La chasse c'est simple. C'est pas comme les raiders du camp, qui cherchent à fouiller les bagnoles, les maisons. Non la chasse permet de passer en furtif et d'apprendre à reconnaitre les passages, les sons de la forêt etc... Ce qui est chiant, c'est probablement la traversée des villes, pour rejoindre la forêt d'un côté et le camp de l'autre. Je vais encore passer par les Quarries ce soir, pas que je veuille encore discuter à cœur ouvert avec Arlo, mais parce que je me dis que ce fainéant, n'en a encore pas foutu une pour se trouver à manger. Et que même si je râle sévère depuis notre dernier coït sur fond de mélo bad trip, j'ai pas envie qu'il crève. Il fait encore nuit, le jour va se lever dans quelques heures, et je ramène avec moi de la viande... de la vraie, le genre qui pèse une tonne dans mon sac, et qui -si je n’avais pas trouvé de sac plastique- gouterait lamentablement le long de mon dos. J'ai dépecé un cerf de bien 150 kilos, et on dirait que j'ai tué plein de gens. Je suis couverte de sang, mes bras sont couverts de sang séché, j'ai des projections de sang sur le visage et le pantalon. Je donnerais tout pour une douche en cet instant. Je sens le métal du coup, cette odeur de sang étrange, qui attire pourtant les rôdeurs plus que de raison. J'en ai buté 4 pour faire la traversée de nuit, de la ville. Et j'ai foutu le feu à une poubelle, pour que les autres me lâchent.
Bref c'est avec un sac qui me scie les épaules, par son poids, que je saute par dessus la clôture, et j'arrive au début du cimetière à voitures. C'est désolant cette étendue de voitures abandonnées. Avant, j'aimais regarder les photos prises sur des lieux abandonnées, que la végétation avait partiellement recouvert, maintenant, ça me fait un peu moins rêver. Je me voyais mal rapporter la carcasse de ma proie en entier, j'ai du prendre le bide, le cou, et le cœur, et laisser le reste. ça fait quand même bien 30 kilos de barbac que je porte sur mon dos. Je suis crevée, et j'ai faim moi aussi du coup. Je marche entre les voitures, en évitant de me prendre les rétroviseurs au passage, je vois assez bien, malgré la nuit encore présente. Un moment je m'arrête, je m'appuie sur la carcasse d'une bagnole, et je reprends mon souffle. C'est trop lourd putain, je dois peser 50 kilos ces temps ci, et porter les 3/4 de mon propre poids, c'est compliqué. Je m'assieds sur l'avant d'une caisse, et pose un instant mon sac à dos dessus. Il me faut quelques minutes, c'est ça le désavantage de chasser seule... on peut pas ramener autant qu'on voudrait, et on s'épuise vite.
C’est le genre de décision que personne ne devrait prendre, le genre de décision que Gauge ne supporte pas. C’est le pire des choix cornéliens. Le garçon résiste encore un petit moment mais constate que ça ne peut pas durer ainsi : il finit par décider de se lever et d’aller pisser. Voilà, maintenant, lorsqu’il retournerait dans son lit de fortune, les couvertures seraient froides. Jusqu’à présent, il pissait dans une bouteille, ce qui lui permettait de pisser tout en restant au lit, un stratagème fabuleux. Mais une nuit qu’il avait soif, il s’était trompé de bouteille et avait arrêté ce petit système. Dehors, l’aube commence à pointer son nez. Il ne fait ni froid, ni vraiment chaud, mais Gauge tremble en arrosant la boue. À peine a-t-il le temps de remonter son futal qu’il entend des pas derrière lui. Il pense tout de suite au pire, comme tout le monde, c’est ce qui permet de survivre. Puis sa conscience lui dit « nan, il y a des gens qui surveillent les entrées, ça peut pas en être un… »
