omboomigo - Lucy

Il s'approcha d'elle alors que la jeune femme sortait enfin des écuries, visiblement épuisée. Encore un travail de nettoyage fastidieux pour elle, encore une journée à ne peut-être pas comprendre ce qu'elle faisait, ni pourquoi. Être une “petite main”, quelqu'un s'occupant des tâches de l'ombre plutôt que des raids, ça avait son poids, ça tirait les épaules vers le bas et la reconnaissance était pas toujours là pour vous relever.
Depuis que Lucan était revenu d'Olympia blessé, Lucy avait quelques fois dû l'aider à se raser. L'homme ne manquait jamais de la remercier lorsqu'il venait chercher son aide. Ce qui était dérisoire pour les uns avait pour lui, blessé, diminué, une importance toute autre.
Il allait mieux, son épaule redevenait mobile. Il faisait attention à ne pas faire trop d'efforts tout en continuant d'exercer son bras également.
Il y avait eu d'autres événements, Lucy en avait fait partie. Elle ne le racontait pas, du moins pas à lui, mais Lucan voyait bien les nuages qu'elle semblait porter au fond des yeux ou de la gorge. C'était pas que la fatigue

”Tu as du temps pour moi? “

Une question polie, même si Lucan lui bloquait le passage pour être sûr qu'elle l'écoute, ne s'échappe pas.

”J'ai besoin d'un service...”

Avant que Lucy ne puisse s'enfuit en courant, de peur qu'elle ne se retrouve dans d'autres corvées de ménage ou pire encore, l'homme lui attrapa le poignet sans pour autant serrer.

”Mon cheval a besoin d'exercice, tu voulais apprendre à monter, non? Viens, allons le chercher.”

Et, sans la lâcher, il traîna Lucy aux écuries à nouveau. Entendant le pas du cavalier, le hongre sortit la tête du box avec enthousiasme.

”Sors le du box comme je te l'ai appris, et allons dehors. S'il te donne un coup de tête, gronde-le. Il ne comprend pas sa force et peut-être enthousiaste...”

L'animal était jeune encore, un oeil avisé pouvait le remarquer. Peut-être pas le plus rapide des chevaux du ranch, pas le plus remarquable non plus, mais Lucan l'appréciait. A vrai dire, il semblait bien plus ouvert avec cet animal qu'avec quiconque au ranch, pour qui connaissait peu l'indien.
Comme s'il se cachait derrière, refusant le contact de l'humanité pour y préférer l'animal.
Peut-être...

Il mena Lucy à l'extérieur, prit une bride et l'enfila à l'animal avec rapidité. Autre preuve que le hongre était un gentil cheval : il ouvrait la bouche quand on lui présentait le mors.

”Tu vas monter avec moi, pas d'inquiétudes. Reste juste attentive à ton environnement... “

Ils se trouvaient dans un pâturage éloigné, là où l'animal pourrait se délirer les jambes et fair eun peu d'exercice sans pour autant les obliger à aller à l'extérieur même du ranch, là où le danger serait encore plus grand.

Les journées de travail se suivaient et, malheureusement, se ressemblaient. Le matin ? Crottin. Et le soir ? Toujours plus de crottin. Le pire dans tout ça, c'est que Lucy ne se formalisait même plus des odeurs – son nez était comme … habitué. Chose qu'elle n'aurait jamais pensé pouvoir dire. Elle sentait bien ses muscles reprendre de la vigueur, aussi, à pousser des brouettes pleines tout autour des écuries. C'était la seule chose valorisante qu'elle avait trouvé, puisque ces derniers temps, mieux valait être en bonne forme physique. Et avec l'habitude, elle finissait ses tâches plus vite qu'à ses débuts.
Avec un peu de chance, elle se tirerait bientôt des écuries pour un autre poste. Elle avait commencé à tâter le terrain, à s'intéresser aux différents postes autour du ranch. L'air de rien. Enfin, sans doute qu'elle n'était pas aussi discrète qu'elle le pensait.
Quand Lucan l'interpelle ce jour-là, elle se retrouve presque comme un lapin coincé dans des phares. S'arrête net, les yeux ronds. Quand il lui demande si elle a du temps devant elle, elle se demande bien ce qui l'attend. Surtout quand sa large carrure lui empêche toute sortie. Euh, oui, je suppose ... Lucy restait alerte, à l'affût d'un plan foireux. La phrase suivante ne la met pas beaucoup plus à l'aise. Ce service n'était clairement pas lié à son activité de barbière, aujourd'hui, et le mystère ne l'enchantait pas vraiment.

