guilty until proven innocent

La décision s’était imposée à lui sans qu’il en veuille réellement, à force de la savoir entre les murs d’Olympia. Ni fou ni stupide, Adam savait pertinemment qu’il ne pourrait pas l’éviter à perpétuité vu les raisons qui amenaient la recruteuse des cavaliers à se pointer régulièrement en ville – il s’était renseigné, oui, discret mais efficace, et glaner des infos sur Malini n’était pas spécialement la chose la plus difficile à faire puisqu’il ne s’agissait pas exactement ici d’un personnage lambda dont on ignorait tout – et n’avait pas franchement l’envie de jouer au chat et à la souris dans son propre clan. Pourtant et au vu des circonstances quant à leur seule rencontre, sa finalité, et ce qu’il savait du tempérament de l’indienne, quel autre choix s’offrait à lui ? Hormis, peut-être, celui de finalement porter ses couilles et décider d’organiser une rencontre. S’il n’était pas sans redouter le dénouement de cette dernière, il avait en revanche conscience que ce ne pourrait pas être pire qu’une confrontation fortuite au détour d’une rue, d’une connaissance commune ou n’importe quoi d’autre susceptible de les réunir dans un même endroit au même moment. Olympia n’était pas si grande après tout, certainement pas tant peuplée qu’il puisse continuer à vivre sa vie en espérant ne jamais tomber nez-à-nez avec elle. Au moins, cette fois, ne serait-il pas pris au dépourvu. En provoquant un face à face, il avait l’avantage du terrain, il savait ce qu’il voulait, lui, et il n’avait pas la surprise pour entraver ses réactions.
Utiliser Ryan pour parvenir à ses fins lui avait paru être la chose la plus sensée : son colocataire semblait, la connaître, ne pas être sur un terrain de guerre avec elle comme l’était Adam. Et puis, en toute honnêteté, l’olympien n’allait pas se pointer chez Ferguson comme une fleur pour demander à causer à sa meuf, non ? Alors il avait raconté à l’ancien chacal juste ce que l’autre avait besoin de savoir, demandé à ce dernier qu’il se démerde pour ramener la cavalière jusqu’à chez eux – désarmée si possible, autant prendre les précautions qu’il lui était possible de prendre dans la mesure du réalisable – il ne se leurrait pas, toutefois, sur le fait qu’elle allait se ramener ici les mains vides ou avec des cookies.
L’attente ne l’avait pas rendu nerveux : s’il savait le danger que sa potentielle visiteuse représentait, Adam ne nourrissait aucune culpabilité à l’égard de ce qu’il lui avait fait, geste nécessaire selon lui – tué ou être tué ? Il avait fait son choix sans la moindre hésitation. Ici, elle ne pesait pas autant que lui quel que soit le pouvoir que sa relation avec un recruteur olympien puisse bien lui offrir, et tuer ou malmener un Olympien sur son propre sol ne lui rapporterait que des ennuis. Quel que soit son désir de vengeance à son égard, elle ne serait sûrement pas aveugle face à ça, il en était à peu près convaincu.
Hors les murs en revanche… pas de témoin, pas de preuve. Des gens mourraient pour un simple croûton de pain.

La porte d’entrée s’ouvrir sans que personne ne daigne s’annoncer au préalable, mais Malini et Adam avaient sûrement passé le seuil des politesses lorsqu’il lui avait ouvert le bide avec son couteau. Il se leva du canapé lorsque la silhouette de la cavalière se profila dans l’encadrement de l’entrée du salon, reposant dans le même mouvement son verre sur la table basse tandis qu’il la jugeait d’un regard scrutateur. Difficile de savoir précisément ce qu’elle avait en tête, même s’il pouvait tout de même se douter de quelques-unes de ses pensées. Et il ne s’approcha pas d’elle pour se livrer à un simulacre d’accueil, préférant garder ses distances – préférable de tout point de vue – et un visage qui ne lui ferait pas l’hypocrisie de sembler heureux de la voir ici. Parce qu’il ne l’était pas, ni soulagé, ni rien : il se livrait simplement à une obligation à laquelle aucun des deux ne pouvait couper, au final. Et sa lame pendait à ses côté, rangée, mais présente. Il n’était pas un débutant, il n’était pas naïf.
