intrigue générale (mi avril) + chaï

mi avril ✻ Sur les coups de deux heures de l’après-midi, Jensen, Chaï et Adam s’étaient octroyés une pause dûment méritée, avaient avalé un bout avant de se remettre à la tâche sur le toit éventré d’une des baraques inhabitées d’Olympia. Et peut-être était-ce dû au soleil qui redoublait d’ardeur, mais plus l’après-midi s’allongeait et plus l’olympien avait l’impression désagréable d’un mal-être persistant qui imprégnait ses membres d’une lourdeur de plus en plus difficile à passer outre. Pas du genre, toutefois, à crier au loup pour quelques crampes d’estomacs ou un début de mal de crâne qu’il imputait sans peine au cagnard et à la fatigue combinés, Adam s’était obstiné à ignorer les symptômes et avait continué son travail comme si de rien n’était. Simplement un peu moins bavard, un peu plus concentré sur ses gestes alors que sa vision semblait lui jouer quelques mauvais tours parfois. Sa bonne humeur habituelle semblait s’être tarie au profit d’un mutisme appliqué et il avait progressivement cessé de relancer les conversations et plaisanteries qui s’échangeaient au sein du trio ; la fin de la journée approchait et, une fois n’étant pas coutume, il n’était pas peu pressé de filer se prendre quelque chose de frais et de s’avachir quelques temps sur son vieux canapé défoncé. Jensen le chambra en lui signalant qu’il valait mieux qu’il s’évite de se mettre encore une race ce soir s’il voulait finir la semaine dans un état différent d’aujourd’hui et Adam n’eut en guise de seule réplique que le très traditionnel et peu original majeur levé dans sa direction, provoquant chez son interlocuteur un rire moqueur et peu impressionné par la répartie de son camarade.
Les choses semblèrent toutefois un peu plus sérieuses lorsqu’une demie-heure plus tard l’olympien commença à éprouver quelques difficultés pour se déplacer sur le toit pentu sans avoir l’impression qu’un tremblement de terre silencieux agitait son plancher. Malgré la brise légère qui s’était levée en cette fin d’après-midi, il continuait de suer à grosses gouttes et l’acceptation que quelque chose était vraiment en train de clocher commençait doucement à se faire dans son esprit.  « Chaï ! il appela sans hausser le ton, se rapprochant de son compagnon d’une démarche un peu balbutiante. Je crois que… » Il ne termina pas sa phrase, sa main s’accrochant brutalement à l’avant-bras de l’autre tandis que son univers s’agitait de plus belle. « Putain de merde ! » Ses jambes semblaient s’être transformées en deux tiges de coton et il ne devait qu’au soutien de l’autre olympien d’être encore debout. « Si Jensen fait encore une réflexion quant à ma prétendue gueule de bois, il grogna avec un brin de causticité dans la voix, sois sympa et dis-lui de ma part d'aller se faire foutre. » La situation n'avait pas grand chose de drôle, cependant, et se trouver pris de vertiges quand l'on se trouvait à hauteur raisonnable du plancher des vaches et sans la moindre sécurité avait de quoi inquiéter quelque peu.

