Unexpected alliance | Lucy&Andrea

Journée de merde, soirée de merde, vie de merde. Furieuse, c’est en grommelant des injures que je retourne chez les Crimsons. Je n’insulte pas les gardes, mais le monde entier. Ils le savent. Ils sont habitués à mon caractère, alors ils ne relèvent pas. Ils se contentent de me laisser passer sans m’harceler de questions qui n’auraient fait que retourner le couteau dans la plaie. Pour moi, il n’y a rien de pire que de rentrer bredouille. J’ai honte, je me sens inutile. Tout le monde joue un rôle bien précis ici et moi, j’ai échoué à ma tâche. C’est pourtant simple. Me suffit de vider les pièges, me poster dans la forêt et chasser. Ce n’est pas sorcier. Je suis même assez douée. Mais aujourd’hui, ça n’a rien donné. Comme si ce n’était pas assez, lorsque j’ai vérifié mes pièges à la fin de la journée, je suis tombée sur des rôdeurs. Un peu trop de corps. J’ai préféré ne pas les déranger pendant qu’ils dévoraient une biche. Ça aurait du être la mienne, mais je n’avais pas la force de reprendre ma proie. De toute façon, elle était déjà bousillée. Alors je suis simplement repartie en bottant tous les cailloux que je croisais. Les pauvres n’avaient rien demandés, mais j’avais besoin de quelque chose sur lequel ressortir ma frustration. D’ailleurs, j’en ai toujours besoin et c’est pour cette raison que mes pas me dirigent directement vers l’écurie. Je n’ai pas l’intention de me défouler sur les chevaux. Je n’en serais jamais capable. J’espère seulement trouver quelqu’un. Peut-être que Wyatt traine encore là-bas. Ou n’importe qui ferait l’affaire dans l’état où je suis. Sauf que, malchanceuse comme je suis aujourd’hui, il ne reste qu’une tête blonde dans le bâtiment. Lucy Jennings, aka la tarée qui se promène en talons. Je ne lui ai jamais parlé. Je n’ai pas osé la déranger et, surtout, j’ai assumé dès le premier jour qu’elle était complètement snob et coincée. C’est à se demander comment elle a pu survivre jusqu’à maintenant. J’aimerais rebrousser chemin, mais mon regard croise le sien. Je lui adresse un petit sourire, complètement forcé et je m’avance vers elle. Une fois à sa hauteur, je me penche vers le box devant moi. C’est Quetzal qui rumine à l’intérieur. Un gros bébé qui aime un peu trop les carottes. Dommages que je n’en aie pas sur moi. « Dis… T’aurais pas une carotte? » Drôle de manière d’initier une conversation, mais je ne suis pas d’humeur pour perdre mon temps avec les formules de politesse. De toute façon, je me fiche de savoir comment elle va et elle ne doit pas se soucier de mes sentiments non plus. « Ou même une manière de te débarrasser d’un petit groupe de rôdeurs. » Aussitôt la phrase prononcée, je me retourne pour guetter sa réaction. Seulement, mon regard se porte plutôt vers sa tenue. Elle ne pourra pas m’aider, évidemment. « Laisses. » Je pousse un soupire suivit d’un petit grognement de frustration, puis je donne un coup de pied dans la porte du box. Cette dernière un bruit sourd, puis se referme doucement en grinçant pendant que Quetzal s’emporte à l’intérieur. Merde. J’aurais du donner le coup sur le tibia de la blonde. Je chuchote quelques paroles rassurantes envers l’animal qui finit par s’approcher et se calmer. J’en profite pour flatter son museau. J’ai toujours aimé les chevaux. Petite, je suppliais ma mère pour faire de l’équitation. Mais notre revenu familial n’étant pas très élevé, j’ai fini par comprendre que ça n’arriverait jamais. En grandissant, j’ai fini par trouver d’autres occupations et, maintenant que j’habite sur un ranch, je n’ai toujours pas le temps de m’y mettre. C’est presque aussi dommage que ce qui est arrivé à mes pièges.

