sunday morning + lucy

Le soleil était entré dans la pièce en silence, mais cela l’avait tout de même tiré de ses songes. Les rayons dansaient, là dans le doré de ses cheveux, là sur les murs de la petite chambre. Lucy se laisse hypnotiser par le spectacle mouvant un moment, le temps d’émerger complètement de son sommeil. Le soleil apportait avec lui une douceur bienvenue sur ses bras nus, sur ses bras vides.
Elle ne s’en était pas inquiétée, dans un premier temps. La solitude se glissait bien souvent dans ses draps. Mais la chaleur encore capturée par les tissus l’avait rappelée à la réalité. Mikh. Bien qu’elle appréciait leurs échanges, elle aimait moins l’idée que cela se sache. Loin d’être stupide, elle savait que le brun papillonnait ailleurs, là où le vent le menait, vers d’autres horizons dont elle ne voulait pas spécialement entendre parler. Le savoir parti rendait les choses plus simples.

Du moins c’est ce qu’elle pensait, avant d’entendre du bruit juste à l’extérieur de sa caravane. Soudainement bien réveillée, la blonde s’empressa d’enfiler un pantalon ainsi qu’un t-shirt - les deux miraculeusement propres. Elle glissa son collier autour de son cou, la petite lame de rasoir dans sa poche arrière - en faisant bien attention que personne ne puisse surprendre ce geste-, ses doigts dans sa chevelure pour tenter de la dompter. Sortant de sa chambre - luxe de cette caravane, elle devait bien reconnaître là les préférences de Malini-, sa main attrappe machinalement un couteau avant d’ouvrir la porte. Un coup d’oeil à travers la fenêtre lui avait appris que la personne qui s’affairait à l’extérieur était bien vivante.
Si le cavalier avait cherché à la surprendre, il avait réussi son coup. Stoïque, elle le dévisageait plus qu’elle ne le regardait, essayant d’assimiler les informations sous ses yeux. L’odeur des oeufs brouillés lui chatouillait les narines, ce qui était tellement plus agréable que celle des écuries. Ses traits se relâchèrent et un sourire vint ourler ses lèvres. Un air de déjà-vu la fit frissonner ; qu’avait-elle fait au Seigneur pour que ses hommes tatoués lui fassent à manger ? Elle ne savait pas, mais elle n’allait pas s’en plaindre. Si les similitudes entre Mikh et Juan la déstabilisait parfois, elle évitait de trop y penser. Pas la peine de se faire du mal inutilement.
Le moment passa, le brun la salua et emporta le petit-déjeuner à l’intérieur. Loin des regards indiscrets, se dit-elle, même si certains devaient déjà émettre des suppositions à leur sujet depuis un moment. Bonjour à toi aussi ? Refermant soigneusement la porte et vérifiant que les légers rideaux cachaient bien son intérieur au reste du monde, elle s’apaisa finalement. Les efforts du cavalier l’impressionnait réellement, et se faire réveiller de telle manière avait le don de la mettre de bonne humeur. Et merci pour les oeufs.
Ne gâchant pas son plaisir, elle lui tendit des couverts avant de s’installer face à lui. Même si une question lui dardait la langue, la malice déformait son sourire. T’essaie de te faire pardonner pour hier soir ? La soirée de la veille avait été à la hauteur de ses attentes, mais ça, c’était nouveau. Peut-être était-elle trop méfiante, trop prudente. Mais ceux qui manquaient de sagesse ne vivaient pas très longtemps.