mi avril ✻ Notre duo de bricoleurs avait eu pour mission de restaurer un toit qui avait subi de gros dégâts. Laissé de côté un petit moment, l'heure était venue de revoir cette structure afin de, possiblement, y faire habiter une famille sans que la charpente ne leur tombe sur la tête. C'est dévoué que Jensen, Adam et moi-même avions rapidement travaillé sur les modifications à y apporter sur papier jauni, un charbon en guise de crayon. L'habitation tenait la route, en soi, seule la partie haute était à revoir. Quelques journées allaient nous être demandées, mais le gros oeuvre ne courait plus les rues depuis quelques jours, voire une à deux semaines, les petits boulots occupant rarement plus d'une heure de notre quotidien. C'est heureux et dans la bonne humeur que nous avions placé l'échelle à bonne hauteur pour sécuriser l'endroit d'abord. Arrête de te la couler douce Jensen, fis-je la remarque à l'un de mes coéquipiers qui mataient quelques demoiselles plusieurs rues plus loin et qui ne pouvaient remarquer ses regards insistants sur leur déhancher, elles sont trop jeunes pour toi, le taquinai-je en donnant un petit coup d'épaule à Adam avant de peaufiner les quelques arrangements qui retiendraient la structure déjà existante sous le soleil de plomb. Mes cheveux prirent vite la sueur et la transpiration dégoulina sur mon visage bronzé par les fortes chaleurs de ces derniers temps. Si les hivers pouvaient être, de temps à autre, bien douloureux et rudes, les printemps devenaient de plus en plus accablants et la température excédait la moyenne d'année en année. Foutu réchauffement climatique ! Et dire que je pensais que l'apocalypse pourrait avoir un effet positif sur ce problème... Les morceaux de bois périmés, qui avaient pris trop souvent la flotte, furent démontés et jetés dans la rue sécurisée de manière fortuite. Les coups de marteaux étaient seuls à produire du bruit dans la ville, Olympia étant comme vidée probablement à cause de la chaleur étouffante de la journée. Les pics de Jensen atténuèrent légèrement les conditions affreuses de notre travail du jour et il fallait dire qu'il était apprécié pour ses blagues, même si parfois bien lourd. J'étais de la partie également, plutôt gai ces jours-ci mais l'absence d'Adam à nos échanges fût peut-être ce qui choqua le plus notre duo de rigolos. C'était le mec qui se prenait pas la tête, même cuit, il avait toujours le mot pour rire -surtout quand il était cuit, en fait- et aujourd'hui semblait être le jour de gueule de bois de trop. Il n'a pas tort, cela dit, commentai-je la réplique de Jensen concernant l'état dégradé d'Adam qui avait répondu par un doigt d'honneur bien visible envers notre comparse. T'aurais pu au moins nous inviter, ça t'aurait évité de te retrouver dans cet état, fis-je en avalant une grosse gorgée d'eau d'une bouteille en plastique maintes fois utilisée. Comme si l'alcool coulait à flot à l'heure d'aujourd'hui... Mon regard se posa un instant pour observer Adam qui resta muet, dans son coin, l'air pensif sans prendre le masque d'un pensif. Non, franchement, il était bizarre et j'en fis part discrètement à notre compatriote en lui offrant un faciès aussi surpris qu'interrogateur. A sa réponse tout aussi silencieuse, je ne pus que comprendre qu'il n'y captait pas grand-chose non plus. Encore une heure et j'me casse, soupirai-je à mes acolytes bricoleurs, les prévenant ouvertement que je ne comptais pas finir le travail en une journée, et qu'il commençait à se faire si tard que la fatigue me tombait doucement -mais sûrement- dessus. On a tout de même bien bossé, enfonçai-je un énième clou dans le nouveau bois de la charpente à l'aide d'un marteau usé par l'âge et les saisons. Je n'eus le temps que de finir de planter l'objet à moitié de mes coups avant qu'Adam ne m'interpelle. Sa voix était étonnement étrange, comme si son corps ressentait le danger. C'est instinctivement que je m'essuyai le front en portant mon attention sur sa démarche brinquebalante, déséquilibrée. Mon anatomie se redressa, comme préparée à l'accueillir. Mes traits étaient tirés par l'étonnement et l'incompréhension, tout autant que le visage de Jensen qui avait, lui aussi, stoppé son affaire. Adam, dis-je en haussant le ton d'une manière interrogative, questionnant mon ami et collègue avant qu'il ne me tombe dessus, posant tout son poids sur mon épaule, acte qui faillit nous faire valser des planches. Mes mains lâchèrent les outils pour venir agripper le haut des bras de mon coéquipier alors qu'il blablatait quelques mauvaises blagues à son sujet. J'pense pas qu'on puisse vraiment s'le permettre là, affirmai-je alors que je sentais son corps partir d'avant en arrière, puis sur les côtés, comme si ses jambes n'étaient plus. Jensen, criai-je assez fort pour que ce dernier vienne me donner un coup de main plutôt que d'observer la scène du bout du chantier. Je devais le maintenir de plus en plus, et nous risquions tous deux de partir à la renverse dans les combles de la maison et de nous faire affreusement mal. Aide-moi, ordonnai-je au troisième homme de notre groupe de potes dès lors qu'il fût à notre niveau, va falloir qu'on le descende pour éviter la casse, proposai-je avant de regarder la hauteur qui nous séparait de la terre ferme, et maintenant, finis-je par faire comprendre l'empressement. Tu penses pouvoir le faire ou j'te mets sur mon dos, demandai-je à Adam qui, clairement, ne se sentait pas au mieux de sa forme. Deux choix s'opposaient : soit il trouvait assez de courage pour descendre à l'échelle seul, une corde attachée à son corps au cas où, soit la force l'avait totalement abandonné et je me proposai à le porter à même mon dos, tous deux mettant nos vies entre les mains de Jensen.