Je m’en veux encore d’avoir affolé ce cheval, mais je ne peux pas revenir en arrière. C’est pour cette raison qu’habituellement, je mesure toujours la portée de mes gestes avant d’agir. Dans un monde comme celui-ci, on ne peut pas se lancer tête première. Si on ne veut pas finir sa vie entre les dents des rôdeurs, il faut toujours calculer ses actions. Anticiper la moindre issue possible avant de se lancer. Sinon, les gens ne se rendent pas bien loin. Je l’ai su à mes dépends. Au tout début de l’épidémie, j’étais encore une gamine idiote. J’agissais sans penser et ma mère en a payé de sa propre vie. Alors maintenant, je fuis. Si je sens que je n’ai pas 100% des chances de m’en tirer, je me pousser. C’est ce que j’ai fait aujourd’hui, c’est pour cette raison que je me retrouve ici avec la blonde. Certes, j’aurais espéré tomber sur n’importe quel autre Crimson, mais je fais avec. Je me doute qu’elle pourra m’aider, mais je me dis qu’il vaut mieux passer mon exaspération sur elle que sur une bouteille de fort. Au moins comme ça, j’aurai l’esprit dégourdi demain et je pourrai trouver une solution. Mais en attendant, je dois me faire pardonner à quelqu’un. J’écoute donc la blonde et je me dirige vers les réserves. Plus je m’approche du but, plus j’ai l’impression que Quetzal s’énerve. Lorsque je reviens enfin vers lui, il termine sa collation en trois bouchées. C’est impressionnant et amusant, mais je n’ai pas le cœur à rigoler, encore moins lorsque la blonde se renseigne sur les rôdeurs qui sont tombés sur mes pièges. Abasourdie, je me retourne vers elle. Elle était sérieuse lorsqu’elle proposait de m’aider? Ou elle doit simplement vouloir faire la conversation. Je réponds donc sur un ton nettement moins enthousiaste que le siens, peu convaincue quand à ses compétences en la matière. « Oui, c’est Andrea. Toi c’est Lucy, non? Jennings? » Comme Whil, l’adolescente que j’ai connu il y a quelques années. Elle a été ma première alliée. Avant de me joindre au même groupe qu’elle, j’étais toujours coincée avec des adultes. Ça m’a fait du bien d’avoir quelqu’un de mon âge à qui parler. Et je me souviens qu’à l’époque, je l’enviais d’avoir une fratrie tissée si serrée. Les rares fois où les voyais, ils étaient toujours ensembles. Maintenant que j’y pense, Lucy ressemble un peu à l’aînée. Elle a vieillit certes, mais je crois reconnaître ses traits délicats. Et si c'est bien elle, elle n’a pas tant changé, au fond. Elle dépend toujours autant des autres pour survivre. « Pour les rôdeurs, y’en avait un paquet. À mon 4e piège, je crois qu’ils étaient 5 ou 6 à essayer de s’emparer du coyote pris dans le filet. » Au moins, celui-là est toujours en vie. Je pourrai l’abattre rapidement et de manière plus ou moins indolore contrairement à la biche qui n’a pas du tout eu la même chance. « Au 5e piège, y’en avait 3 qui mangeaient. Ceux-là j’aurais pu les prendre facilement, mais j’avais peur que le bruit attire les autres. Je suis pas du genre à me lancer sans être certaine de mes chances, tu comprends? N’le prends pas mal, mais je doute que tu puisses vraiment m’aider. » Je pourrais peut-être aller réveiller Wyatt? Mais je n’ai pas l’impression qu’il sera enchanté d’une visite nocturne.  