Il sursaute lorsqu’il aperçoit la femme qu’il a en face d’elle. « Jesus Chirst ... » souffle-t-il. L’épuisement c’était une chose, mais alors la gueule en sang c’était absolument terrifiant. Un rapide coup d’œil lui permet de voir que ce n’est pas le sien. « Super look ! » dit Gauge en se rendant compte que sa fermeture éclair n’est pas totalement remontée. Ça y est, il la reconnait : c’est cette fille qui vient voir Arlo de temps en temps. Il a oublié son prénom, mais il sait que parfois, elle lui amène de la nourriture et des câlins, un truc dans le genre d’après Arlo. Et là, il fait le rapprochement : elle transporte de la viande ! De la vraie nourriture ! Pas des trucs en conserve ou des chips molles provenant d’un distributeur à la con ! Ça fait très longtemps que Gauge a pu manger un bout de bidoche. Si seulement il trouvait un jour la motivation pour aller chasser, ça serait formidable. Peut-être qu’Arlo accepterait de l’accompagner pour une fois, peut-être qu’il arriverait à le faire bouger d’ici, en lui disant d’aller prendre des notes sur son carnet, des notes sur la forêt, sur les champignons, ça serait bien, ça les occuperait au moins toute une après-midi. Arlo doit dormir encore, il ne sait même pas que sa copine est là. De toute façon, il ne va pas tout manger tout seul hein ? Autant saisir le gibier et peut-être même s’arranger pour en vendre un peu hein ? « Oh ! J’te reconnais toi ! Tu es … Il claque des doigts en la montrant, il ne connait plus son prénom. Bref ! Arlo m’a dit de récupérer la bidoche, pose-la ici, je vais m’en occuper ! Allez, bonne journée, rentre bien chez toi ! » Gauge rigole doucement par convention mais la fille reste parfaitement immobile et n’a pas l’air du tout de vouloir laisser son trophée de chasse au garçon.
Je sursaute quand je vois le grand con en face de moi. Okay. Gauge. C'est quoi ce prénom à coucher dehors encore? Il était quoi avant la fin du monde, garçon au pair, venant de Bolivie? Il semble remarquer le sang sur moi, et il a eut un mouvement de recul. "C'est pas le mien, c'est celui du cerf." Dis-je d'une voix monocorde, pas le moins du monde, un peu teintée d'humanité. Non, ça fatigue trop aussi. Il cherche à me donner mon identité, mais clairement, ça n'a pas l'air de se connecter là haut. "Eliza... Ouais c'est moi." Bref, j'ai pas envie de discuter, j'ai envie d'aller me piauter, et de donner la barbac aux miners, et peut être un peu à Arlo, pour pas qu'il crève la dalle, comme un con. Il tente la diversion ultime, le genre serviable et cool... Je souris malgré ma fatigue et mon ras le bol de tout. Je souris, parce qu'il est con mais il est drôle.
"Mouais... genre... c'est pas pour Arlo... c'est pour les miners ces 30 kilos de barbac... donc je passe sur la proposition. T'sais Arlo c'est un fainéant, je lui apporte de la bouffe parce que je pense qu'il préférerait se laisser crever de faim que de bouger son cul..." Lui dis-je mais en fait, qu'est ce que j'en ai à carrer, de ce qu'il peut penser en fait. "Des fois, je me demande comment t'as pu t'en sortir aussi... Avec tes airs de grand couillon..." Lâchais-je alors, en souriant en coin. Je suis toujours le cul et le sac posé sur la bagnole, je sais qu'il va falloir que je me remette en marche. "T'étais quoi avant tout ça? " La question se pose là, pas par méchanceté, mais pour une fois, par gentillesse presque. Putain, je suis en train de m'intéresser à quelqu'un d'autre, ça fait chier, ce sera des emmerdes à venir certainement. Je vais en faire quoi des deux meilleurs potes, incapables de se servir de leurs 10 doigts? Je vais en faire un élevage?
Je fouille la poche de ma chemise nouée autour de la taille et j'en sors une clope, que j'allume avec un vieux zippo rouillé trouvé dans une caisse alentours. Il faudrait me bouger, sortir de la zone cimetière, rejoindre le camp, mais à la place, je m'installe un peu mieux sur le capot de la bagnole, je me pose prête à vraiment discuter.