mi avril ✻ Coup de chaud dû au travail en plein cagnard toute la journée durant ? Difficile à dire, mêmes si les symptômes étaient similaires. Sauf qu’Adam n’était pas exactement novice dans le métier, avait l’habitude des conditions rudes des chantiers et de la chaleur des journées texanes. Ce genre de journées, pour lui, n’avait rien d’exceptionnel et ce même malgré un organisme amoindri par une nourriture appauvrie et des circonstances de vie bien moins confortables que huit ans plus tôt. « Non, attends », il contra Chaï et sa suggestion de le faire descendre de là incessamment sous peu. « J’crois pas que ce soit une bonne idée dans l’immédiat. » Parce qu’après avoir passé tant de temps à combattre et prétendre ignorer le malaise ayant investi son corps, celui-ci n’avait de cesse que d’attaquer de plus belle ? Les vertiges n’avaient pas l’air de vouloir se calmer de sitôt,, plutôt même l’inverse, et sans l’appui de son camarade Adam aurait sans conteste été dans une sacrée belle galère.
Sans lâcher sa seule assurance sécurité du moment, l’olympien se laissa doucement glisser jusqu’à se retrouver assis sur la charpente, plus stable maintenant qu’il n’avait plus à maintenir son équilibre sur une paire de guibolles vacillantes. « Laisse-moi un peu de temps, peut-être que ça va passer. » Ça n’avait pas trop l’air mais, hé, fallait bien que ce soit le cas non ? Ils n’allaient certainement pas passer toute la nuit ici. « De toute façon, tu vas pas me porter, mec, tu t’es bien regardé ? Ou t’as envie qu’on soit deux à atterrir en bas plus vite que prévu ? Non, va falloir qu’on trouve autre chose. » Loin de lui l’idée de se montrer désobligeant, toutefois, et il allait de toute manière certainement avoir besoin d’aide pour se tirer de ce pas délicat. « Te reste encore un peu d’eau dans ta gourde, dis ? Je cracherai pas dessus. » La sienne, il l’avait fini bien deux heures plus tôt face au soleil et plomb et à la migraine qui persistait à vouloir donner des coups de marteau contre sa paroi crânienne en rythme avec ceux qu’il avait donné, lui, contre la charpente.  