J’ai du mal à comprendre l’empressement de Lucy. À mes yeux, elle n’est que celle qui ramasse le crottin et j’ai bien du mal à l’imaginer être plus que ça un jour. Pour moi, c’est comme si Marylin Monroe venait de sortir de sa tombe pour me proposer d’aller cambrioler une banque. C’est illogique et surtout, impossible. J’observe donc la blonde terminer ses travaux, un sourcil arqué. J’attends impatiemment la suite des événements, même si je n’ai aucune idée de ce qu’y est supposé se produire. Peut-être qu’il vaudrait mieux retourner me coucher et reposer d’autres pièges ailleurs. C’est la solution la plus logique, car si j’attends à demain, les choses risquent de se gâter sur mon terrain de chasse habituel. Lasse, je m’apprête à rebrousser chemin lorsque Lucy sort de la dernière stalle. Mon regard croise le sien, incertain. Ce qu’elle vient de dire ajoute au non-sens de la situation. Malgré qu’elle ait parfaitement raison sur certains points, je trouve incongru qu’elle se propose pour me donner un coup de main. Mais comme je veux réellement récupérer se fichu coyote, je juge bon de courir le risque. Au pire, je n’aurai qu’à détaler si les choses dégénèrent. Je hoche la tête lentement, puis la blonde se dirige vers son abri. J’ai l’impression qu’elle n’attendait pas réellement de réponse de ma part vu son empressement. Mais, ma curiosité piquée par l’étrange comportement de la blonde, je lui emboîte le pas en vitesse. Rendue chez elle, je reste à l’extérieur tandis qu’elle s’équipe. Je n’ai aucune idée de ce qu’elle prend, ni comment elle compte passer à l’attaque, mais nous avons une bonne heure de marche pour en discuter ou du moins, élaborer un plan quelconque.

Lorsque nous arrivons à la hauteur du poste de garde, celui qui s’y trouve m’adresse un regard moqueur. Il doit se demander ce que je fiche avec une princesse. À voir son regard, je sais qu’il pense comme moi. Il est convaincu que Lucy ne sera pas d’une grande aide. Mais, de la part d’un homme que je sais misogyne, je trouve ça effronté. Je lève mon majeur dans sa direction sans même m’arrêter. Au moins, la blonde se bouge le cul pour m’aider à régler le problème. Lui n’aurait absolument rien fait même si je lui avais proposé le dernier twinkie du monde.

« J’espère que tu sais dans quoi tu t’embarques. » Je finis par lâcher à celle qui m’accompagne lorsque nous atteignons enfin la forêt après une petite demi-heure. Je dois lui reconnaître, elle est rapide et discrète pour une ramasseuse de bouse de cheval. « Est-ce que t’as un plan au moins? Parce qu’on peut pas juste leur sauter dessus et espérer que ça fonctionne. J’ai pas envie de mourir ce soir. » Je m’arrête un moment, le temps de se mettre d’accord. Nous arrivons déjà près du groupe, alors il vaut mieux se préparer tant que nos voix sont encore hors de leur portée.