Le pire vient quand il lui attrapa le poignet. Son cerveau chercha inconsciemment à identifier les potentielles armes à sa portée. La brouette, quelques bons bâtons, le revers de la pelle ferait également l'affaire … Plus basique, un coup de pied bien placé devrait assez le surprendre pour lui permettre de partir.
Ensuite, peut-être qu'avec les années, son esprit était mal tourné, et peut-être que Dieu lui-même ne la pardonnerait pas d'avoir de telles pensées, mais les explications de Lucan étaient très, très subjectives et ouvertes à interprétation. Lorsqu'il tente de l'entraîner vers l'intérieur, c'est tout son corps qui se révolte.
Face au box, elle imagine que ses intentions n'avaient jamais été perverses, mais avant toute chose, elle se devait de rectifier le tir. Parce que d'autres étaient morts pour moins que ça. Alors quand elle récupère son poignet, elle lui présente sa paume ouverte, pour l'arrêter, pour le stopper. Ok, ok, Lucan, écoute. Ne refait plus jamais ça. Elle marqua une légère pause pour que le message s'imprègne. Ses doigts se levèrent pour énumérer tout ce qui n'allait pas. Coincer une femme seule, lui demander un "service", l'attraper par le poignet, "monter" un "cheval" ... En prononçant le dernier, elle avait le visage qui montrait clairement que ça puait, le nez froncé, une moue de dégoût. Mais ses traits finissent par s'adoucir, sa voix par revenir à la normale. Lucan avait toujours été un peu bizarre, alors il n'avait sans doute pas pensé à mal. Du moins l'espérait-elle.
Comme ton cheval, tu ne connais pas ta force et t'es un peu trop enthousiaste. Et j'espère vraiment que c'est pas comme ça que t'abordes les femmes.

Sur ce point éclairé, Lucy se tut et se mit à la tâche. Peut-être en évitant la silhouette de Lucan de quelques centimètres de plus qu'à l'accoutumée. Il lui fallut quelques minutes pour préparer le cheval, mais elle estima s'en être plutôt bien sortie. Elle le suivit à l'extérieur, jusque dans un pâturage du Ranch. Elle sourit à son pas d'inquiétudes et se permit de finir sa phrase. Et toi à tes mains. Mais elle souriait. Après tout, elle voulait apprendre, elle voulait monter à cheval et ne plus se sentir reléguée comme une Crimson de seconde catégorie. Maintenant, c'était à elle de jouer.
Comment on monte dessus, exactement ? Elle les avait bien vu faire, les cavaliers, mais n'y avait jamais vraiment prêté attention. Et face à la bête qui la surpassait facilement, elle se sentait toute petite.

”Oui Lucy, monter à cheval est l'expression utilisée pour la pratique de l'équitation”

Quant à prendre le poignet, oui il pouvait le faire. Les doigts en pince, généralement, parce qu'il avait de grandes mains, Lucan, que la refermer complètement sur quelqu'un d'autre pouvait justement être trop violent, intime.
Ne pas contrôler sa force? Non, il n'était pas ainsi Lucan, bien au contraire, ayant toujours une conscience aiguë de ce corps qui était le sien. Des insultes sur qui il était à quoi il ressemblait, cela était pour lui monnaie courante. Avant l'Apocalypse, après aussi, alors qu'il ne faisait partie d'aucun groupe.

”Ce n'est pas parce que je suis grand et que je fais peur, que je suis une brute.”