Gauge admirait beaucoup Arlo dans sa capacité à supporter Eliza. C’était quand même un sacré bout de femme au caractère bien trempé qui lui rappelait Lilly sa voisine. Au moins lui il avait une nana avec qui passer du temps ! Faudrait qu’un jour, Gauge s’en trouve une aussi, mais pas comme celle-là. Elle l’aide à retrouver son prénom parce que oui, elle, elle connait son prénom et c’est quand même vachement pratique. Eliza. Il va falloir trouver un moyen de s’en souvenir parce qu’autrement ça ne va pas rester. Sauf si ce soir permet de tout changer et que son prénom et sa personne se gravent dans sa mémoire de poisson rouge. Elle lâche pas son gibier parce que c’est pas pour Arlo. Pas tout, en tout cas. Elle parle beaucoup et Gauge écoute peu. La remarque sur Arlo l’intrigue plus qu’autre chose, parce lui-même se demande s’il pourrait se laisser mourir de faim. « Ouais, ouais, j’savais bien que c’était pas pour lui… » dit-il en se grattant nerveusement l’arrière du crâne car, en réalité, il ne savait pas. Il pensait réellement qu’Eliza allait déposer des jours de bouffe juste pour une personne.
Gauge détecta une attaque à l’encontre de sa personne : il avait ce talent–là. Selon cette fille, Gauge avait des airs de grand couillon. Il fronça les sourcils et voulut protester en levant le petit doigt afin de se défendre mais elle était déjà passé à une question toute simple qui le laissa immobile et sans voix, le temps pour son cerveau de passer d’une émotion à l’autre. « Euh… » fit-il toujours avec le doigt en l’air. Il regardait autour de lui en cherchant quelque chose qu’il ne trouva pas. Il était évident qu’Eliza s’était posée là le temps de papoter alors qu’à la base, Gauge voulait juste lui soutirer un peu de viande. « Je… J’étais employé de bureau dans une entreprise de jardinage dans le Tennessee… Pourquoi tu veux savoir ça ? » Alors à son tour, Gauge s’assit et observa la fille fumer. Il se frottait les mains en souriant et en écartant les yeux : il sentait que c’est à son tour de parler. Il prit un instant pour réfléchir parce qu’il se demandait bien ce qu’il allait pouvoir lui dire. Et puis soudain, cela tombait comme une évidence. Il tapa des mains pour montrer sa satisfaction. « Et toi ? Tu faisais quoi ? » Ça c’était de la réponse ! Gauge était fier. Pendant ce temps-là, il n’oubliait pas le cerf, qu’il désigna d’un regard discret. « Mais sinon, je peux quand même prendre la part d’Arlo hein, t’as pas besoin de le réveiller comme ça ! Tu sais que parfois, il fait ce truc bizarre en dormant ? Ah oui tu dois savoir puisque tu… vous… Enfin voilà quoi. »
Sa réponse me fait sourire plus grand. Bah voilà, un bureaucrate, du coup qui imagine que je vais lâcher 3. kilos de barbac juste pour ses beaux yeux ? Ou alors parce qu'il va invoquer le prénom d'Arlo plus de 4 fois dans son laïus ? Que pense t-il au juste ? Que je suis amoureuse ? Que je suis sa copine ? Il se trompe, si j'ai des sentiments pour lui, ça se limite à des sentiments amicaux, voir fraternels, quelque chose comme ça. Le sexe, c'est juste un moyen d'oublier. La question tombe, des mécanismes humains lambda, de communication primaire presque, un peu surréaliste de parler de ça, au milieu de tout ça, mais j'en ai vu d'autres, des gens bizarres. "J'étais marcheuse de rêve... j'aidais des familles vénézuéliennes, mexicaines et autres, à passer la frontière mexicaine, et à trouver une vie sur le sol américain."