« C’est bien que tu sois venue, lâcha-t-il finalement après un silence pesant et le seul duel de leurs regards peu amicaux. Je n’étais pas bien sûr que tu ne préfères pas plutôt te pointer en pleine nuit, ou à n’importe quel autre moment où je t’aurais pas attendue. » Soit, une vaste palette d’opportunités, en somme. « J’ai pas l’intention de m’excuser. » Clair d’entrée de jeu. Parce qu’il n’avait pas l’intention de lui mentir, ni chercher à se tirer de là avec une connerie de ce genre. « Mais je te dois des explications, sûrement. Faut qu’on discute.» Il n’allait pas lui tendre la main, proposer ou un repas entre voisins ou n’importe quelle promesse fumeuse qui ne vaudrait pas un clou. Mais mettre les choses au clair, au moins tenter de faire d’Olympia un terrain neutre, ça devait être possible non ?

Machinalement, la recruteuse passe une main sur son flanc guéri, mais où persiste une vilaine cicatrice de ses mésaventures remontant au mois d’août. Sa mine se fronce alors qu’elle crache à Ryan un simple : « Non. » Mais l’ancien jackal ne s’arrête pas là, il est beaucoup trop doué pour convaincre les autres, il ne compte pas s’en tenir à un échec. Il fera des pieds et des mains s’il le faut, la recruteuse le sait d’avance. Et, déjà lasse de son manège à venir, elle fait mine de céder après quelques arguments en plus. Le blond prend même le temps d’insister sur le fait qu’il ne s’agit pas là de la faveur qu’elle lui doit, qu’il n’en a pas fini avec ça non plus. Soupir. Elle en entendra parler toute sa vie de cette faveur, comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête. « D’accord, d’accord, tais-toi maintenant. J’irai. » Sa bouche se déforme d’un léger tic rageur. Son flanc s’enflamme au souvenir, douleur fantôme, piqûre de rappel. Elle n’est pas invincible.
Elle n’avait jamais pris le temps de réfléchir de ce qu’elle allait faire de la situation, de la présence d’Adam en ces murs. La vengeance ressemblait à la réponse évidente, mais il y avait tellement de facteurs inconnus. Pouvait-elle vraiment s’en sortir avec un crime en ces lieux ? Les Olympiens semblaient avoir accepté sa présence et Malini n’avait pas insisté avec l’histoire de sa presque mort. Seuls Bass et Abel sont au courant du véritable auteur de sa blessure. Et le blond se mordait les doigts encore de l’avoir recruté tandis que l’aîné des Rhodes semblait vouloir se le réserver pour régler quelques histoires passées. Les plans de l’Indienne n’appartenaient donc qu’à elle, et si personne ne se douterait d’abord qu’elle pourrait être derrière une attaque envers Adam, elle préférait s’épargner le trouble du stress de cette découverte. Le meilleur moment, ça aurait été d’attendre qu’il s’éloigne du cocon protecteur du dernier bastion de civilisation. Et là, il n’y aurait plus de loi pour le protéger.

Peut-être qu’en fait, elle y a réfléchi plus qu’elle ne le pensait. Et si elle acceptait cette rencontre, faisait mine de passer à autre chose pour pouvoir le frapper quand il ne s’y attendrait pas ? Une part d’elle ne démordait pas. Une autre trahissait une profonde lassitude. Depuis qu’elle était revenue de son voyage, elle se sentait plus en connexion avec elle-même, avec ses émotions, avec ses souvenirs… L’entreprise de vengeance qu’elle montait dans son esprit ressemble davantage au spectre sombre d’elle-même qu’elle tente peu à peu de fuir. Comment sortir de son animalité et retourner vers la civilisation ? Meera lui dirait sûrement qu’elle doit lui pardonner. Nouveau tic rageur. Elle n’y arrivera pas. Le pardon n’est plus une notion à laquelle elle accorde de l’importance.