Etait-il en colère? Oui, s'en rendit-il compte. Qu'importe, il serait toujours en tort, pas vrai? L'homme tendit la main afin que Lucy lui rende la bride. Il ne voulait pas comprendre ce que la jeune femme avait cru de lui l'espace de quelques secondes, il ne voulait pas y réfléchir, de peur de totalement perdre pied sinon.
Pauvre idiot, lui murmurait une voix dans sa tête, t'es incapable d'aider les gens, de leur rendre service hein? Regarde la, tu l'as terrorisé. T'en aurais bien été capable, non? Sinon pourquoi elle dirait ça, elle sous entendrait ça. T'es qu'un monstre et un sauvage...
Et Lucan repensait aux yeux d'Ari, qui ne connaissait des hommes (d'un homme), que cela, la violence. La violence et l'autre mot pas joli...
La manière dont il avait veillé sur son sommeil alors jusqu'à ce qu'il trouve où endroit pour la mettre en sûreté.
Etait-il en colère? En vérité, non, mais la tristesse sur son visage avait pris une une autre couleur désormais, voilà tout.

Son épaule lui faisait mal, comme pour l'enfoncer un peu plus. Demander de l'aide, un échec, faire plaisir à Lucy en lui apprenant à monter comme elle le lui avait demandé, un échec aussi. Ne pas faire de conneries pendant sa convalescence, de même...

”Je suppose que tu veux rentrer...”

Abel n'accepterait certainement pas qu'on le dérange pour cela, mais peut-être Wyatt accepterait-il de lui dire s oui ou non Lucan était vu comme une potentielle menace quand il pouvait s'approcher des autres. Cela le dérangeait beaucoup trop, comme un début de nausées dans son estomac...
Même alors que les Rôdeurs redéfinissaient la Terre, Lucan restait un monstre.
Abruti...

”Un homme t'as déjà attaqué, c'est ça?”

Elle se ridiculise un peu, forcément. A mettre les points sur les i avec Lucan, aussi grand que gentil. Pourtant, elle n'a pas pu s'empêcher de se sentir … menacée, d'une certaine manière. Parce que ça arrive. Encore trop souvent. Parce que la réalité est là, et qu'avec la chute du gouvernement, certains se sont crus tout permis. Lucy n'a jamais été forcée – par chance, par prudence. Mais elle ne doute pas que d'autres femmes, plus faibles, ou moins armées, n'ont pas vécu la même histoire. Après tout, cela remontait à loin, dans l'Histoire du temps. Les raids, les pillages, les guerres, les viols. Série de crimes aux noms de la religion.
Aucune d'entre elle pourtant, ne prône l'une de ces choses.

Lucy tenta de garder la raison et l'explication de son côté, mais cela ne suffit visiblement pas. Chaque mot dans sa bouche à elle devenait couteau dans ses oreilles, elle en avait conscience. Et si elle s'énervait, et si elle l'énervait, qui gagnerait ? Le danger rôdait toujours, que Lucy le veuille ou non. La prudence inscrite dans son adn. Je n'ai pas … je n'ai pas dit ça. C'est juste … une impression. Il suffisait de peu. On le prenait pour une brute, peut-être. Bien que Lucy l'ait plutôt trouvé taciturne de premier abord. Elle, on la trouvait superficielle - impression qu'elle s'efforçait d'entretenir. Mais à revers, elle attirait des personnes aux intentions néfastes, qui la pensaient incapable de se défendre.

Pourtant, elle se retourne vivement vers lui lorsqu'il lui propose d'abandonner la séance qui s'esquissait. Non ! La surprise pouvait se lire sur ses traits. Ce n'était pas ce qu'elle voulait, ce n'était pas ce qu'elle avait voulu dire. Je sais que je peux te faire confiance. Tu m'as déjà aidée. Et j'apprécie le fait que tu sois revenu me proposer cette séance. Le cas échéant, celui où il ne serait pas digne de confiance, elle trouverait un moyen de se défendre. Même si elle ne savait pas encore comment.