Ouais dis comme ça, ça fait bizarre aussi, parce que du haut de mes 50 kilos toute mouillée, j'ai pas l'air d'être très fortiche, parce qu'avec ma gueule de six pied de long, j'ai pas l'air bien humaine non plus. Mais ouais, c'était notre business avec Ryan, c'était comme ça qu'on gagnait notre vie, qu'on aidait notre prochain, et on était bons. Ou du moins bons, avant que le cartel du coin se braque contre nous. Il revient à la charge sur la viande. "Bon, craches le morceau avec honnêteté Gauge, on va pas tourner autour du pot, comme des pucelles leur jour de bal de promo. T'as faim? Tu veux bouffer?" Bien sûr que je connais la réponse, mais j'aime pas qu'on me prenne pour une conne. "Concrètement tu sais te servir d'un doigt sur deux? Qu'est ce que tu sais faire pour survivre?" Je prenais la tactique numéro 2, j'avais besoin de quelqu'un pour m'aider à porter ce sac, j'en avais plein le cul de rester seule à chasser ces temps ci, du coup fallait trouver un terrain d'entente. Ou du moins tenter, parce que j'étais pas certaine que de l'emmener là bas, avec moi, c'était une bonne idée, le genre épiphanique surtout.
"Je te propose de m'aider à porter le sac jusqu'à l'entrée des miners, et je te file de la barbac, tu pourras tenir 2 jours. Et après, tu viens avec moi, je t'apprends à chasser, à poser des pièges au besoin, et p'têtre qu'on chassera même ensemble après?" Je finis de fumer ma clope tranquillement, et j'attends qu'il ne me donne sa réponse. C'est une proposition honnête, et au vu de son gabarit, de ses épaules larges et de ses bras pas trop crevettes, c'est plus un atout, qu'un poids. J'irais pas proposer ça à Arlo, c'est un stylo bic avec des cheveux.
Le garçon trouvait étrange comment soudainement, Eliza pouvait devenir docile. Autant à certains moments, il avait envie de d’enfuir en courant en se bouchant les oreilles, autant des fois il appréciait être là dehors avec elle, à parler de tout et de rien tandis que le nuit devenait peu à peu moins profonde et mystérieuse. Eliza aussi devenait moins mystérieuse, elle lui révéla une partie de son passé. Pour Gauge, ça ne ressemblait pas à un vrai métier mais il se résigna à lui faire part de son point de vue. Elle faisait parfois penser à une diablesse, mais sa part d’humanité ressurgissait avec un altruisme sincère que Gauge ne parvenait pas à expliquer. « Oh j’ai connu deux mexicains, Eduardo, et sa sœur Violeta, ils étaient sympas. C’est marrant, quand … Après l’épidémie, ils ont voulu retraverser la frontière, leur plan c’était de retourner au Mexique, ils pensaient qu’il y avait une chance pour que tout soit encore normal là-bas. Ça fait des années que je ne les ai pas vus maintenant… » Ça lui faisait bizarre de reparler de son ancien groupe. La moindre petite nouvelle lui ferait du bien.
Le sujet principal, le gibier, refit son apparition. Même Gauge avait peu à peu oublié pourquoi il avait commencé cette conversation. La fille n’était pas dupe, de toute façon, Gauge savait qu’il s’attaquait à du lourd, il savait qu’Eliza allait gagner le combat. Il soupira longuement, déçu de ne pas avoir réussi à tout prendre. « Non pas du tout je … Bon si, c’est bien ça : j’en ai marre de manger des conserves d’ananas et de … Comment ça des pucelles ! Oh ça y est ! J’ai compris l’analogie ! » dit-il en tapant du doigt sur sa tête et en acquiesçant. » Elle enchaina rapidement en lui demandant ce qu’il savait faire pour survivre. Il prit une pose héroïque et parlait fièrement : « Ce que je sais faire ? Ah ! Alors là, je peux te dire que… Je peux faire plein de choses ! Je le fais pas souvent parce que… J’ai mes raisons, mais je suis utile ! » Il ne comprit pas tout de suite où Eliza voulait l’emmener. Mais rapidement, elle lui dévoila son plan et le rôle qu’allait avoir Gauge. Il afficha un regard inquiet lorsqu’elle lui demanda de l’aider à porter le sac. Le deal était tentant, mais il fallait un effort, et la simple pensée de porter quelque chose de lourd le décourageait. La suite sur les parties de chasse ne l’intéressait guère, il n’entendait que sa récompense en moreau de viande. « Et ça sera ma part pour moi ? Pas pour… Hein ? De toute façon, tu sais quoi ? Je crois qu’il m’a parlé d’un régime, moins de cholestérol dans le sang… Et… » Il se tut parce qu’il savait bien qu’inventer des histoires ne marchait pas sur elle. Gauge se gratta la joue en plissant des yeux : il réfléchissait. « Ok j’accepte de t’aider… Euh je… On verra pour la chasse ! C’est gentil ! » Il n’avait absolument pas l’intention d’aller chasser un jour avec Eliza, mais il avait préféré rester flou pour ne pas la contrarier. En vrai, si après avoir récupéré sa viande il pouvait ne plus jamais la revoir, ça l’arrangeait. « On y va ? » dit-il après avoir fait quelques étirements ?