J’essaie de lui faire confiance, de me convaincre que tout ira bien, mais une partie de moi ne peut s’empêcher de penser que tout partira en couille. Malgré toute son assurance, j’ai du mal à croire qu’une blonde si amoureuse des Louboutins arrive à dégommer autant de rôdeurs. C’est plus fort que moi. Même mon instinct de survie me hurle de prendre la fuite avant que les choses dégénères. Chaque parcelle de mon être me cri que je me suis lancée tête première, sans réfléchir et que ça se retournera contre moi. J’ai envie de fuir, de détaler sans prévenir, mais je ne peux pas. Mon orgueil est plus fort que le reste. Il faut que je revienne au campement avec quelque chose à manger et pour l’instant, Lucie est la seule à pouvoir m’aider. Alors j’essaie de montrer un peu d’ouverture. Je la laisse prendre les devants bien que ma voix montre encore mes réticences. Mon ton est un peu hautain malgré moi. Elle doit savoir que je la prends pour l’idiote de service, mais elle ne le montre pas. Elle me remballe assez efficacement. Je me tais, complètement à l’écouter. Sauf qu’elle n’a rien de concret à me proposer. Son plan magique est de se lancer et d’aviser. Avoir su, je serais restée au campement. Mon orgueil ne vaut pas la peine d’y laisser ma peau. Mais il est bien trop tard pour faire demi-tour. Un craquement se fait entendre, suivi d’un grognement à peine audible. Celui qui l’a lâché ne doit tenir qu’à deux fils. Plus le temps d’élaborer quoi que ce soit, il faut agir. J’expire en silence, puis j’emboîte le pas à la blonde. J’essaie de lui faire confiance, mais plus nous approchons du mort, plus mon corps se tend. Mes pas se font un peu plus bruyants. Je n’ai pas envie de mourir, mais je n’abandonnerai pas Lucie non plus. Je ne suis pas ce genre de personne. Je récite donc une prière silencieuse. Je demande à maman de veiller sur moi. Pendant que je reste en retrait, la blonde s’occupe du corps qui ne met pas longtemps à s’écrouler. Un coup fatal, puis ce qu’il restait de ce pauvre type retombe mollement au sol. Sa chute est peu bruyante, mais probablement perceptible d’ici. J’attrape l’avant-bras de la blonde pour lui signaler de ne plus bouger. Vaut mieux ne pas entrer dans la forêt où ils pourront nous encercler. Ici, ils n’ont qu’une voie pour sortir, les autres étant obstruées par la faune. Si on peut en attraper quelques-uns avant d’entrer dans la gueule du loup, c’est une opportunité à saisir. Je me calle donc à côté de Jennings, le coude relevé et les jointures bien ancrées sur le manche de ma machette. L’instant suivant, d’autres râles faibles se font entendre. Des brindilles se brisent sous leur poids et bientôt, les premiers corps sortent des broussailles. Je les laisse venir à moi, les abattant un à un. Du coin de l’œil, je vois que Lucy fait de même et qu’elle s’en sort bien. C’est même beaucoup trop facile. Rendue au troisième, un bruit sourd se fait entendre. Un tronc tout pourrit vient de céder sous le poids des corps. La route est dégagée et ils sortent beaucoup plus rapidement. J’abats les deux qui me font face, mais d’autres suivent de près. Je recule d’un pas et un rôdeur se glisse entre moi et la blonde. Mon arme l’atteint à la tête dans la seconde, mais il est déjà trop tard. Lucie n’est plus dans mon champ de vision, une dizaine de morts s’étant immiscés dans la clairière. Merde. Je grommelle des injures incompréhensibles, puis je bats en retraite. Je me réfugie dans la forêt où je peux les éliminer à un rythme moins épuisant. Je prie à nouveau, cette fois pour que la blonde soit toujours debout.

Ce n’est pas dans mon habitude de me battre. Je ne suis pas mauvaise, surtout que j’ai commencé à me pratiquer bien avant le début de l’épidémie. C’est juste que je préfère courir. C’est moins stressant et meilleur pour la santé. Surtout, les chances de survie sont meilleures. Mais outre mon instinct de survie, je suis aussi orgueilleuse. Beaucoup trop. Pour moi, il n’y a rien de pire que de revenir les mains vides. Je dois réparer mes pièges si je ne veux pas devenir inutile au groupe. Alors je me lance. Je pousse un long soupire lorsque je me place auprès de la blonde, puis je commence la boulot. Ça va bien, puis d’un coup ça ne va plus bien. Tout se déroule trop rapidement. Je perds mon alliée de vue et je me retrouve emportée vers la forêt sans que je ne puisse y faire quoi que ce soit. Ils sont trop nombreux. Autour de moi un océan de dents qui claquent menace de m’engloutir. Je m’enfonce parmi les arbres, à la recherche d’un coin tranquille. J’abats ceux qui se mettent sur mon chemin. Je ne sais plus combien de fois je dois abaisser ma machette, ni combien de corps j’ai touché. Tout ce que je sais, c’est que je dois me mettre à l’abri et vite. Mais je trouve pas et ils continuent d’approcher. Je frappe de plus en plus rapidement, sans même réfléchir. Mes gestes sont méchaniques, automatiques. De vieux réflexe de l’époque où je n’avais pas encore rejoins les Crimsons me reviennent. J’ignore s’il s’agit d’un coup de bol ou si mon attaque est bien menée, mais bientôt, le calme revient. L’océan a cessé de s’agiter et je peux enfin respirer. Posant mes mains sur mes genoux, expirant laborieusement, je jette un premier coup d’œil au paysage. Avec le combat qui vient de se déroule, je ne reconnais plus l’endroit. Les branches sont craquées et le tapis de feuilles et de terre est recouvert de chair putride et d’autres substances visqueuses. C’est dégoutant, encore plus que n’importe quelle carcasse que j’ai du dépecer pour la viande et que dire de l’odeur. Pour éviter que mon cœur ne cède, je lève mon chandail au-dessus de mon nez, puis je pars à la recherche de Lucy. Je ne dois surtout pas la laisser ici. S’il lui arriverait quoi que ce soit, je m’en voudrais toute ma vie. Elle qui a si gentiment acceptée de m’aider. Nous aurions du nous préparer davantage plutôt que de foncer tête baissée. Surtout qu’en vue de ce massacre, mes pièges ne seront probablement plus utilisables. Je devrai en refaire des nouveaux dans un endroit moins rebutant pour les habitants de la forêt. Merde.