Devant l’entrée de la maison de Ryan et d’Adam, Malini demeure stoïque, ombre silencieuse qui pèse le pour et le contre. Est-ce que ça ne serait pas un piège au bout du compte ? La logique qui lui martelait qu’elle ne s’en sortirait pas en se débarrassant de l’ancien jackal fonctionnait-elle dans son sens ? Bass était prévenue en tout cas. S’il arrivait quelque chose à la recruteuse, il saurait où frapper.
Aussi, elle entre sans prévenir. S’il prévoit de l’attaquer par surprise, autant ne pas lui faciliter la tâche en le prévenant qu’elle est là. La veine de la paranoïa gonflait sur sa tempe alors qu’elle balayait la pièce du regard. Ses mains se resserrent atour de ses armes de fortune – Ryan l’a forcée à lui remettre toutes ses lames avant de la laisser prendre l’allée vers chez eux. Il la connaissait peut-être un peu trop.
Il se lève à sa rencontre, laisse bien en évidence son arme à sa taille, sûrement pour la dissuader. Son flanc s’irrite. Elle ne pipe mot, l’écoute introduire son plaidoyer qui se termine par un surprenant : je n’ai pas l’intention de m’excuser. A quoi bon alors ? Quelles explications pouvait-il bien lui apporter qui allègeraient la situation ? Il n’y avait rien à dire pourtant. Ils s’étaient rencontrés en forêt, la situation avait dégénéré, il s’était défendu. Fin de l’histoire.

« J’avais envisagé de te payer une petite visite à l’improviste, aussi. Mais pas en pleine nuit, trop de gens dorment avec des couteaux sous leurs oreillers. Du moins, j’espère qu’ils le font. Non, je pensais plutôt attendre une balade hors des murs. » Elle hausse les épaules. Il n’avait pas l’intention de s’excuser ? Alors elle n’avait pas l’intention de paraître conciliante. « Ou sous la douche pourquoi pas ? Y a peu de gens qui se ramènent avec un couteau sous la douche. » Ses lèvres s’imprègnent de la situation avec un rictus. Elle ne voudrait pas qu’il se sente trop en confiance parce qu’il est dans sa propre maison. Elle avait déjà repéré trois façons différentes d’entrer.
Elle fait un pas dans le salon et referme la porte derrière elle du pied. Puis elle sort ses bras cachés derrière son dos. « J’étais pas sûre de ce que j’allais trouver alors j’ai ramené de la compagnie. » Elle montre le tuyau rouillé et le pied de chaise démembré sous le porche voisin. « Comme ça je suis plus à l’aise pour entendre ce que tu as à me raconter. Même si bon, on a tous les deux la même version de l’histoire, je ne vois pas ce que t’aurais à baratiner de plus. »

Malini était exactement comme il se l’était figurée, l’air aussi peu enchanté que lui de se trouver là, et sûrement pas conciliante pour un sou envers tout ce qu’il pourrait avoir à lui dire, quoi que ce soit. Adam ne s’était pas attendu, de toute manière, à la trouver aimable, polie, ou bien disposée à son égard. Il savait que l’image qu’il avait eue d’elle, lorsqu’elle lui avait sauvé la vie et avant que la situation entre eux deux ne dégénère, ne risquait pas de se manifester de sitôt chez son interlocutrice. Et, à vrai dire, il s’en moquait éperdument : il n’avait pas demandé à Ryan de la ramener ici pour qu’ils deviennent amis, ou n’importe quelle autre connerie dans le genre.