Je souris à ce qu'il évoque, les gens qui ont du passer de l'autre côté, parce que ouais, j'y ai souvent pensé, et c'est plutôt comique. Toute ma vie, j'ai fait l'inverse, pour contrer un système arbitraire et terriblement peu humaniste et BIM une apocalypse et toutes les règles changent. C'est pas le tout de tailler la bavette avec Gaugy, mais il fallait s'y remettre, la viande allait croupir dans le plastique, c'était le moment de la faire fumer et/ou cuire pour la garder plus longtemps. Du coup je tente de noyer sa propre noyade, et là... je me rends compte qu'il n'y a peut être pas de cerveau dans le crâne de Gaugy, putain, mais il a peut être survécu, parce que contrairement à nous autres, lui n'était pas suivit par des zombies qui voulaient bouffer son cerveau. Le genre immunité totale les gars, regardez ça existe, en fait faut juste être con. Sa réponse sur son savoir faire, me laisse pantoise d'admiration, il lui faudrait une hymne, l'hymne pour les gros nazes, un truc du genre. Une chanson, qui l'aiderait dans l'expansion de sa stupidité crasse, je sais pas, il est, mine de rien, admirable. Comme quoi, tanké physiquement, veut pas nécessairement dire pourvu d'un cerveau. Mouais. Bref.
"Tu me vends du rêve... c'est fou." Dis-je pour toutes réponses. Mais la proposition a l'air de titiller ses deux neurones encore en vie. "Jardinage... comme trafiquant de marijuana? Non parce que je me demande si vous êtes très nombreux encore là haut... ceci expliquerait cela." Et ça continue, il me fait l'apologie d'un fake régime d'Arlo... putain, il est mythomane compulsif aussi? Le truc de fou, les scientifiques encore en vie, devraient vraiment se pencher sur ce qu'il y a sous son crâne. "Oui ce serait ta part, Arlo il va se foutre." Lâchais-je un peu agacée. En fait, ça n'arrangeait pas les choses d'avoir croisé mon ex, que je croyais mort depuis belle lurette, en pleine forêt, et qu'on ait essayé de s'entre tuer. Il accepte, on se met en chemin, il tient une anse du sac et moi l'autre, c'est costaud comme charge, je m'en rends encore plus compte lorsqu'il est porté à moitié par quelqu'un d'autre. Il a faillit me faire rire de bon cœur après ses étirements, putain mais c'est qui ce type sérieux?! Il est tellement bizarre, tellement pas connecté à la réalité j'ai l'impression. On traverse le camp vers les miners, et c'est laborieux un peu, j'ai le vague sentiment qu'il va tomber dans les pommes suite à l'effort. "Putain mais t'es pire qu'une nana prépubère?! Faut s'en servir de ses bras et de ses épaules, à faire autre chose qu'à te branler!" Lui dis-je en posant le sac par terre. J'ouvris le dessus du sac, pour en sortir un petit sac plastique, contenant un morceau qu'il n'arrivera pas de suite à identifier.