Plantée devant l'équidé, Lucy était décidée à ne pas partir avant d'avoir dompté l'animal. Enfin, dompter étant un grand mot, la décence voudrait que l'on attende d'elle qu'elle réussisse à se percher sur son dos et à ne pas tomber. Ce qui serait déjà un bon début. La question que Lucan lui pose la fait redescendre sur Terre. Bien sûr. Sa question était légitime, après le délire qui s'était déroulé dans sa tête. La vérité n'était pas plus belle que l'autre option qu'elle avait alors eu. Au bout de la cinquième fois, certes, on se serait attendu de Lucy qu'elle trouve une troisième option au même dilemme.
Au lieu de cela, c'est un fin sourire qui ourla ses lèvres. Ils ont essayé ... La conjugaison ne laissait pas de doutes quand à la pluralité de ces attaques. … et ils ne recommenceront plus. La croyante qu'elle était n'avait pas trouvé de réponse à ses questions. Si les crimes qu'elle avait commis, et les vies qu'elle avait prises, se justifiaient au regard des intentions de ces hommes. Mais même sans la bénédiction de son Dieu, elle était en paix avec elle-même.
Bon, alors, tu m'as pas dit. Je fais quoi ? J'mets mon pied là ? D'un index tendu, elle pointe vers l'étrier. Elle se félicita d'avoir gardé un minimum sa forme de gymnaste malgré l'apocalypse, ou elle n'aurait jamais pu se contorsionner suffisamment pour une telle prouesse.

Bien sûr qu'ils avaient essayé, comme chacune des choses les plus horribles et les plus ignobles. Il y avait des comportements au delà du Mal, car même le Mal pouvait se rationaliser finalement, et la main de Lucan releva le menton de la jeune fille du bout des doigts. Qu'elle cesse de s'agiter, qu'elle le regarde.
L'écoute.

”Ne te justifie pas de ne pas être un bout de viande comme ils aimeraient que tu sois. Ne sois pas toujours dans la peur non plus, tu n'es pas leur proie mais celle capable de leur faire remonter les couilles par les amygdales avec un bon coup de talon. A l'extérieur, les choses sont compliquées, mais ici au ranch, tu dois te sentir en sécurité, sinon tu vas te briser et je n'ai pas vraiment envie de ça, d'accord?”

Le pire, il se cachait partout, et le pire parfois, ce n'était pas mourir. De femmes fortes, le ranch en comptait plusieurs, Lucy en faisait partie. Ils survivaient ensemble, établissaient des règles, une manière de vivre propre à leur refuge. Un semblant de lois, pas mal d'injustices aussi, cela était ainsi.

”Et si un homme te revient pas ou t'emmerde, viens me le dire. Même s'il n'est pas d'ici, je le retrouverai. Ok? Maintenant je vais t'apprendre à monter mais pas pour que tu saches t'enfuir avec un cheval. Pour que tu saches te démerder....compris?”

Bien, déjà Lucan n'avait pas à expliquer le principe de l'étrier. Il acquiesça, aidant la jeune femme à y placer le bout de son pied. Occupé à brouter l'herbe, le cheval restait immobile, lui.

”Comme la pédale du vélo, n'y coince pas ton pied. Maintenant, je risque de te mettre une main aux fesses en toute amitié pour t'aider à te mettre en selle. Allez, pousse fort et hisse toi.”

Un bon élan, la blonde. In extremis, Lucan la rattrapa par la ceinture du jean pour ne pas voir Lucy basculer complètement de l'autre côté. Aussitôt, avec des ordres brefs, il la fit se redresser, tapota son talon également pour qu'elle le détende.
L'indien profita qu'elle mette le second étrier seule pour vérifier la sangle de la selle. Il la resserra de deux trois et regarda Lucy.

”Pas trop le vertige, là haut? C'est le moment où je m'en vais et te laisse ici, c'est ça?”

Mais la grande main ne lâchait pas la bride de la monture. Parce que tant qu'il était son professeur, Lucy était sa responsabilité. Sa main libre, celle de son épaule blessée, il la hissa à la hauteur de la jeune femme afin qu'elle puisse taper dedans en geste de victoire.
Il fallait fêter tout ce qu'on pouvait après tout, non?