mi avril ✻ Je laissais Adam s'agripper à moi alors qu'il tentait, tant bien que mal, de plier les genoux pour que ses fesses atterrissent sur le bois d'une énorme poutre qui faisait partie du toit que nous venions de rénover, majoritairement terminé. J'accompagnais ses gestes pour éviter un déséquilibre qui nous entraînerait tous deux dans l'intérieur poussiéreux de l'habitation. Il avait raison le gaillard, mine de rien. J'avais beau continué à prendre du temps pour moi, mon corps n'était plus semblable à celui d'antan. Mes muscles ressortaient bien trop de cette épiderme fine et de cette anatomie forte maigrichonne. Pour dire, mes abdominaux ressemblaient à des pavés pierreuses que l'on m'aurait agriffé à l'intérieur, entre mes tripes et ma peau, sans compter mes biceps qui se gonflaient comme un ballon à chaque mouvement et ces veines qu'on avait l'impression d'étouffer par des couches épidermiques trop asséchées. La maigreur faisait partie de notre quotidien et avait laissé des traces indélébiles. Je pris mon débardeur pour essuyer les gouttes qui s'étaient déversées sur mon faciès, le soleil traînant encore bien haut. Jensen, va falloir que tu descendes lui chercher de l'eau, conclus-je lorsque je me rappelais avoir fait déverser les dernières gouttes de ma bouteille. Faut qu'il décuve, c'tout, piailla-t-il, prêt à prendre une pause sur une autre partie de la charpente. Jensen..., commençai-je, le fusillant du regard alors qu'il relevait sa tête dans ma direction, l'air tranquille, loin d'être alarmé, va te faire foutre, tu veux, lui lançai-je dans la tronche. Je me dépêchais par la suite pour aller fouiner dans mon sac à dos et dégoter la bouteille en plastique vide et lui balançais : tu t'es assez tourné les pouces aujourd'hui. Jensen, c'était le genre de mecs à prendre la vie comme elle venait, à ne jamais s'alarmer, à ne jamais se poser trop de questions. Il était là où on lui demandait d'être, et c'était déjà bien assez. Ce fût en soufflant qu'il rejoignit l'échelle et, quant à moi, je revins me positionner aux côtés d'Adam. La fièvre s'était dispersée dans l'entièreté de son être, la sueur ruisselant en de nombreuses billes, de plus en plus importantes, et son crâne devait toujours tambouriner. Va vraiment falloir lui trouver une gonzesse, commentai-je le "je m'en foutisme" de Jensen, rien que pour le responsabiliser un peu, et bon dieu qu'il était encore gamin ce type. Il est p'tete un peu moins qu'parfait, mais j'suis sûr qu'un jour il pourra devenir presque parfait, conclus-je avant de porter une main réconfortante sur l'épaule de mon acolyte.

mi avril ✻ Jensen, va-te faire foutre. Il eut un maigre sourire en entendant son camarade finalement mettre à exécution sa demande formulée sans grand sérieux quelques instants plus tôt mais se garda bien du moindre commentaire, préférant préserver même jusqu’à la plus petite portion de son énergie pour d’autres choses qui lui semblaient autrement plus importantes. A savoir, rester conscient, rester stable, éviter de faire un plongeon en piqué dans les combles de la baraque et surtout, implorer le monde qu’il arrête de tanguer autour de lui. Plus d’eau, c’était bien sa veine… mais est-ce que ça aurait sérieusement arrangé son problème, de toute façon ? Il en doutait sérieusement.
Un petit rire sans guère d’entrain lui échappa devant les commentaires à propos de leur camarade. « Tu m’en voudras pas trop, j’espère, si je te dis que c’est bien le dernier de mes soucis à l’heure actuelle. » La main pressée contre son épaule lui fut d’un bien maigre réconfort, mais c’était toujours plus rassurant de se dire qu’il n’était pas seul dans cette galère. Merde, si ça lui était arrivé à un moment où il s’était retrouvé seul ? Et si les vertiges ne lui avaient pas laissé une seule chance de s’accrocher quelque part ? « Enfin, j’pourrais toujours lui présenter Jenna. Sur un malentendu… » Parler aussi franchement de la benjamine Rhodes d’une manière qui laissait penser qu’ils étaient – ou avaient été – proches n’était sûrement pas sa meilleure initiative du jour, mais il ne se rendait pas compte de grand chose à cet instant et se fichait pas mal du reste. « Putain, mec, j’sais pas ce qui m’arrive. » Le stress était réel, même si Adam n’était pas ce genre de gars à sombrer dans la paranoïa pour une petite coupure ouverte. « Cette histoire de gueule de bois, c’est une connerie. J’ai dû choper une merde. » Oui mais où ? Et à cause de quoi ? Il se