La surprise passée, les doutes et sa frayeur évacuée, Lucy commençait enfin à voir les bons côtés de cette situation saugrenue. Un réveil inhabituel, certes, mais qu’elle commençait à apprécier. Il fallait dire que le sourire de Mikh et son regard suffisait en général à l’attendrir, alors ajoutez à ça un petit-déjeuner et Lucy devenait guimauve. Oeufs au plat, même.
Ce qui l’attendait ravissait sa vue autant que son nez, et son estomac ne tarda pas à manifester son intérêt. Ce n’était pas tous les jours qu’ils mangeaient à leur faim, ce n’était pas tous les jours qu’on lui faisait à manger. Pour cela, elle lui en était reconnaissante. C’est déjà pas mal. le rassura-t-elle. Pas besoin d’un brunch avec pancakes et fruits frais pour lui faire plaisir, Lucy était consciente que ce genre de repas relevait du luxe, désormais.
Mais le pourquoi du comment de cette soudaine envie de cuisiner l’intriguait, aussi se laissa-t-elle aller à quelques suppositions. Sa langue demande avec toute la douceur et toute la malice dont elle est capable. Et son innocence - qu’il sait factice - recouvre ses traits quand lui se défend. Elle esquisse un mouvement qui voulait dire “à toi de me le dire” et commence à manger pour faire passer son interrogation. Il n’aura rien de plus, et si la surprise s’était tassée au fond d’elle, elle se demandait bien s’il y avait une raison intéressée derrière son geste.
Sa phrase la rassure alors. Et bien, tant mieux ? Lucy avait le désagréable sentiment que cette conversation ne les mènerait nulle part, de toute façon. Cela dit, elle laisse échapper un rire quand il lui renvoie l’ascenseur, affirmant l’inverse de ce qu’elle lui reprochait. Cela revenait au même. Je sais, merci. La fausse modestie tordait ses lèvres en un large sourire. Une chose qu’elle ne pouvait pas lui reprocher ; il était doué à ces petites joutes verbales.

Pas autant pour la cuisine. Certes, les oeufs étaient bien cuits, mais il pouvait encore faire quelques progrès. Remarque qu’elle passa sous silence au risque de ne plus se faire réveiller de la sorte. De plus, elle ne voulait pas gâcher ce moment, plutôt rare.
Aujourd’hui … et bien, mon tour habituel aux écuries. Pas de repos pour les esclaves : le crottin ne connaissait pas vraiment le repos. Et je pensais demander à quelques raideurs s’ils ont besoin d’une taille de barbe. Un programme plus ou moins chargé pour elle, qui dépendait principalement des chevaux du ranch. Et toi ? Ta garde habituelle, ou tu es de repos aujourd’hui ? Lucy ne savait pas vraiment ce qu’était une garde habituelle ; mais elle imaginait facilement les deux ou trois mecs postés sur chaque tour de garde, à se balancer des blagues graveleuses et tenter de passer le temps comme ils le pouvaient. Quant au fait qu’il ne soit pas actuellement en poste … elle ne savait pas trop comment fonctionnait leur système. Lucy s’appliquait à être dans les petits papiers d’un maximum de personnes du ranch mais cela ne lui avait pas apporté grand-chose. Jusqu’à ce matin.

Est-ce que ses lendemains pouvaient ressembler à ça ? Des petit-déjeuners surprise, des repas en compagnie de Mikh, des discussions qui n’auraient rien d’étrange. Une fois la surprise passée, Lucy tentait de relativiser, de voir les choses sous un nouvel angle, un nouveau jour. L’espoir, poison toxique qu’elle cultivait en masse, court-circuitait ses pensées. Voir le bon dans les gens, dans les choses, elle l’avait fait trop souvent. Appris à se méfier, malgré elle, pour survivre.
Hors, ce matin, à l’abri dans sa caravane, au beau milieu du Ranch, ses mauvaises habitudes, qui consistaient à voir le bien partout, reprenaient le dessus. Prendre le temps de manger un petit-déjeuner, d’apprécier des instants simples, une compagnie agréable. Même leurs joutes verbales la faisaient sourire.