Un petit rictus s’afficha sur son visage au fur et à mesure des propos de la nouvelle arrivante, il n’avait pas peur d’elle, non (peut-être aurait-il dû), mais il croyait tout à fait qu’elle était parfaitement capable de faire ce qu’elle était en train d’énoncer sur le ton de la conversation, et sans doute pouvait-il s’estimer heureux qu’elle n’ait mis aucune de ces idées-là à exécution mais, en tous les cas, au moins se considérerait-il averti s’il fallait d’aventure que cette rencontre-là se termine mal – et, en toute honnêteté, il n’avait pas la moindre idée de ce qui allait se passer ensuite, pas bien sûr d’arriver à la convaincre de quoi que ce soit, il savait juste qu’il se devait d’essayer. « Hmm. J’imagine que c’est une habitude que je devrais prendre, alors. » Humour, oui, quoiqu’Adam ne s’amusât pas réellement de la situation. Mais, si elle cherchait à lui insuffler quelques relents de paranoïa quant à la possibilité de subir un retour de flammes au moment où il s’y attendrait le moins, cela au moins était gagné ; de ce qu’on lui en avait dit, l’olympien avait vite compris qu’il ne valait mieux pas qu’il se méprenne à la sous-estimer.

Le rire lui échappa alors qu’elle exhibait ses armes de fortune sous son nez, avertissement on ne pouvait plus clair qu’il ne comptait pas laisser passer sans y accorder la moindre importance. « Si tu crois que je t’ai demandé de venir pour achever le travail, laisse-moi te dire que je ne suis pas stupide à ce point. » Olympia était une petite ville. S’il tentait quoi que ce soit sur elle, il ne faisait pas le moindre doute que la vérité ne tarderait pas à éclater au grand jour. Et outre le fait qu’il n’était pas du genre à goûter au meurtre gratuit pour le simple plaisir de tuer, il doutait que même Ryan le couvre s’il en venait à une telle extrémité. Et cela, encore, était en partant du principe qu’il allait s’en tirer pour la seconde fois en deux confrontations. « Ecoute, je pouvais pas retourner au ranch et à aucun moment l’idée de le faire m’a traversé l’esprit, Rhodes me buterait à vue. Donc, ouais, à partir du moment où tu m’as dit venir de là-bas, j’ai t’ai simplement utilisé pour avoir des nouvelles vu que t’avais l’air pas mal bavarde à ce sujet. » Est-ce que, depuis, elle s’était renseigné à son propos ? La possibilité n’était pas à refouler, mais il était pratiquement sûr qu’il l’apprendrait bien assez vite si tel était le cas. « J’ai jamais eu l’intention de t’agresser, je voulais juste me tirer vite fait quand j’ai vu que tu commençais à te méfier. J’me suis rendu compte trop tard que ç’avait sûrement été une mauvaise idée de profiter de tes vivres et… du reste, mais j’avais besoin de savoir, ok ? » Le hasard l’avait mené à croiser sa route, puis celle de Wyatt quelque temps plus tard… si seulement les deux situations avaient pu s’inverser dans le temps, bien des problèmes auraient été évités il n’en doutait pas une seule seconde. Seulement, ça n’avait pas été le cas et voilà où il se trouvait, à présent : face à une cavalière peu disposée à lui accorder le moindre crédit, et plutôt partante pour se venger de ce qu’il lui avait fait. Chose qu’il pouvait difficilement lui reprocher, d’une certaine manière, seulement voilà : s’il pouvait éviter de crever connement seulement pour avoir voulu défendre sa peau quelques mois plus tôt, alors il préférait autant continuer à rester en un seul morceau. « Sauf qu’en réagissant comme tu l’as fait, tu m’as un peu forcé la main. Tu vas quand même pas me dire que si la situation avait été inversée, t’aurais pas fait la même chose à ma place, si ? Ou peut-être que tu m’aurais tout simplement buté sans arrière-pensée, ça a plus l’air d’être ton genre. » Ni accusation, ni agression, mais un simple énoncé des faits qui s’appuyait autant sur ce qu’on lui avait dit d’elle, que sur les paroles menaçantes qu’elle lui avait balancées en s’introduisant dans le salon. « Je m’en fous