rappelait, vaguement, d’une fréquentation anormalement plus soutenue de l’infirmerie depuis quelques jours, mais ne s’était pas vraiment intéressé à un sujet qui ne le concernait pas ; personne ne lui avait semblé plus inquiet qu’à l’habitude. Alors quoi, un nouveau virus ? Ou il avait été en contact avec quelque chose d’infecté mais alors ça, il préférait ne même pas y penser. Ses symptômes étaient assez génériques après tout, le fait qu’ils soient communs avec cette saloperie de merde que se trimbalait les rôdeurs ne voulait absolument rien dire. Il existait sûrement une explication beaucoup rationnelle à ça, quelque chose que la logique pouvait expliquait et surtout, qui guérissait. « Et fallait que ça arrive maintenant… c’est bien ma veine, bordel. »

mi avril ✻ Je me mis à rire lorsqu'Adam proposa de présenter à Jensen la fille Rhodes : il faudrait qu'elle soit sacrément explosée du cerveau pour vouloir de lui, commentai-je, omettant de donner une autre raison qui, pour moi, allait à l'encontre de tous mes principes : il était hors de question d'aider à un couple de deux camps différents à se lier entre nos murs. Au loin, je voyais Jensen s'affairer à remplir les bouteilles d'eau et un soupir s'extirpa de mes narines. C'était l'ami parfait, le collègue idéal qui relativisait tout, mais auprès des jeunes femmes, il pouvait paraître trop sociable, notamment lorsqu'il se préparait à sortir ses étourderies de très mauvais goût. Il n'avait jamais été très sûr de lui lorsqu'il s'entourait de demoiselles à marier, et il devenait très maladroit dans ces moments-là. Il méritait d'être heureux, comme tout un chacun, mais semblait ne pas avoir trouvé la bonne potion magique, la bonne méthode d'attaque. Très rapidement, je revins à me concentrer sur Adam qui reprit la parole. Ses gouttes de sueur perlaient de plus en plus sur son front et je n'avais d'autre possibilité que d'attendre, pourtant, je n'aimais pas être incapable d'aider. Tu es sorti récemment, lui demandai-je, tu n'aurais pas été piqué par un insecte par hasard, ou été mordu par un rôdeur par inadvertance, sans que tu ne t'en aperçoives, continuai-je, cherchant avec lui la probable raison qui le pousserait à avoir une fièvre aussi radicale. Ou peut-être que tu te serais trop approché d'un malade ces derniers jours, supposai-je certainement à mal, c'est étrange, logiquement quand on prend de la hauteur, tout devrait nous sembler insignifiant, ajoutai-je en laissant mes pieds aller dans le vide de la charpente à moitié terminée, mais là, je t'avoue que je ne suis pas très rassuré par ton état, tu t'es rendu à l'infirmerie récemment ? Pourquoi cette question ? Et bien parce que je me rappelais avoir entendu que de nombreuses personnes s'y étaient rendues récemment, avec les mêmes symptômes qu'Adam ressentait. Fièvre, nausées, tête qui tourne, perte d'équilibre et affaiblissement général du corps, tout ceci semblait avoir été transmis à mon collègue et ami. Enfin, ça aurait pu être pire... Imagine avoir la chiasse lorsqu'on est coincé sur un toit, tentai-je de lui changer les idées.

mi avril ✻ Le rire s’arracha douloureusement de sa gorge face aux questions de son compagnon. « T’es sérieux ? » Son regard chercha celui de Chaï, dans l’optique d’y dénicher la lueur d’une plaisanterie de mauvais goût. « Ça t’arrive souvent à toi, de te faire mordre par inadvertance ? Je pense bien que je m’en serais rendu compte… » Même dans le feu de l’action, ce n’était pas spécialement anodin. Et puis de toute façon, il y avait bien longtemps qu’Adam n’était pas sorti d’Olympia sinon pour aller faire un saut au caveau de la Carrière. S’il y avait eu le moindre risque que quelque chose soit arrivé durant l’un de ses derniers allers-retours, puisque les mauvaises rencontres restaient malgré tout assez fréquentes, il aurait tout de suite pensé à ça en premier. En fait, il l’aurait même su d’office : il n’y avait pas de place au doute, dans ce genre de cas, et il n’aurait décemment pas pu ignorer une morsure ni même une griffure au point de retourner travailler sans même aller se faire examiner au préalable. Pas le genre de trucs qu’on pouvait oublier… « Non, j’avais aucune raison d’y aller, puis c’est pas exactement le genre de lieux que j’aime fréquenter pour le plaisir. » Sorte de nid à miasmes post-apocalyptique dans lequel il ne foutrait jamais un orteil sans une bonne raison de le faire. Une raison qui, par ailleurs, semblait fort malheureusement toute trouvée aujourd’hui.
