Perdue ♦ Eli

Ils marchent une vingtaine de minutes, presque trente afin de ramasser des fruits, des feuilles, ce qui peut être comestibles. Il faut se rendre un peu plus loin, l'hiver n'est pas encore terminé et même avec des températures plus clémentes au Texas qu'au nord des États-Unis, la nature va à son rythme. Nour a accepté de suivre les autres, elle est bien entourée. Elle reste près des autres, le chemin lui semble être assez compliqué, les premiers n'hésitent pas pourtant eux. Il est vrai qu'elle sort à peine et surtout pas seule.
Une fois arrivée sur place, elle commence, parlant un peu avec les autres, mais bien vite son imagination l'emporte : elle est sur scène, elle danse. Elle ramasse sans trop voir tout et rien, de façon mécanique.
Toute à son spectacle imaginaire, à ses applaudissements que personne d'autre n'entend sauf elle, elle ne porte pas attention à ce qui se passe autour d'elle. Ce qui n'est pas une très bonne idée, elle le sait. Autant car elle ne peut pas entendre les rôdeurs approcher tout comme ce que peut dire les autres carrières. Ce n'est pas une bonne idée, elle le sait, elle l'a juste oublié temporairement. Et ce qui devait arriver arriva : elle ne porte pas attention, n'entend pas lorsqu'on lui crie qu'ils vont ailleurs.
Trois ou quatre minutes plus tard, elle sort de sa rêverie. Elle constate très vite qu'il n'y a plus personne autour d'elle.
Elle est seule.
Elle ne sait pas où sont les autres.
Elle panique, elle sent les larmes monter, elle commence à trembler, sa respiration se fait beaucoup plus rapide. Elle ne prend même pas le temps de penser, elle panique. Un gémissement sort d'entre ses lèvres. Elle est seule. Au milieu (au début, à la fin ? Elle n'en sait rien, mais ça ne change pas la situation) de la forêt. Elle ne sait pas comment revenir à la carrière. Elle sait par où ils sont passés en dernier, mais c'est tout. Elle ne sait pas si elle doit bouger ou si elle ne doit pas bouger. Peut-être qu'ils vont s'apercevoir qu'elle n'est plus là. Peut-être qu'ils ont fait exprès. Ils l'ont invitée pour ensuite l'abandonner. Elle sait qu'elle n'est pas très aimée. Elle n'est pas très utile, mais elle est vivante, c'est un gros point non ? Et on a complimenté ses savons, cela joue aussi en sa faveur, non ?
Elle n'a aucune idée de comment repartir encore moins de vers où ils sont partis. Elle sait juste qu'elle ne veut pas rester comme ça, seule, sans défense, apeurée, paniquée. Un bruit de branche se fait entendre, elle craque. Elle sursaute, met sa main sur sa bouche pour éviter de crier. Plus rien ne se fait entendre ensuite.  « Il y a quelqu'un ? » essaie-t-elle de demander, ce qui  n'est pas très brillant, mais ce qui sort ressembler plus à un croassement. Sa gorge est serrée, elle est coincée. Malheureusement, elle a fait assez de bruit pour qu'un grognement lui réponde.
Elle ne pense pas, elle panique, encore une fois, elle se met à courir sans porter attention au chemin. Elle veut juste s'éloigner le plus loin et vite possible de cet être atroce.
À bout de souffle, elle s'arrête quelques minutes plus tard. Elle fait un tour d'horizon, tournant sur elle-même : bon point, il n'y a plus de morts vivants ; mauvais point, elle est sûrement encore plus perdue.
Une voix féminine parvient à ses oreilles, lui faisant faire le saut. Elle se retourne en direction d'où la voix provient, levant les mains dans les airs. Elle ne sait pas si l'autre est armée —  en y pensant un peu il est sûr qu'elle l'est d'une manière ou d'une autre : qui ne l'est pas aujourd'hui ? — si elle lui veut du mal, mais elle se dit que de lui montrer patte blanche tout de suite est plutôt conseillé. Plus que d'aller lui sauter dessus et de pleurer sur son épaule car elle est deux maintenant. Ce n'est pas tout le monde qui pourrait bien le prendre. Elle contente qu'il y ait quelqu'un, même si elle sait très bien que ce quelqu'un peut être déconseillé à fréquenter ou du genre à tuer tout ce qui bouge sans distinction.