que tu me pardonnes ou non pour c’que je t’ai fait, mais j’avais pas le choix. » Mouais, de toute façon, il s’imaginait mal pouvoir d’une manière ou d’une autre se trouver dans ses bonnes grâces après avoir littéralement manqué de l’éventrer en bonne et due forme. « Le problème, là, c’est que j’ai pas envie que tu viennes me crever pour une connerie d’histoire de vengeance alors que tout ce merdier, c’était de la putain de légitime défense. » Avec le recul, on pouvait aisément penser qu’il y aurait pu peut-être avoir une dizaine de réactions plus appropriées que celle de lui planter sa lame dans le bide mais, l’instinct étant ce qu’il était, il ne choisissait pas forcément la chose la plus appropriée à faire quand on le mettait au pied du mur. « Donc, j’aimerais qu’on arrive à se trouver un terrain d’entente. Incluant le fait que je doive pas prendre un couteau sous ma douche, ou passer mon temps à regarder derrière mon épaule. »

Que veut Malini Kapoor ? La question vaut son pesant de vivres. Que fait-elle debout dans ce salon ? A quoi s'attend-elle vraiment ? Cette rencontre ne rime à rien. Elle-même ne sait pas ce qu'elle veut finalement. Se venger ne sert à rien, elle en a bien conscience bien que cela ne la satisfasse pas du tout. Mais elle demeurait incapable pour autant de passer à autre chose, bloquée sur le moment de sa vie où la vie a failli lui manquer. Et lui... Lui se prêtait à une mascarade d'excuses, un spectacle risible compte tenu de leurs véritables sentiments quand à cette histoire. Malini n'était pas dupe, elle voyait bien qu'il se fichait pas mal de ce qu'il avait fait, il ne s'entretenait avec elle que pour assurer sa réputation et sa place dans le camp. Elle en est persuadée même : il aurait préféré qu'elle crève sur le coup, dans cette maison qui a scellé leur rencontre sous le sceau de la tragédie. Personne n'aurait alors pu savoir qu'il en était l'auteur et il aurait pu mener son imposture paisiblement. Il aurait fait son numéro de recrue à Bass, l'aurait regardé dans les yeux en lui racontant la solitude de l'errance alors même qu'il venait de tuer sa copine. Il aurait partagé son toit avec Ryan sans jamais lui faire part de cette recruteuse qu'il avait malencontreusement laissé mourir dans un coin perdu. Peut-être le sujet aurait-il été abordé un jour, Ryan aurait déploré la mort de Malini avant même qu'elle ait pu lui accorder cette faveur qu'il aimait faire miroiter au-dessus d'elle comme une micro torture psychologique. Adam aurait alors baissé les yeux vers son verre tout en éludant avec une phrase d'un réconfort bancal qui aurait sonné comme : "Ce monde en veut à tout le monde."
Imaginer le monde tourner sans elle la mettait en colère plus que de raison. Elle savait exactement qui serait triste, qui s'en réjouirait et qui ferait mine d'être affecté avant de reprendre leur vie. On concluerait qu'il s'agissait de jackals peut-être, de représailles de Marisa, et Adam aurait été alors hors jeu parce que personne ne semblait être au courant de son passage chez les jackals. Et ça, Malini en était encore persuadée. Il avait aiguisé son instinct ce jour-là et sa manière d'agir avait quelque chose digne de la lâcheté des jackals.

La main de la recruteuse est ferme autour du pied de chaise et elle fait tourner le tuyau dans son autre main, résultat d'un tic un brin nerveux. "T'aurais pu jouer franc jeu. Si tu m'avais dit que tu avais déjà été au ranch, j'en aurais pas fait toute une histoire. On aurait conclu à un malentendu et chacun serait parti de son côté. T'aurais eu des nouvelles et moi j'aurais pas perdu de temps. Mais je suppose que c'est dans ta nature de tromper les gens, de leur cacher qui tu es." Un menteur, un tricheur, un tueur... Ils se ressemblent plus qu'elle ne voudrait l'admettre, et c'est peut-être ce qui l'agace le plus. Parce qu'il n'a pas tort sur un point, si elle avait été à sa place : elle aurait achevé le travail.