Ses paroles résonnent un long moment, dans le silence entre eux. Ce n'était pas des choses nouvelles, des choses apportées par les rôdeurs. Non. Cela concernait un mal aussi vieux que les Hommes eux-mêmes. Mais Lucy n'avait pas la force de débattre avec Lucan, sur des sujets qu'elle n'avait pas forcément envie de raviver. Ses paroles étaient pourtant plutôt positives et perspicaces. Même si elle ne se satisfaisait pas de réduire leurs parties génitales, son châtiment à elle était tout aussi efficace.
Elle appréciait le fait qu'il fasse autant d'efforts pour elle, même s'il était, malgré lui, à l'origine de sa frayeur. Oh, elle ne se serait pas réduite à dire qu'elle s'était sentie impuissante, mais disons qu'elle préférait cette fin là, plutôt qu'une autre. L'apprentie cavalière le laisse donc parler, lui offrir sa protection, même. Un retournement de situation intéressant, compte-tenu de la manière dont avaient tourné ceux qui l'avaient agressé. Oui. Compris. Mais je suis loin de savoir me démerder, donc tu auras le temps de me rattraper. Si jamais l'idée lui venait de partir, tout de suite. Mais là n'était pas son envie, son état d'esprit.

Elle se place enfin face à la monture, pour reprendre le cours de leur séance. Ce qu'ils n'avaient pas réussi à commencer proprement depuis qu'il était venu lui parler. Disons qu'elle a les bases. De loin. De très loin. Qu'elle a eu le temps d'astiquer les cuirs des selles et d’apercevoir les cavaliers s'exercer. Cela dit, il faut aussi souligner le fait que Lucy n'ait, de manière générale, pas une grande passionnée de la faune et ne passe pas le peu de son temps libre à divaguer dans les écuries.
Lucan confirme ses suspicions avant d'y ajouter les points techniques. Un humour passable teinte ses paroles, mais la blonde peut y voir là l'amorce de la fin du conflit. L'enterrement de la hache de guerre, si elle devait prendre un exemple amérindien. Sous l'impulsion de ses paroles, Lucy se propulse, pied dans l'étrier et les mains accrochées, comme elle le pouvait, au pommeau de la selle. A peine retenue par Lucan, qui évita qu'elle ne fasse le tour de la monture pour s'éclater de l'autre côté. Un merci ! s'arrache de sa gorge alors qu'elle se tourne, se tord les poignets et finit par s'asseoir convenablement. Elle tente de prendre ses marques, de se familiariser avec l'assise, à la fois similaire de la selle d'une moto, et si différente. La machine sous elle avait une force et un caractère qu'une bécane ne possédait pas, et les étriers étaient tout aussi inhabituels. Plus inconfortables que des talons hauts, même.
Lucy adresse à son professeur du jour un regard assassin quand il fait mine de vouloir la laisser là, perchée sur le cheval et incapable de descendre dignement de son siège. Alors quand il lui tend une main pour célébrer ce moment, la blonde vise son poignet et le garde quelques instants entre ses doigts. Douce revanche. Je te jure que si tu te barres maintenant, je reviendrais te hanter. Après quoi elle lui rendit sa liberté de mouvement. Un sourire malin déformait son visage, plus amusée qu'effrayée. Et je fais quoi maintenant ? Je vérifie que j'ai de l'essence ? L'une des prérogatives de son cours sur comment conduire une moto. Les séances de conduite avec les Outlaws semblaient remonter à terriblement loin, mais si elle faisait le calcul, ce n'était pas si ancien. Pourtant, tout était différent.