Le rictus revint étirer les coins de ses lèvres devant la plaisanterie grossière, il préférait ne pas penser à ce genre de scénario. « Parle pas trop vite, on sait jamais si c’est pas la prochaine surprise dans la file d’attente. » Mieux valait espérer que non. Pour tout le monde. « Enfin les plus à plaindre, seraient surtout ceux qui lèvent pas le nez en l’air. » Charmant. De quoi se créer une réputation que personne ne risquait d’oublier de sitôt. « Ça sent le vécu où je me trompe ? » Pure moquerie, de toute façon Adam ne tenait vraiment pas à savoir la réponse. Surtout si elle devait être positive ; parfois, l’ignorance était largement préférable. D’un coup d’œil, il avisa Jensen qui reprenait la direction de l’échelle avec la sacro-sainte eau claire. Puis ses yeux dérivèrent vers les godasses de Chaï qui se balançaient dans le vide, et il tira une grimace peu convaincue. « Tout ce qu’elle m’inspire la hauteur, là, c’est un putain de vertige et l’impression que le sol va venir à ma rencontre incessamment sous peu », il marmonna en faisant un effort pour se concentrer sur quelque chose qui ne lui inspirait pas trop de jouer à l’oisillon tombant du nid avant d’avoir appris à voler. « Putain, il compte se laisser désirer comme le messie l’autre con, ou il attend juste de voir si j’suis pas en train de jouer la comédie ?! »

mi avril ✻ Un peu des deux, j'pense, commentai-je la phrase d'Adam qui commençait à trouver le temps long et l'équilibre difficile. Tiens bon, surtout, lui demandai-je de ne pas jouer au con et de lâcher prise si prêt du but. Et, pour être certain qu'il ne plonge dans le vide, les bras ouverts à la manière d'un ptérodactyle en pleine jouissance aérienne, mes doigts vinrent agripper le tissu du haut de mon fidèle collègue, comme si j'avais dans l'espoir que cela puisse l'aider si, à un moment donné, ses forces le lâcheraient pour rendre une petite visite au rez-de-chaussée de la baraque. En se rappelant que nous étions tout de même sur la charpente, cela le ferait descendre d'une hauteur foudroyante et destructrice. Loin de là de vouloir avoir sa mort sur la conscience, je criai à l'encontre de Jensen qui sifflotait en montant les marches de l'échelle : t'as pas mieux à faire que de chantonner, mec ? Non mais, sérieux. Se rendait-il au moins compte de la gravité de la situation ? Ça vient, ça vient, dit-il, tout peinard jusqu'à l'arête de bois sur laquelle nous étions installés, culs bien accrochés et bien serrés contre l'épais morceau du toit. Vas-y, épanche ta soif, tendis-je la gourde que j'eus arraché des mains de notre camarade pour Adam. Jensen s'assit en face de nous deux et examina avec attention le pauvre bâtisseur pâle et en sueur : toi, t'as chopé une merde, s'exclama-t-il en secouant la tête de gauche à droite, d'un air faussement compatissant. Non. Sérieux. Sans blague ? Un regard noir vint le fusiller avant que je ne reprenne la parole : il va tout de même falloir que tu te fasses examiner, t'es sûr que tu veux pas descendre maintenant ou qu'on envoie Jensen chercher un Doc'. En effet, nous ne pouvions attendre indéfiniment sur la charpente qu'Adam ne tombe à la renverse. Même avec l'eau fraîche dans le gosier, la perte d'équilibre et le tournis étaient tous deux présents dans la tête de notre collègue. T'as une préférence pour le médecin, souris-je en coin. Si à mon arrivée, il n'y avait pas eu autant de spécialistes de la santé, aujourd'hui, il y avait un peu plus de choix et, sans vouloir juger sur le physique, il n'y en avait pas un/e plus joli/e que l'autre. Ah non, je ne redescends pas, s'exclama le plus débile de nous trois qui croisa les bras sur son poitrail pour appuyer son non-vouloir. Bon... Puisque Monsieur en a décidé ainsi, le regardai-je en fronçant les sourcils, un ton narquois dans la voix, dès que tu te sens prêt Adam, on t'aidera à rejoindre la terre ferme. Il était vrai que d'ici, mis à part attendre que les choses empirent, nous ne pouvions faire quoi que ce soit.

