désastre et qu’elle est justement en train de pousser ce désastre un peu plus loin, peut-être trop loin. Une partie d’elle s’en veut. Mais, que pouvait-elle bien faire d’autre ? Rien. Il fallait qu’elle se positionne aux côtés d’Aaren. « Aaren est venu m’aviser en personne de la mort de Jones quelques temps après son décès. J’étais au courant, oui. J'ai lancé l'idée du raid afin que tu sois tenu à l’écart du complexe minier. » Cela laissait donc le feu vert à Diggs afin qu'il puisse s’emparer de la Mine. Du moins, il n'a guère dû se préoccuper de la complication Abel Rhodes. Elle a émis l'idée de l'expédition, fait en sorte que le raid se déroule sans trop tarder afin qu’aucune rumeur concernant la mort d’Anita ne parvienne aux oreilles du Cavalier et qu'il soit tenu à distance. Oui, c'était prémédité. « Et, pour ta gouverne, je ne suis pas responsable de la mort de Jones. Tu sais très bien que je suis incapable de tuer de sang-froid, enfin normalement tu le sais, mais je préfère le souligner puisqu’on dirait bien que tu es convaincu du contraire depuis ton arrivée. » Elle le voit déjà très bien répliquer qu’il ne sait plus rien d’elle, elle le sent venir. Et, peut-être que ce n’est pas tout à fait vrai ce qu’elle raconte, puisqu’elle a bien tué Joseph, mais il s’agissait là d’un acte guidé par la colère et le désespoir, rien à voir donc. Peyton soupire profondément, éreintée par cette conversation et par l’entrevue avec Diggs. En réalité, elle a le douloureux sentiment que la relation qu’elle entretient avec Abel continue perpétuellement de se fragiliser sans qu’elle ne puisse y faire quoi que ce soit. Elle a beau vouloir recoller les morceaux, ces derniers comment à être trop nombreux.

Bien sûr qu’il savait que la réponse n’allait pas lui plaire. Même s’il avait posé la question, cela avait été plus pour appuyer un besoin de l’entendre le lui dire oralement que pour une réelle interrogation quant à sa part de responsabilité dans l’affaire. Il savait.
Cependant, les explications qui suivirent sans qu’il n’ait à poser la question ne se gênèrent pas pour remuer le couteau dans la plaie. Forcé de saluer l’ingéniosité du plan toutefois, mais Abel ne risquait pas d’en toucher un seul mot vu qu’il en avait été le dindon de la farce. Pour sûr, il faudrait un certain temps encore avant que son amour propre ne se remette d’avoir été floué de la sorte.
Mais dans l’immédiat, ça lui faisait bien trop mal au cul d’admettre que Peyton et Aaren avaient bien joué leur coup, et lui trop aveugle pour se douter de quoi que ce soit avant que ce ne soit trop tard.

Abel ne répondit rien, parce qu’il n’y avait rien à répondre à ce qu’elle venait d’admettre. Il était venu chercher des éclaircissements, elle venait de les lui servir sur un plateau d’argent sans sourciller, sans vraiment avoir l’air de regretter quoi que ce soit – et qu’y avait-il à regretter pour elle de toute manière ? Il se complut dans le silence, à simplement fixer sur elle un regard tout sauf amène.
Au moins Peyton avait-elle la décence de ne pas lui présenter un air jubilatoire face au succès de ses petites machinations.
Ce fut elle qui reprit encore la parole alors que l’homme persistait dans son mutisme sans pour autant se décider à bouger du bureau. Comme si elle avait lu dans ses pensées… Mais le fait était que c’avait probablement été le cas, en ce qu’elle le connaissait suffisamment bien pour être capable, désormais, de déchiffrer ce que ses yeux glacés laisser filer des choses qu’il avait en tête. Elle le connaissait trop bien, parce qu’il s’était trop ouvert en sa compagnie.
Maintenant, ne lui restait plus qu’à payer son erreur ou tout du moins la digérer. Essayer.

« Non, je sais pas, répliqua-t-il en secouant la tête, rictus amer au bord des lèvres. De toute évidence, y a beaucoup de choses que je ne sais pas de toi. » Il en savait au moins une : elle avait hâte qu’il décarre d’ici et il allait enfin se résoudre à lui exaucer ce vœu avant qu’elle n’ait besoin de le formuler à voix haute. Qu’avait-il de plus à faire ici, de toute manière ? A part s’obstiner dans une querelle-défouloir, mais quitte à passer encore un peu de temps à Olympia avant de s’en retourner au sein de la Crimson Valley, Abel préférait le dépenser avec Silas. Pas avec elle. « Mais je suis sûr que Joseph serait ravi de cette affirmation. » Il se détourna finalement d’elle, posa la main sur la poignée et jeta par-dessus son épaule : « Enfin, s’il était encore vivant bien sûr. » Fielleux et gratuit. Joseph avait mille fois mérité de mourir et la seule raison pour laquelle le cavalier aurait voulu le savoir vivant, aurait été pour le tuer de ses mains. Encore. Et encore.
Lui, au moins, ne se cachait pas derrière des mensonges vains quant à la personne qu’il était…