Dans les bois Nour aurait bien aimé ne jamais y avoir mis les pieds. C'est pour le bien de la Carrière qu'elle a fait ça (avec un côté très égoïste à sa raison : soit ne pas se faire renvoyer et bien se faire voir), mais elle aurait préféré ne pas s'en éloigner. Elle aurait dû le faire, c'est une confirmation à présent qu'elle est perdue et qu'elle peut faire de drôles de rencontres. Dont une sortie d'elle ne sait trop où. Les mains toujours dans les airs, elle regarde la brune qui lui fait face, se demandant comment elle se comporte avec les étrangers. Bien, mal ? Elle espère que c'est le premier cas. Elle est perdue, elle a déjà assez de problème comme ça.
La jeune femme commence par lui donner un conseil, ce qui est un assez bon début se dit-elle. « J'sais pas comment on fait. » Pourtant sa sœur le lui a souvent dit. Elle a juste oublié. Elle est très douée là-dedans, ça passe par une oreille et ça sort par l'autre. Cela n'a jamais vraiment été utile et cela l'est encore moins avec cette époque où tout savoir peut l'être. Celui du ballet qu'elle a n'est pas très utile, tout comme de pouvoir bien se maquiller et se coiffer, de se faire des soins de peau... ce n'est pas de sa faute si personne lui a dit qu'elle devrait apprendre d'autres trucs au cas où les morts se mettraient à marcher. Elle n'a aucune aptitude pour survivre aujourd'hui et sans sa sœur, elle serait morte depuis longtemps. Du coup, comme cette dernière a été acceptée à la Mine, Nour est certaine qu'il ne lui reste pas grand temps à vivre. Elle est vraiment stupide d'avoir accepté cette sortie. Toute cette mauvaise aventure risque de la faire encore moins sortir.
« Hum... pas à ce que je sache. » qu'elle répond. Elle n'a pas compris que ce n'était pas une vraie question. Elle ne sait pas qui d'autre s'est perdu, mais elle est contente de ne pas être la seule à qui cela arrive. Elle n'est pas la seule incapable dans le coin, cela fait du bien à savoir. « J'ai fuis. » lui donne-t-elle comme explication à propos de sa tête (elle passe tout de même la main dans ses cheveux afin de les arranger un peu). Elle n'a pas envie d'être là, mais elle n'a pas envie d'être là où il y avait un rôdeur. Cela aurait été plus efficace de le tuer, mais il est hors de question qu'elle s'approche d'un truc comme ça à moins de ne pas avoir le choix. Et l'autre choix, elle l'avait : fuir. Elle pense avoir fait la meilleure chose à faire dans sa situation... bien qu'elle sait tout de même que bien des personnes auraient agit d'une autre manière. Tant mieux pour ces dernières. Ce n'est pas de sa faute si elle ne peut pas se contrôler.
Bon, maintenant, passer au point le plus important : « Tu peux m'amener jusqu'à la carrière ? » lui demande-t-elle, lui faisant un charmant sourire.

Promenons dans les bois, tant que le loup n'y est pas. S'il y était il nous mangerait. Si seulement c'était vrai. Ils peuvent se promener dans les bois sans avoir peur du loup car il ne doit plus en rester beaucoup. Malheureusement, ceux ayant sûrement mangé les loups sont très nombreux et ils ne sont pas en voie de disparaître. Pas à ce qu'elle sache, elle trouve toujours qu'ils sont beaucoup trop.
Nour comprend très bien la réaction de la jeune femme, elle sait qu'elle n'est pas adaptée et elle est habituée de se le faire dire, d'une manière ou d'une autre. « Je sais. » Elle n'est pas toujours une lumière, mais elle n'est pas complètement stupide non plus. Elle se doute bien qu'une forêt enchantée ne ressemble pas à cela. Et même si elles étaient dans une drôle de forêt enchantée, elle sait très bien que c'est l'apocalypse. Jamais elle n'aurait été dans une forêt sinon... à moins de considérer New York comme une ; c'était une jungle urbaine tout du moins. Jungle urbaine qu'elle préférait largement, elle ne peut pas le cacher. Ici, tout est trop incontrôlable (et ça manque de boutiques de toutes sortes).
« J'étais avec d'autre... j'avais pas prévu m'éloigner d'eux. » qu'elle explique ensuite. Pas du tout prévu. Elle ne sait pas trop si cela devait être répondu comme la remarque a été marmonnée, mais elle n'a pas pu s'en empêcher. Au pire elle va la faire marmonner encore plus... au mieux. Le pire serait qu'elle l'abandonne. Elle ne veut pas y penser avant que cela arrive.
De toute façon, elle doit la suivre. Elle va être capable de garder le rythme, s'il y a bien quelque chose qu'on ne peut pas lui reprocher c'est qu'elle ne soit pas en forme. Elle l'a toujours été, cela a toujours été une obligation en tant que ballerine et elle l'est restée ensuite. Il faut bien que toutes ses courses pour fuir les rôdeurs servent. Et la danse qu'elle fait le matin et les autres fois dans la journée quand l'envie lui en prend. « Nour. » La suite ne lui plait pas vraiment. « J'vais essayer... » Elle ne promet rien, elle sait déjà qu'elle risque de ne pas être capable. En fait, Eli doit le voir sur son visage qu'elle va sûrement crier si elle voit un macchabée qui marche ou rampe... ou qui n'est pas véritablement mort.
« T'es sûre ? » Elle ne sait pas si elle va reconnaître la lisière, elles se ressemblent presque toutes : il y a des arbres près d'elles et elle n'a pas pensé à bien la regarder avant d'entrer dans la forêt. Elle ne pensait pas en avoir besoin. Bien qu'elle se dit à présent que cela doit toujours être pratique.