Une insouciance éphémère quelque peu atténuée par la cuisson des oeufs qui n’était pas parfaite ; mais elle s’en contenterait. Soucieuse de ne pas lui en faire part ; soucieuse de respecter les efforts que Mikh faisaient ce matin. Lucy appréciait les attentions, l’illusion. Elle jouait le jeu, en sachant pertinemment qu’en-dehors de sa caravane, la réalité reviendrai les surprendre. En attendant, elle cultivait son rôle, mangeait le repas qu’elle n’avait pas préparé, ce qui était un luxe, et se persuadait que la journée qui l’attendait était loin d’être la pire qu’elle ait vécu.
Oh, waouh. Tu me fais le petit-dej et tu veux ramasser le crottin ? Tout ça dans la même journée ? Mikh devait sans doute être fou, ou avoir une idée derrière la tête, pour accepter aussi rapidement de vouloir l’aider aux écuries. Les volontaires ne se bousculaient pas vraiment au portillon. Le travail n’était pas gratifiant, l’odeur encore moins géniale, et le tout avait été à deux doigts de la faire tourner les talons aiguille, lorsqu’elle était arrivée au ranch. J’peux pas me permettre de sécher, tu le sais très bien. Elle n’avait pas l’ancienneté que lui avait au sein du ranch, la même confiance non plus. Lucy s’appliquait à suivre les règles pour ne pas se retrouver en-dehors des barricades. Dans une autre vie, elle serait partie, pour rejoindre sa soeur ou un autre endroit, mais pas cette Lucy-là, reconnaissante d’avoir un toit, de quoi s’occuper les mains, et de ne pas avoir à faire attention au moindre de ses mouvements au risque de mourir.

Bien sûr, la perspective d’occuper le reste de la journée dans cette caravane, en sa compagnie … Le visage de Mikh exprimait clairement ce que ses dernières paroles n’avaient prononcé, la laissant avec une perspective bien plus alléchante que les oeufs qu’elle était en train d’ingérer. Mais je peux toujours m’arranger pour demain ... Se libérer une demi-journée, c’était sans doute possible. Ne pas travailler, ne pas sentir le crottin … la procrastination était un vice auquel elle essayait de ne pas trop succomber. Seulement parfois, craquer était si doux, et la tentation si grande.
Aussi se laissa-t-elle aller, et éclata de rire à sa proposition d’aller se balader. Ce n’était pas … sa réputation. Ni celle de son amant, ni la sienne. Lucy, faire un tour au soleil pour admirer le paysage et les papillons ? Son idéal de sortie, ces temps-ci, c’était un raid shopping dans des boutiques de luxe, et la possibilité de marcher en talons dans ce foutu tas de crottin qu’était le ranch. Et oublier que cela n’était pas viable dans les bras de Mikh. Il fallait croire que l’apocalypse ne l’avait pas changé là-dessus : c’était une citadine jusqu’au bout des ongles. Et dites-moi donc ce que Monsieur Mikh fait au soleil, à part se pavaner à moitié nu devant d’autres courtisanes ? Non pas que Lucy ne s’en plaigne … Mais elle ne voulait pas vraiment savoir avec qui d’autre celui-ci passait ses nuits, et encore moins que les autres sachent à son sujet.
Pas qu’elle en ait honte, juste … qu’elle n’était pas très douée à ça. Ces relations physiques, qui floutaient ses connaissances sur le désir et sur l’amour. Cette relation qui la perdait.