En essayant de sortir des bois pour retrouver la ramasseuse de crottin, je trébuche sur un corps. Je ne m’en étais pas rendue compte avant, mais ma cheville m’élance. L’adrénaline devait avoir engourdie la douleur, car maintenant, j’ai du mal à me lever. Je dois avoir heurté quelque chose dans ma fuite pour qu’elle lâche ainsi. Maladroite, il m’arrive souvent de m’emmêler les pieds. Mais souvent, je perds l’équilibre, sans plus. Je reste au sol un moment, le temps de mieux reprendre mon souffle. Mais après quelques secondes à peine, une voix se fait entendre. Lucy. Mon regard se dirige vers la forêt et mes jambes s’activent douloureusement. Je me relève en m’agrippant au tronc d’un vieil arbre. Mais une fois sur mes pattes, un rôdeur surgit dans mon champ de vision, tête blonde en pagaille et ensanglantée. Merde, merde, merde. Je pousse un juron avant de lever ma lame au-dessus de sa tête. Mon regard croise celui de la chose et je comprends un peu trop tard. Lucy. Ce sang n’est pas le sien. Je dévie mon geste et ma machette se plante dans l’arbre, à quelques centimètres de ses oreilles. « Hum… Je suis désolée? Si ça peut te rassurer j'suis contente de pas avoir à te retuer. » Je lui adresse un minuscule sourire qui doit plutôt ressembler à une grimace. Je sors le métal du bois et j’essuie la lame contre mon jeans qui est, de toute façon, déjà ruiné. « Si t’es pas trop fatiguée y’a encore le cerf à aller chercher. » Un beau petit bambi qui, si j’ai un peu de chance, nous attends encore patiemment dans son filet.

Lorsque je réalise qu’elle est toujours humaine, toujours vivante, la panique s’empare de moi. Il est trop tard, mon bras est déjà lancé vers elle. Néanmoins, j’arrive à faire dévier la lame et elle, à esquiver. L’arme se fiche dans le tronc à l’arrière sous nos deux regards écarquillés. L’espace d’un instant, j’ai l’impression que les secondes cessent de s’égrener. Je pense à la bêtise que j’ai failli commettre. J’aurais probablement perdu la tête si j’avais fait mal à quelqu’un involontairement. Je m’en serais voulu à mort. Imaginer les conséquences d’un tel accident me fait frissonner. Je suis passée près. « C’est pas mon intention. Mais je pensais qu’ils t’avaient eu. » Je ne suis pas une meurtrière, loin de là. Je n’ai tué qu’une fois par nécessité et je m’en veux toujours. Je suis plus qu’heureuse de réaliser qu’il n’est rien arrivé à la blonde par ma faute. J’arrive à ravaler mon orgueil, me rappelant que c’est entièrement de ma faute si nous nous sommes retrouvées dans une telle situation. C’est aussi moi qui l’aie attaquée par manque de jugement. Ce n’est pas le moment de l’insulter ou d’user de sarcasme, surtout qu’il reste du boulot à faire. J’hoche la tête, me taisant complètement. Je marche vers le piège découvert par les rôdeurs, avançant furtivement entre les branches, lorsque Lucy reprend la parole. Je m’arrête net, les sourcils froncés. Merde. Il commence à se faire tard et, m’étant levée à l’aube pour passer la journée à chasser, la fatigue me rattrape. Ce n’est pas le moment non plus. « Hm… » Je murmure pratiquement, sachant très bien que nous approchons du but. Quelques mètres plus loin et je suis certaine que nous pourrions entendre les râles satisfaits de ceux qui m’ont volé ma proie. « Le coyote était dans le filet au 4e piège. Le cerf se f’sait dévorer au 5e. » J’hoche à nouveau la tête, cette fois pour confirmer mes dires. J’aurais bien aimé que ce soit l’inverse, mais non. Faut croire que les rôdeurs ont la gueule fine eux aussi. Le cerf, c’est vachement mieux que le coyote. Mais bon, au moins j’aurai quelque chose à rapporter aux autres et des viscères à offrir à Bullet. Je pourrai même troquer la fourrure pour un peu d’alcool. Je reprends mon chemin, priant pour que les corps affamés n’aient pas réussi à atteindre la cage suspendue.