Elle fit l'erreur de le menacer, d'avoir un geste pouvant être interprété comme tel tout du moins. Lui saisir le poignet, lui saisir mal le poignet qui plus est mais ça, ce n'était pas de la faute de Lucy, juste de la différence de taille.
Un grognement naquit dans la gorge de l'homme, ses yeux prirent une dureté qu'on lui voyait peu: une dureté sincère, pas qu'il feintait pour amuser ou bien avoir la paix. Les cavaliers ne savaient pas toujours sur quel pied danser avec l'Indien, ils savaient sa douceur pour la plupart, avaient également pu voir en raid ce qu'il pouvait faire de sa violence...
Inconsciemment, on pouvait décider que Lucan ne valait pas le coup comme ennemi, trop gentil, trop étrange, inconsciemment on pouvait se voiler les yeux quand il décidait d'être dangereux. Pour cette même raison, Abel resserrait la bride sur l'homme à son service, l'empêchait de trop en profiter, de lui échapper.
Mais Abel était malin, savait ce qui pouvait parfois se cacher dans les silences de Lucan. Qui plus est, il avait du pouvoir, de l'autorité sur lui.
Pas Lucy.
Par deux fois, la jeune femme offrait une certaine violence à son égard, une domination. La seconde fois, elle ajoutait le geste.
Lucan se libéra la main d'un geste brutal. Son autre main avait failli voler à sa ceinture, dégainer le couteau. Il ne fit aucun commentaire là dessus, cela ne valait pas le coup. ”Maintenant, tu changes de comportement”, grogna-t-il.
Une limite avait été passée, et beaucoup de choses se mélangeaient alors dans les yeux noirs de l'Indien. Une certaine forme de colère (mais la colère couvait en lui depuis des jours déjà, depuis Olympia. Lucy n'en était qu'un catalyseur comme un autre...), de la tristesse aussi, lui qui avait choisi d'attribuer une âme à toute chose et ne voulait considérer comme de simples objets les animaux.
L'humour, Lucan n'était pas fait pour le comprendre.
”Tiens toi droite, épaules ouvertes, détendue. Ton cheval ne réagira jamais mécaniquement comme une moto ou un vélo, rentre-toi ça dans le crâne.” Désormais, Lucan donnait ses conseils d'une voix froide, se protégeait.
La protégeait elle aussi un peu, car il était plus grand il était plus fort. Il ne pouvait se sentir menacé encore , parce que la violence serait parmi les réponses les plus instinctives qu'il aurait. Alors il la regardait à peine, ne la touchait pas, parlait mécaniquement, plus mécaniquement presque que ces machines à qui il voulait donner une âme. Comme si lui, à l'instant, venait de choisir de perdre la sienne.
Il prit le cheval par la bride, le fit marcher au pas afin que la jeune femme en sente le rythme, puisse y accommoder son assise.
”Les chevaux sont des animaux craintifs par nature, ceux du ranch on dû s'adapter, être dressé afin qu'on puisse les utiliser en raid ou....ou en combat. Encore une fois ça n'en fait pas des machines pour autant, un cavalier doit toujours se montrer prêt à rattraper un écart de son cheval. Ou pire.”

Lucy chute. Pas physiquement, non. Mais tout le reste s’écroule sous ses pieds.
La blonde confondit sa revanche amusée avec l’insubordination, et celui qui scandait son discours de femme forte et fière n’en tolérait pas une en face de lui. Si peu pour l’égalité des sexes. Si peu pour ce juste retour des choses, inaccepté. Comme souvent, sa réaction laissa l’apprentie cavalière pantoise, ne sachant jamais vraiment comment réagir avec l’indien. Elle pataugeait, avançait d’un pas pour mieux reculer de cinq. Quand elle tentait d’équilibrer la balance, elle réalisait ses erreurs. Sentiment de frustration qui enflait dans ses veines, mais si jamais Lucy faisait l’erreur de relâcher sa colère et son incompréhension … elle le ferait sans doute fuir ; le point de non-retour. Prendre sur elle demeurait, une fois encore, la seule option. Où le statu quo lui semblait préférable à l’ignorance.
Bien sûr, Lucy pouvait rejeter la faute sur l’incident d’Olympia, car tout le monde était un peu plus à cran ces derniers temps. Mais elle savait que ce ne serait que se voiler la face un peu plus. Il n’y avait pas que ça. Préférant se taire pour ne pas envenimer la situation, ses pupilles laissent pourtant filtrer ses pensées.