Lèvres pincées, elle lève les yeux au plafond, non pour faire preuve de sarcasme, mais plutôt pour y chercher une vision plus apaisante, plate. "Une trève, hein ?" C'est la seule issue possible, mais les mots lui tranchent la gorge. "Je comprends. Vraiment, je comprends. Tu voudrais pouvoir vivre une petite vie tranquille, fuir les problèmes et continuer à prétendre que t'es quelqu'un de décent. Mais tu sais que les problèmes finissent toujours pas revenir. Qu'est-ce qui va se passer quand Rhodes saura que t'es là hein ? Et qu'est-ce qui va se passer quand tes anciens petits camarades jackals voudront retrouver tes traces aussi ? Parce que je ne me suis pas trompée là-dessus, n'est-ce pas ?" C'est un gros coup de bluff, son air assuré, comme si elle était au courant de tout alors qu'elle n'a que le haut de l'iceberg en vue. Affirmer qu'il était jackal, ce n'était que la continuation de son intinct – sa paranoïa plutôt – et de la franche camaraderie qu'il semble entretenir avec Ryan. Mais la survie c'est un coup de poker de toute façon. C'est faire croire qu'on a toutes les cartes en main, sans même avoir de but concret, juste pour consolider sa place. Elle ne voudrait pas non plus qu'il s'imagine pouvoir se débarrasser d'elle facilement encore une fois.

Sur certains points, et ça le répugnait de devoir l’admettre, Malini avait raison quant à son comportement. Et Adam savait qu’il avait merdé, savait que toute cette foutue journée à partir du moment où elle lui avait sauvé la vie jusqu’à celui où il s’était tiré sans demandé son reste, sa machette imprégnée du sang de la cavalière, n’avait été qu’une putain d’erreur de laquelle il avait eu mille occasions de s’extirper et ne l’avait pas fait. « J’avais aucune certitude que tu ne me butes pas en apprenant que j’avais été chez les cavaliers. D’après mes souvenirs, les déserteurs n’ont jamais vraiment eu la chance de se voir graciés une fois retrouvés… » Peut-être les cavaliers s’étaient-ils ramollis depuis le temps mais, des quelques rumeurs que l’olympien avait pu entendre ce n’était pas l’impression qu’il en avait retirée. Il ne chercha pas à nier son affirmation quant au type de personne dont elle le rendait parent, conscient du lourd bagage qu’il avait trimbalé avec lui au fil des clans dans lesquels il avait vécu. Tromper les gens… tellement ironique quand on savait comme il avait en horreur le mensonge et tout ce genre d’artifices, et voilà ce qu’il était devenu à présent. On lui avait forcé la main une fois, pour le bien d’une foutue mission qui en plus n’avait été qu’un échec retentissant, et il s’était retrouvé embrigadé dans un cercle infernal dont il lui était juste impossible de sortir à présent. Il avait menti à droite et à gauche, puis menti encore pour couvrir ses précédents mensonges jusqu’à se trouver dans un tel imbroglio qu’il en finisse par demander une trêve à quelqu’un qu’il avait essayé de buter.
Son assurance l’agaçait, sa manière de parler comme si elle semblait tellement mieux que lui. Était-ce réellement le cas ? Il en doutait, il en avait suffisamment entendu sur elle pour ne pas y croire. Aurait-ce été le cas qu’il aurait peut-être été un peu plus désolé pour son geste mais, il n’allait pas non plus se prétendre hypocrite en affirmant qu’il entretenait le moindre regret vis-à-vis de ça. « Qu’est-ce que ça t’importe, ce qui va se passer à ce moment ? Ce que je te demande, c’est entre toi et moi seulement. Rhodes… ou les autres, c’est une autre histoire. » Inutile de réfuter son appartenance aux chacals, elle avait tapé juste, et peut-être même que Ryan avait vendu la mèche. S’il avait été surpris qu’elle l’insinue aussi calmement ? Oui, sans aucun doute, mais son attitude lui avait laissé croire qu’elle savait et puisqu’il fallait jouer carte sur table alors inutile de la contrer là-dessus, ni même de lui demander comment. Ryan savait, Wyatt savait, Jenna et Jamie aussi… Et puis il n’était pas inconscient au point de croire que son “petit secret” n’en était plus vraiment un, que si Olympia n’en savait rien pour le moment ce n’était peut-être