Au bout de quelques minutes, je commence à reconnaître mes marques. La corde qui se promène d’arbre en arbre nous guide jusqu’au 4e piège qui est complètement déserté. Le coyote est toujours vivant, intouché, mais complètement paniqué. Les rôdeurs l’ont probablement délaissé lorsqu’ils nous ont entendues. Ne reste que le 5e piège. L’animal qui s’y retrouvait est peut-être mort, mais nous ne pouvons tout de même pas laissé les morts manger tranquillement. Sinon, ils en attireront d’autres. Je fais signe à Lucy de me suivre, un doigt dans la direction souhaitée et l’autre posé contre mes lèvres pour lui indiquer de rester silencieuse. Mais, avant de m’engouffrer sur le chemin imperceptible, un rôdeur sort de derrière un tronc, se plaçant entre nous et notre destination. Il boite. Il est lent et je ne crois pas qu’il soit bien dangereux.

Spoiler:

Je me sens terriblement mal d’avoir embarqué Lucy l’à dedans. Bien que ce soit elle qui ait insisté pour se rendre utile, la situation a terriblement dérapé. Nous nous sommes retrouvées encerclées, trop peu nombreuses face à tant d’assaillant. Sauf qu’on s’en est sorti de peu et maintenant, je peux voir la blonde souffrir à chaque pas. Sa démarche est moins assurée qu’avant. J’ai envie de lui dire de retourner chez les Crimsons, d’aller soigner ses blessures et de me pardonner. Mais je ne peux m’y résoudre. Mon fichu orgueil prend le dessus, comme toujours. Je veux ce coyote, même si sa viande ne sera pas terrible. Je poursuis donc mon chemin, l’aînée des Jennings sur les talons. J’ouvre la voie et tout va bien, jusqu’à ce qu’un rôdeur nous tombe dessus entre les deux pièges. Mes réflexes n’étant pas assez affutés, Lucy est déjà entrain de s’en occuper lorsque je me retourne. Je croise son regard au moment où le corps s’affale au sol et je comprends aussitôt. Elle ne me fait pas confiance. Elle craint que la situation ne se retourne contre elle, mais ce ne sera pas le cas. Je ne suis pas du genre à laisser tomber les gens, encore moins une meurtrière. S’il se passe quelque chose, que ça tourne encore plus mal, je préférerais mourir à ses côtés plutôt que d’agir en lâche. Mais ça, elle ne le sait pas. Et je ne suis pas conne. Je sais que rien de ce que je pourrai dire ne la rassurera, surtout après tant de temps passé sur la route. Je reste donc silencieuse, tournant rapidement sur mes talons. Ne reste plus beaucoup de chemin à traverser jusqu’au second piège. En quelques pas à peine, nous voilà face au corps, ou à ce qu’il en reste, d’un cerf. J’ai presque pitié pour cette bête qui a du mettre du temps à mourir. Elle a du sentir son ventre être déchiré en lambeau, sans comprendre pourquoi ces monstres s’en prenait à elle. Un sort encore plus terrible que ce qui était réservé aux animaux dans les abattoirs d’avant. À l’époque, je me battais farouchement pour que leurs conditions s’améliorent. Je ne mangeais pas de viande et j’essayais de convaincre le plus de gens que possible de suivre le mouvement dans des manifestations qui n’étaient pas toujours pacifiques. Aujourd’hui, j’abats ceux que je protégeais. Mais au moins, le cerf n’aurait pas souffert. J’aurais planté mon couteau dans sa carotide et il serait mort en vitesse. « Ça, c’est un cerf et il méritait pas de finir comme ça. » Je recule d’un pas, observant les alentours. Je reste silencieuse, jusqu’à ce que je trouve ce que je cherchais. Je m’approche de mauvaises herbes, essayant d’arracher toutes les fleurs blanches qui y sont mêlées. Lorsque j’ai enfin un bouquet de taille acceptable, je retourne près de l’animal pour recouvrir son pauvre corps. « On lui a déjà pris assez de trucs. » Je jette un dernier coup d’œil à la proie qui m’a été volée par les monstres, puis je retourne vers le piège précédent. Une fois sur place, je fais tourner la poulie pour que le filet descende un peu plus vers le sol. Lorsqu’il n’est qu’à quelques centimètres, je vais me placer aux côtés de l’animal qui, n’ayant plus aucune force, se contente de pendre sans se débattre. Je caresse un peu sa fourrure et je lui murmure quelques paroles rassurantes à l’oreille tandis que la lame s’enfonce dans son cou. Un couinement s’échappe de son corps avant qu’il ne se relâche complètement. « Je suis désolée. » Je répète avant de le redescendre complètement. Une fois libéré du filet, je soulève la carcasse à bout de bras pour la placer sur mes épaules. « Tu crois que tu peux ouvrir le chemin? » Je demande à la blonde, consciente qu’elle en a pourtant déjà fait bien assez. Sauf qu’au même moment, un rôdeur surgit dans le chemin. «J'suis pas une spécialiste, mais, à mon avis, là, vous allez mourir, hein ! » Je recule d’un pas pour ne pas être dans les jambes de la blonde qui, je le sens, doit bouillonner intérieurement. Comme de fait, l’instant suivant la carcasse retombe lourdement au sol. « T’inquiètes pas, je viens aussi d’apprendre qu’y faut pas la faire chier. » J’ajoute à l’intention du mort bien qu’il ne puisse plus m’entendre. Lucy est plus coriace que je ce que je pensais et je crois que je l’ai déjà enragé assez pour aujourd’hui. Il est temps de rentrer au campement, alors je me remets en route.