"Bon, je viens te chercher dans deux jours, reposes toi Gaugy, j'ai l'impression que tu vas nous faire une crise d'hypoglycémie. Et ça c'est ton morceau... Une bonne action pour une récompense" J'avais dit ça presque en faisant de l'humour. Il a eu bon cœur, du coup je lui file le cœur de la bestiole. Je pense qu'il va tourner de l’œil en voyant le palpitant, et ça me fait bien marrer d'avance. Je lui tapote l'épaule et je file entre les gardes miners pour rejoindre le camp. Je donne tout ça, aux cuistots qui sont à la limite de m'embrasser et de me serrer dans leurs bras. Ouais... à la limite, parce que y'a ma gueule pas commode sur le chemin. Ils se ravisent et je les informe que je vais me prendre un semblant de douche.
L’ambiance à la mine devait être sympa. Et puis quand Eliza arrivait, tout devait s’arrêter. C’est ce que pensait Gauge, incapable de se défendre face à cette femme mordante qu’il pensait pourtant berner si facilement tantôt : il ne refera plus la même erreur. Et il ira féliciter Arlo, parce que franchement, il le méritait. « Merci ! » répondit-il, parce qu’il ne savait pas encore si elle se moquait ou pas. La confirmation arriva juste après. « Rhooo nan ! J’ai jamais touché à ça. Je peux t’assurer que tout fonctionne très bien. C’est juste toi qui me comprends pas. Fait la queue comme tout le monde ! » Bonne chance pour comprendre la cervelle de Gauge. Sa remarque sur Arlo lui fit arquer un sourcil de surprise. Dès lors, les théories étaient nombreuses mais le garçon pensa d’abord à une dispute récente ou quelque chose du genre. D’un naturel curieux, il aurait aimé en savoir plus, mais il préférait désormais limiter les échanges avec Eliza.
Sur le trajet, quelques rayons de soleil se pointèrent. Gauge sourit car il aimait beaucoup les levers de soleil. En revanche, il aimait moins porter des choses lourdes et ça finissait par se voir. Ah, du temps où il vivait dans sa grange, il était en pleine forme : il n’avait pas le choix de toute façon, c’était nécessaire pour survivre. Mais depuis qu’il s’était installé dans la carrière, il s’était quelque peu ramolli. « Ouais, je … » Il a du mal à articuler car il est essoufflé. « Pfiou… Ça faisait longtemps que… Aaaah, je suis plus habitué, tout simplement. » Il voulut protester en disant qu’il ne se branlait pas si régulièrement que ça mais se disait que ça pouvait être mal interprété. Il fut soulagé de voir l’entrée de la mine, il fit un petit coucou aux gardes qui l’ignorèrent. Déçu, il baissa la tête et les bras. Eliza semblait vraiment déterminée à le faire chasser. Lui n’en avait toujours pas envie. Il avait toujours préféré pêcher que chasser, c’était moins fatiguant. À la limite, si elle lui apprenait à fabriquer un piège, quelque chose où il n’est pas nécessaire de courir, pourquoi pas, mais vu qu’il s’agissait d’Eliza, il y avait peu de chance pour que ça soit une activité calme.
Ses yeux brillèrent lorsqu’il reçut sa récompense. Enfin ! Il pouvait finalement rentrer chez lui et oublier cette étrange rencontre. Il pensait très sincèrement ne plus jamais revoir ou même parler à cette fille. « Merci ! Tu n’es pas si mauvaise après tout ! » déclara-t-il de manière tout à fait spontanée. Alors qu’elle s’engouffrait dans la mine, Gauge retourna sur ses pas en souriant. Dans son camping-car, il tomba à la renverse lorsqu’il découvrit le contenu de son paquet surprise. Elle s’était moquée de lui ! La garce ! Il finit par jeter l’organe par la fenêtre en criant de manière incompréhensible. Tant pis pour les voisins. Il s’ouvrit une boite d’ananas en espérant qu’elle avait aussi menti sur le fait qu’elle reviendrait le voir d’ici deux jours.