pas le cas de la carrière. Malini aurait pu tirer son information d’une dizaine de sources différentes qu’il pouvait toutes citer nominativement, et cela sans parler de ceux dont il ignorait qu’ils étaient également au courant. « Est-ce que c’est mal, de vouloir avoir le droit à cette fameuse petite vie tranquille dont tu parles, dis ? Ou est-ce que c’est réservé qu’à ceux qui n’ont jamais rien fait de mal pour sauver leur peau depuis que ce putain de monde est parti en couilles ? Et, dans ce cas, qu’est-ce que tu fous ici, Malini ? » Il ne s’énervait pas, cependant, gardant son calme au même titre qu’elle. N’étaient-ils pas là, après tout, pour tenter d’avoir une conversation civilisée ? Certes elle était armée, lui aussi. Ostensiblement. Pour autant, l’olympien croyait encore qu’il y avait un moyen de régler tout ça sans faire verser le sang une nouvelle fois. « Va pas me faire la morale à ce sujet alors que t’es loin d’être toute blanche toi aussi, je suis pas en train de me foutre la gueule alors aie au moins la décence de me rendre la pareille. » Il croisa ses mains dans son dos, le regard toujours rivé sur elle et se gardant bien de la moindre trace d’agressivité dans son attitude ou dans sa voix. Inutile de chercher à envenimer une situation qui se débrouillait déjà très bien toute seule… « Je suis pas con, je sais très bien que je vais pas finir ma vie tranquillement ici. Ça me prive pas pour autant du droit de vouloir en profiter, non ? »

Il avait peur qu’elle le bute parce qu’il était un déserteur et elle, lors de leur rencontre, elle avait eu peur qu’il ne soit envoyé par Marisa Rosario pour la fliquer, la blesser, l’achever ou pire encore. Ce qu’elle voyait devant elle : le dénouement d’un énorme quiproquo. Mais ça s’arrêtait là. Adam avait failli la tuer, que ce soit justifié ou non, ce n’était pas quelque chose dont on pouvait passer outre et oublier pleinement. Ça ne fait que s’ajouter à une collection de traumatismes qui s’empile dans un coin de son esprit et attend un moment de vulnérabilité pour s’exposer. Il ne savait pas ce qu’il attendait d’elle et peu importe de toute façon, elle n’était pas disposée à le lui donner. Elle préférait qu’ils restent deux étrangers, à s’éviter scrupuleusement, plutôt que de devoir ouvrir leur bagage commun pour faire le tri. La colère et la tentation de se venger n’étaient jamais loin, autant ne pas l’agiter sous son nez en traînant près de l’ancien jackal.
Voilà d’ailleurs qu’il l’attaquait ad-hominem, remettant en cause sa moralité. Il avait bien raison de le faire, évidemment, mais elle n’était pas de bonne foi aujourd’hui et de toute façon, elle n’habitait pas là. « Ce que je fais ici te regarde pas. Mais je peux te dire ce que je ne fais pas : je fais pas semblant d’être quelqu’un de bien. Je sais pas ce que t’insinues, mais moi je ne cache rien du tout. La preuve, t’as pu te renseigner à mon sujet on dirait. »

C’était un mur, devant eux. Ils refusaient chacun d’écouter l’autre et les arguments finiraient par être vides de sens à moins que l’un d’eux ne se résolve à tendre l’autre joue et emprunter la voie plus adulte. « C’est pas tes aspirations dans la vie que je juge, je m’en fous de ce que tu veux. Mais ce que tu traînes derrière toi, ça m’importe. Si y a encore des jackals dans le sillage, ça me concerne aussi figure-toi, parce qu’ils veulent ma peau. Et tu t’en doutes, mais j’y tiens beaucoup. » Et d’un coup, ça lui tombe sur le coin de la gueule ; une révélation qui ne lui fait pas plaisir et son expression s’affaisse légèrement. Elle pourrait le compromettre en le balançant à Abel et lui pourrait très bien la vendre aux jackals aussi. Même si elle supposait qu’il n’était plus dans leurs bonnes grâces après avoir fui, elle se doutait bien que de pouvoir leur livrer celle qui a tué Gabriel Rosario pourrait lui acheter une tranquillité. Et si elle avait fait le calcul, lui aussi ne tarderait pas à s’en rendre compte. Ils tenaient potentiellement la vie de l’autre en main, ce qui ne laissait qu’une issue possible : tendre l’autre joue, prendre la voie adulte.