Les choses sont loin de s’être déroulées comme prévu. Si on m’avait prévenu que ça dégénèrerait ainsi, je ne me serais pas laissée embarquée par l’enthousiasme excessif de la blonde. Je serais restée au campement et je serais revenue le lendemain, avec une meilleure équipe. Pour la simple et bonne raison que, même si je sais me défendre, je ne suis pas une guerrière. Normalement, j’évite les situations potentiellement dangereuses. J’analyse tout avant de me lancer. Pas comme avant, à l’époque ou mon adolescence était guidée par mes mauvaises décisions. Je réfléchi et si j’estime que les risques sont trop gros, je me planque ou je détale. Ça, je suis douée pour le faire. À force de me tenir dans la forêt, loin des hommes, j’ai appris à me déplacer comme un fantôme, sans laisser de trace. L’offensive n’est pas mon genre et si Lucy ne s’était pas proposée, je ne me serais jamais mise dans une telle situation. Néanmoins, je ne regrette rien. Maintenant que j’ai mon coyote, tout va pour le mieux. Mon alliée aura besoin d’un peu de repos et moi aussi, mais au final, on ne s’en tire pas si mal. Contrairement au pauvre cerf. Mais pour l’instant, il reste du chemin à faire avant de pouvoir reposer sur nos lauriers. J’hoche la tête lorsque la seconde Crimsons me demande de la guider. Ça va de soi. Je ne suis pas idiote. Pis le rôdeur arrive, pile au moment où je nous croyais tranquille. Plutôt que de m’effrayer, sa présence m’ennuie. Heureusement que ma partenaire improvisée s’en charge rapidement. Il s’écroule après un bref combat et nous pouvons nous remettre en marche. « On fera moitié moitié. Mais si tu dis à quelqu’un que je te l’ai donné sans que tu me paies, je vais t’égorger dans ton sommeil. » Semi-sérieuse, le visage impassible, je lui indique la direction à prendre d’un geste de la main. Tout au long du retour, je pense au lit qui m’attend. La nuit est pratiquement tombée. Normalement je ne dors pas avant que la lune soit haute dans le ciel, mais cette fois-ci, je ferai une exception. Après avoir dépecé l’animal et mis la viande à sécher, bien sûr.

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