On a bien bouffé, pendant deux jours, les miners ont bien bouffer, y'a même un gosse qui est venu m'apporter des fleurs, je suis restée con, j'ai pas sourit, mais j'ai hoché la tête. Ouais, je suis une bonne âme parfois, le reste du temps, je suis une connasse. Je pousse un soupir, me fout la tête sous l'eau, j'attends quelques secondes comme ça, dans le sceau, et je ressors. Mes cheveux sont trempés et gouttent sur mon débardeur blanc, révélant ma lingerie au travers. ça aurait été sexy, si j'avais pas perdu quasiment tous mes boobs dans la survie, et si on était pas dans les latrines, des mines... Ouais ça aurait pu être sexy. J'enfile ma parka fourrée, trouvée presque intacte sur un macchabée, et je compte mes flèches. Je prends de la corde, un couteau de chasse, quelques clopes qu'on m'a roulé et offerte, je prends une lampe de poche en vérifiant qu'elle marche encore. Je fourre le tout dans mon sac, je vérifie avoir encore du fil de fer, du nylon, ce genre de choses pour poser des pièges à lapin à et à petit gibier. Je prends mon arbalète, et un arc de débutant, mon premier arc. Je récupère en passant devant la cantine, un tupperware de soupe avec un restaillon de viande. Je pense que si il est pas con, il aura mangé le cœur braisé sur feu, j'espère qu'il l'a fait. C'était dégueu ouais, mais ça se bouffe très bien. On fait pas la fine bouche, quand on survit, on bouffe c'est tout. C'est comme ça que j'ai mangé du rat, du chat même et la tête d'un sanglier.
Je travers la mine, direction les écoutilles qui donnent sur quarries. Un salut aux gardes, qui me souhaitent bonne chance, va m'en falloir avec le grand couillon. Je suis pas certaine qu'il soit vraiment débrouillard, m'enfin on va tabler sur l'espoir, et au pire il finira comme encas aux rôdeurs. Je vais jusqu'à sa caravane, en évitant de croiser Arlo, j'ai pas envie de lui parler, pas envie qu'il me fasse chier. J'aurais pu toquer à la porte, mais c'est pas mon genre, j'attrape dans ma poche, un vieux réveil que j'ai trouvé, et je note qu'il est allongé sur son lit, il a l'air de dormir, ou de cuver, l'un ou l'autre. Je me penche doucement au dessus de lui, et lui colle le réveil sous le nez. 10...9....8....7... etc... ça sonne à toute berzingue dans ses écoutilles, et je recule pour éviter de me prendre sa tête, sa main, on pied ou autre dans la gueule. "Monsieur le roi des mouches, on se lève, c'est l'heure d'aller chercher à bouffer..." Je marche dans sa caravane, c'est pas dégueu. "Sympa où tu crèches... je penche donc pour dealer de teuch avant tout ça... ou alors producteur de méth..." Dis-je en touchant le tour d'un verre. "Bon, allez lève toi, fringues toi, on va pas se balader en amoureux, on va aller faire de toi un homme Gaugy."
Les deux jours suivant s’étaient déroulés dans le calme, sans embuches, sans Eliza, sans Leigh, sans ces femmes au caractère bien trempé qui se faisaient une joie faire tourner en bourrique le garçon. Pendant un certain, il avait songé à planifier une vengeance contre Eliza. Mais plus il cherchait, plus il se rendait compte que ça ne correspondait pas à son caractère, et surtout qu’en réalité, Eliza lui avait donné une bonne leçon. Oh, jamais il ne le dirait et l’admettrait à haute voix, mais après tout, tout ça, c’était de sa faute. Il avait commencé par vouloir dérober le trophée de chasse d’Eliza en lui mentant. Il avait voulu quelque chose facilement et Eliza voulait lui apprendre à l’obtenir honnêtement. Alors, il avait laissé tomber l’idée de se venger. Plongé dans la pénombre, il se réveillait d’un rêve bizarre. Il réalisa soudainement que c’était aujourd’hui qu’Eliza devait repasser. À quelle heure fallait-il chasser ? Très tôt ? Très tard ? De toute façon, Gauge ne distinguait pas le moment de la journée, si c’était le matin ou le soir. Dans tous les cas, elle allait probablement oublier de venir le chercher, alors le garçon se rendormit.