mi avril ✻ L’eau fraîche lui fit un bien fou après ses longues minutes passées à avoir l’impression de cuire sous le cagnard et d’avoir perdu jusqu’à sa dernière goutte de résistance face aux rayons du soleil. Adam ne se gêna pas pour en boire quelques longues gorgées avant de se renverser le reste sur le visage et dans la nuque. « C’est bon, il rétorqua après un regard noir lancé à Jensen, je vais descendre, calme-toi. » De toute façon quoique l’autre dise, il allait bien devoir repartir en sens inverse sur cette putain d’échelle, non ? A moins de vouloir passer la nuit à la belle étoile sur le squelette du toit, si tel était son délire, mais il en doutait franchement vu le bonhomme.
« Ça devrait le faire… je suppose. » Autant partir de suite au lieu de courir le risque que ça empire davantage, de toute façon. Alors, prenant appui sur son camarade, l’olympien se releva en priant pour que sa béquille de substitution ne se retrouve pas déséquilibrée par le poids qui se pendait à elle ; Adam, après tout, n’était pas spécialement un petit gabarit.
Rien que le cheminement jusqu’à l’échelle lui parut durer une éternité dans ce nouveau monde où le vertige des hauteurs, qui lui avait toujours été un parfait inconnu, semblait être la couleur dominante. Mais il n’y eut pas de chute, pas de casse, et tous les trois arrivèrent à leur porte de sortie. Après quoi ils se débrouillèrent tant bien que mal pour bidouiller un système de sécurité avec les moyens du bord mais, fort heureusement, ce n’était pas non plus un building qu’il leur fallait redescendre. Et le plancher des vaches fut un véritable soulagement après toutes ces péripéties.

Dos au mur, Adam se laissa choir au sol avec un manque de grâce remarquable et l’air exténué par les efforts qu’il lui avait fallu pour arriver jusque là. Tout ça pour ça… et restait encore le trajet jusqu’à l’infirmerie. Il se passa une main dans les cheveux, repoussant en arrière quelques mèches trempées conjointement par la sueur et l’eau qu’il s’était versé sur le crâne, puis appuya sa tête contre le mur et ferma les yeux un instant. « Merci. » Le mot s’échappa d’entre ses lèvres dans un souffle, tandis que l’homme s’efforçait de rassembler les maigres forces qui lui restaient encore pour se relever et effectuer la dernière portion du chemin. « J’vais encore devoir t’utiliser un peu Chaï, il reprit tandis que son regard revenait chercher le sien. Tu fais une foutue bonne béquille, tu sais ? Tu m’accompagnes jusqu’au doc’ ? » Quant à Jensen, ce n’était même pas la peine de l’inclure, l’autre ayant visiblement terminé sa journée et envie d’être n’importe où sauf ici. Difficile de lui en tenir réellement rancune : vu le suivi médical franchement médiocre comparé à avant, on ne pouvait décemment pas lui reprocher de préférer garder ses distances avec un gars dont on ne savait pas s’il souffrait de quelque chose contagieux ou non.