Si on avait demandé à Lucy, la veille au soir, comment elle se serait imaginée le début de sa journée le lendemain, il était clair qu’elle n’aurait jamais prédit la réalité. Loin d’elle l’idée de s’en plaindre. Au contraire ; qu’on lui cuisine le petit-déjeuner de bon matin avait plutôt tendance à la rendre de bonne humeur - même si elle n’avait pas encore oublié le fait que n’importe qui ait pu le voir s’affairer à l’extérieur de son mobil-home. Lucy était perdue, assise sur sa chaise au milieu de ses quartiers, en compagnie d’une des personnes qu’elle appréciait le plus dans ce camp, et elle n’arrivait toujours pas à se dire que c’était réel, tout ça.
Le goût des oeufs n’arrivait pas à se fondre sur sa langue de la même manière que les douces paroles de Mikh se frayaient un chemin sous sa peau. Il ne lui en fallait pas beaucoup, à Lucy, pour fondre. Quelques belles paroles, une bonne nuit, quelques abdos, un repas. Elle sentait déjà ses traits s’adoucir, son corps se ramollir. La sérotonine endormait sa vigilance, et Lucy se laissait faire, docile. Appréciant le fait qu’une personne ici recherchait sa compagnie - et que cela ne se limitait plus qu’à son lit.

Mais pour aujourd’hui, elle ne pouvait pas se libérer, pas vraiment. Les chevaux ne connaissaient pas les jours de repos, pas plus que les rôdeurs se mettaient en grève ou faisaient une sieste. Demain, en revanche, cela lui permettrait de s’arranger. Et de réfléchir. A tout ce qu’il lui disait, maintenant, à tout ce qu’elle voulait, plus tard. Avant de se damner pour l’un de ses demi-sourire.
Ce qu’il suggéra juste après eut pour effet instantané de la refroidir. Coup de frein trop brusque. Un truc dans le genre, oui. Serait-il possible que Mikh ignore qu’elle était parfaitement capable de tirer avec une arme à feu ? Possible. Mais il était au courant qu’elle travaillait parfois à l’armurerie - ce qui impliquait tout de même quelques connaissances à ce sujet. D’un autre côté, elle n’avait jamais prôné ses talents, non plus. Lucy évitait du mieux qu’elle le pouvait de se servir de ce genre d’armes, mais elle savait s’en servir. Nuance.
Si tu veux être crédible, tu devrais dire que je t’apprends deux-trois trucs sur le sujet. Mais ce serait gâcher de bonnes munitions.

Lucy restait prudente, sur ses gardes. Si ses aventures avec Mikh duraient depuis un moment maintenant, elle ne se voyait toujours pas l’assumer complètement face au reste du camp. Au fond, c’était quelqu’un de discret en communauté, si l’on oubliait ses tenues souvent décalées au ranch. Dans un espace aussi restreint, les rumeurs circulaient vite, et être au coeur de celles-ci n’était pas l’objectif de la blonde.
Alors la surprise peut se lire facilement sur ses traits de porcelaine quand il lui répond simplement qu’il n’y a pas d’autres courtisanes qui l’attendent ce soir. Franchement partagée entre l’hilarité d’un mensonge aberrant, et le sérieux de la vérité sous sa langue, Lucy était à peu près sûre que de mémoire du Ranch, cela ne s’était jamais produit. On l’avait rapidement prévenue, d’ailleurs, à son sujet. L’homme à femmes, plurielles. Il dut remarquer son manque de commentaire ; et eut l’amabilité de préciser ses pensées.
Juste toi. Commentaire ponctué d’un sourire assassin, histoire de faire craquer Lucy un peu plus. La voilà fêlée, suffisamment fissurée pour prendre de mauvaises décisions. Le visage empourpré, sans nul doute, qu’elle tentait de dissimuler face à son assiette d’oeuf qui ne l’occuperait pas assez longtemps. Retombée dans l’adolescence, d’un simple commentaire.

J’imagine que c’est toujours plus sympa que d’ramasser du crottin, sortir de ces eaux dangereuses, et vite. A l’extérieur, elle pouvait entendre de plus en plus de bruits, signe que les autres habitants se réveillaient également, prêts à démarrer une nouvelle journée de labeur. Peut-être que tu devrais aussi préparer le petit-dej pour les voisins. A moins qu’il ne se proposerait aussi pour faire sa vaisselle. En attendant, elle n’avait qu’une hâte, se retrouver en tête-à-tête avec ses pensées pour faire du tri dans ce qu’il venait de se passer ce matin.