Alors finalement elle laisse tomber sa posture de défense ainsi que ses armes improvisées. « Une trêve hein…  J’avais pas l’intention de te tomber dessus en plein Olympia de toute façon, je suis pas folle. Écoute, on sera clairement jamais potes à partager une bière autour d’un feu, même dans l’ivresse la plus totale, mais pour toutes les fois où je serai dans la ville, on peut s’entendre sur le fait de s’ignorer royalement et tout devrait bien se passer, non ? »

Adam lut la réalisation sur le visage de Malini au même moment où celle-ci se frayait un chemin à travers son propre esprit, quelque chose qu’il n’aurait pourtant jamais envisagé de faire de son propre chef mais, hé… quand on en venait au moment où toutes les solutions étaient bonnes pour survivre… Voilà qu’ils se retrouvaient donc chacun avec entre les mains un moyen en or de faire plier l’autre. Un moyen de faire pression, ou de s’entraîner mutuellement vers le fond. Conclusion prévisible, l’indienne choisit de laisser de côté son attitude hostile, abandonna ses armes de fortune et il calqua son comportement, accord tacite. De deux clebs prêts à se défendre et se sauter à la gorge l’instant précédent, ils semblaient enfin s’ouvrir à la possibilité d’une conversation un peu plus ouverte, un peu plus posée. Un échange débarrassé de l’idée qu’une seule mauvaise réponse pouvait avoir des conséquences regrettables.
Un petit rictus marqué d’une ironie amusée se grava sur les traits de l’olympien alors qu’elle réfutait en bloc toute possibilité de camaraderie quelconque. Comme si cela aurait pu arriver, de toute manière… Enfin, oui, dans un passé reculé de quelques mois en arrière et avec des prises de décisions différentes, pourquoi pas. Maintenant ? Trop tard pour ça et Adam s’en fichait, tout comme elle certainement. « Une trêve, il confirma d’un léger hochement de la tête. C’est tout ce que je te demande. » Le reste lui importait peu, tout comme le jugement qu’elle pouvait bien porter sur sa vie passée, présente. Il n’avait pas besoin de trouver grâce à ses yeux après tout, juste s’assurer qu’il pouvait dormir sur ses deux oreilles – façon de parler, il y avait toujours d’autres raisons pour rester en alerte même la nuit et derrière des murs – et ne pas avoir besoin de regarder par dessus son épaule lorsqu’il sortait de la ville pour y trouver Malini prête à en découdre à l’abri des regards indiscrets. « Olympia est suffisamment grande pour qu’on n’ait pas besoin de s’y croiser. » Mais Adam n’avait pas l’intention de raser les murs ou se planquer dans le recoin d’une ruelle sombre si cela devait arriver. « J’ai pas l’intention de prétendre à un quelconque désir d’amitié hypocrite envers toi et j’en attend pas plus de ta part donc, il suffira de regarder ailleurs. » Ils n’avaient pas besoin de se fréquenter, pas besoin de se causer pour quoi que ce soit ; réfuter qu’ils se connaissaient était inutile mais, ils n’avaient qu’à faire en sorte que leurs chemins ne se recroisent pas à nouveau. « J’ai pas non plus l’intention de te causer d’autres problèmes, je veux seulement la même assurance de ta part. » Mais il l’avait déjà obtenue, d’une certaine manière, à partir du moment où elle avait accepté de se ranger à sa proposition de trêve. Puisqu’ils étaient chacun en possession d’une opportunité de causer du tort à l’autre, transformer Olympia en no man’s land semblait plus indiqué à n’importe quel esprit un tant soit peu raisonnable, plutôt que de s’enfermer dans un cercle vicieux.