Puis ils reprennent du début. Avec ces mots blancs, ces mots sobres et ce ton scolaire. Ce qui était en soit une régression. Son corps finit par prendre la posture indiquée, mais elle continua de le gratifier de son silence. Des mécanismes de défenses qui leurs étaient propres. L’esthéticienne finit par se concentrer uniquement sur sa tâche, pour en délaisser le professeur. Il entraîna sa monture et elle étouffa sa surprise en sentant son assise bouger. Heureusement pour elle, Lucan reprit la parole et ne s’aperçut sans doute pas de son malaise passager.
Le discours sur les différences entre le cheval, imprévisible, sensible, et une monture de fer et d’acier ne la toucha pas vraiment, trop occupée qu’elle était à se familiariser avec les nouvelles sensations qui la traversaient. Si la Texane, jusqu’au bout des ongles, défendrait son passif de motarde et les avantages indéniables qui allaient de pair - l’absence de crottin, principalement - elle ne niait pas non plus que trouver du carburant pour les chevaux, aka de l’herbe, était tout de même bien plus simple que pour son alter-ego mécanique. Propos qu’elle n’allait pas tenir devant Lucan avant un bon moment.
Estimant qu’elle s’était assez faite remarquer pour la journée, elle ne fait rien de plus, et rien de moins, que ce que Lucan lui demande. S’habitue au pendule tranquille sur lequel elle est perchée, ressentant la force contenue qui ne demandait qu’à être libérée. Vibrations avec lesquelles elle devait communier, comprendre, anticiper. En serait-elle capable ? Son professeur avait l’air de le penser. Ce qui était déjà ça de prit.
Maintenant qu’ils avaient fait quelques tours en rond, elle finit par craquer et par lui poser une question. Tout aussi scolaire que lui, même si son impatience la trahissait quelque peu. Elle n'avait pas besoin de connaître la différence entre une machine et un animal, juste comment ça fonctionnait. Je fais quelque chose de mes jambes ? Lucy découvrait le monde équestre et ses questions stupides - elle en avait d’autres en réserve - lui permettraient de mieux comprendre ce qu’elle faisait, ou ce que l’on attendait d’elle. Incertaine pourtant, d’avoir prit la bonne décision en ouvrant la bouche. Parfois, les réponses venaient toutes seules, sans que l’on ait besoin de les pêcher.

Etait-ce quelque chose en lui sur son visage peut-être? Etait-ce quelque chose simplement, cette envie de le prendre pour ce qu'il n'était pas? Il tâchait d'être sage, il tâchait d'être bon, de vouloir peu, d'attendre encore moins. Et parfois, il se trompait bien sûr, il s'égarait, peinait à revenir mais il essayait, oui, il essayait.
Qu'était-il pour Lucy, un agresseur? Pourquoi, parce qu'il était un homme? Lucan pouvait frapper une femme, cela était vrai, non pas car il prenait plaisir à cela mais parce que parfois il fallait se défendre, voilà tout. Quant à en forcer une, jamais. On ne l'avait pas élevé ainsi.
Le silence n'était troublé que par les instructions froides et atones qu'il donnait, le bruit des pas du cheval dans l'herbe de la pâture.

Du bout de la conscience, Lucan se demandait quoi faire de cette tristesse qu'il portait, qui enflait encore de tout ce que Lucy avait dit ou ne disait pas. Il y avait bien un endroit où la déposer, cette chose sombre en lui, non? Non. Du coin de l'oeil, l'homme constatait quand la jeune fille ne prêtait aucune attention à ce qu'il pouvait dire.Elle voulait apprendre mais écoutait peu et encore une fois, Lucan se demanda pourquoi lui avoir demandé à lui. Ils n'avaient pas la même sensibilité des choses, l'Indien n'avait pas forcément raison sur sa manière de voir la vie, mais il ne pouvait apprendre aux autres tout en se dépossédant de sa propre philosophie, cela était ainsi. Pouvait-il demander à Lucy d'apprendre en faisant cet effort? Non plus également, l'homme le savait.
Toujours de la même voix atone, Lucan répondit à sa question, lui indiquant comment bien placer ses jambes, les utiliser pour guider le cheval au besoin. Et puis ce fut à son tour de parler, de vraiment parler.

”Pourquoi m'avoir demandé à moi de t'apprendre quelque chose si tu ne m'aimes pas? Pour ta prochaine leçon, trouve quelqu'un d'autre, cela vaudra mieux pour tous les deux. ”

Tout en parlant, il ne pu s'empêcher de toucher son épaule blessée. Un geste réflexe, crispé par la conduite de la jeune fille et son impossibilité de s'entendre avec, Lucan en avait tendu jusqu'à son corps et ses muscles. A présent, l'épaule douloureuse le ramenait à la réalité.

”Je pensais juste te faire plaisir. Tant pis.”

Il en avait assez, tout rater ainsi, il en avait assez... La forêt lui manquait, sa solitude. Lucan n'aimait pas plus que cela être seul, cependant cela le rassurait. Personne à qui parler, personne à vexer.
Il n'aimait pas vraiment être seul, oui, mais il le méritait, voilà tout.

Le Bon avait débordé, fuit par tous les trous percés dans sa carcasse. Ne restaient plus que la Brute et le Truand. Et si Lucy n’allait pas aller jusqu’à condamner l’Indien d’une sentence durable, ses manières se faisaient plus dures, ses mots plus rêches, ses actions plus brusques. Son attention était volage, bien qu’elle tentait de la porter sur ses gestes, sur sa posture, perchée sur la monture. Ne pas rater les informations capitales disséminées dans le discours de son professeur, ne pas tomber. Ne pas se ridiculiser.
Mais pour qui se prenait-elle ? Peu importe ses efforts, cela ne serait jamais suffisant. Jamais assez bien. Elle ne serait jamais plus que la blonde en talons, celle qui nettoie le crottin. Aujourd’hui, elle n’était pas sur la même longueur d’ondes que Lucan, et leur différent régnait encore dans l’air étouffant qui les séparait. Dans ses silences à elle, dans ses mots à lui. L’impatience finit de la bouffer quand elle demande poliment, après quelques tours en rond, ce qu’elle doit faire de ses jambes. Applique ses conseils avec méthode.

Jusqu’au coup de poing enfoncé dans ses côtés, invisible et pourtant si réel. Des attaques atones qui la blessent au passage, laissant des griffures un peu plus profondes à chaque mot. Ce n’est pas … c’est faux. Mais sa défense s’embourbe, elle le voit bien, aussi bien qu’un cheval dans un mètre de boue. Le silence est d’or mais à ce moment-là, ses bonnes résolutions s’étaient envolées. Ce n’était pas qu’elle n’appréciait pas l’homme, mais à chaque fois qu’elle pensait le comprendre, il persistait à lui démontrer le contraire. Elle ne savait jamais sur quel pied danser à ses côtés, trop imprévisible dans son monde stable. Et encore, la métaphore ne lui rendait pas vraiment justice.
Lucy souffla, tête baissée. Il ne servirait à rien de s’énerver maintenant. Cependant, elle n’était plus à un pot cassé avec Lucan. Elle le regrettait, mais n’avait plus la patience d’essayer d’accorder son humeur avec la sienne. Un autre jour, sous une autre lune, peut-être. Ne dis pas ça. Pourtant ses paroles semblaient définitives. Fin d’une conversation où peut importait ce qu’elle allait rajouter, le débat s’était clôturé sans préavis. C’est le cas - ça me fait plaisir. C’est juste que ... Ce n’était pas le bon jour, pas le bon moment. Après tout, elle n’avait pas vraiment eu son mot à dire. Ou peut-être qu’elle se voilait la face, et qu’une partie d’elle était soulagée si cela signifiait la fin de cette séance catastrophique.
Tu as raison. Abandonnant lâchement sa part de responsabilité dans cette histoire, elle profite de l’arrêt momentané de sa monture pour défaire ses talons des étriers. Bien qu’elle n’ait pas beaucoup d’expérience dans ce domaine - c’est-à-dire aucune - il lui semblait que descendre de là n’était pas beaucoup plus compliqué que ce qui y paraissait. Elle s’accrocha à l’avant, fit basculer l’une de ses jambes de l’autre côté et se laissa tomber au sol. L’une de ses chevilles vrilla sous son poids mais elle parvint, au prix d’un rattrapage ridicule, à se maintenir sur ses deux jambes. L’honneur presque intact.
Merci quand même. Il n’y avait rien de plus à dire. Cela aurait été injuste de disparaître sans reconnaître qu’elle avait apprécié l’effort. La bride dans la paume de son professeur, Lucy jugea que le cheval était effectivement en meilleure compagnie avec lui qu’avec elle, et s’éloigna sans plus de cérémonie. S’éloigna des chevaux, des pâturages, des écuries, de la bouse et de tout ce qui s’en rapprochait. Jusqu’au lendemain.