Pas pour longtemps. Le réveil fut brutal, justement à cause d’un réveil : l’objet du démon ! Il se revoyait avant l’épidémie, massacrant son réveil dès la première sonnerie. Vite, la chemise, vite la cravate. Vite, le bureau. Mais c’était trop tard, il arrivait toujours en retard, avec la marque de l’oreiller sur le visage et la cravate à l’envers. « Oh, super. Un cauchemar en vrai… » dit-il alors qu’il constatait qu’Eliza faisait la visite de son petit refuge. Il ne comprit pas où elle voulait en venir en lui faisant part de ses théories quant à son ancien métier, il lui fallut un certain temps pour comprendre qu’elle reprenait la conversation d’il y a deux jours. Bon, elle avait pas oublié la chasse. Évidemment, c’était Eliza dont on parlait. Il se mit à bailler et hésitait à lui demander l’heure. Depuis quand elle était réveillée elle ? Elle bougeait dans tous les sens, c’était fatiguant à suivre. Et son attirail ! Elle partait à la guerre ou quoi ? D’après elle, il s’agissait de faire de Gauge un homme. Il savait bien que c’était juste une manière de parler, mais ça l’agaçait quand même que l’on remette en cause sa masculinité. « Ok j’arrive mais d’abord… Je veux des excuses. Je l’ai bien mérité, certes. Mais je veux des excuses quand même. Tiens regarde moi aussi je m’excuse : je m’excuse de t’avoir menti pour te piquer la bouffe. » Tête dans le cul, Gauge était suffisamment lucide pour être sérieux dans ce qu’il souhaitait, ça se voyait dans son regard. C’était quelque chose de très important pour lui, c’était comme un pacte qui servait à oublier tout ce qui s’était passé il y a deux jours et qui permettait de se faire confiance pour la suite des évènements. Si suite il y avait…
Il est pas content, il aurait préféré le baiser de la princesse à son prince surement. Mais j'ai peur qu'avec mon haleine de chien mort, je le le tue dans le processus. Ouais l'hygiène n'est plus ce qu'elle était... je vole des chewing-gum, du dentifrice quand j'en trouve, mais la brosse à dent, ça se fait rare depuis quelques mois déjà! C'est fou, plus le temps passe et plus des trucs qu'on produisait avant, nous manquent! Bref, c'est pas le sujet. Il se lève, il est ronchon, il a peut être ses règles... ouais les tampons, ça se fait rare aussi, et ça manque bien mine de rien, parce que la couche de langes , sérieux c'est pas pratique du tout! Et comme une conne, moi je me suis pas faite poser un implant avant la pandémie, du coup j'ai rien qui régule... bref c'est la merde, pour tout le monde, même pour Gaugy.
Sa tirade me laisse pantoise, j'avoue que je m'étais attendue à tout, sauf à ça. Il s'excuse et attend des excuses. J'hausse les sourcils, grimace, je sais pas trop quoi dire. "M'excuser pour...quoi?" Lui dis-je alors. Je lui avais filer de la barbaque, un morceau de choix, le top de la protéine animale, tout gorgée de sang. Qu'il n'aime pas, je m'en cogne, je suis pas bobonne, c'est pas moi, qui vais lui prémâcher les morceaux de viande qu'il n'aime pas. "C'était de la viande, le cœur c'est la vie... tu connais pas l'adage! Un cœur braisé avec du whisky ça se mange parfaitement... du coup t'en as fait quoi?!" Je vais m'étouffer quand il parle de l'avoir jeté. Putain le connard finit. C'est pire que tout, j'aimerais qu'il soit attaqué en cet instant précis, et j'arrive presque à visualiser quelques zombies, qui lui arracheraient vêtements et peau avec... Ouais non, on va pas en arriver là quand même.
"Gaugy, c'était pas le steak que tu attendais certes, mais c'était de la viande, j'aurais faire pire et te refiler les pattes du cerf! Mais t'es juste un putain d'ingrat, mes excuses tu te les fous dans le colon, et tu enfonces bien profond surtout." Je m'emporte un peu j'avoue, et je vais pour m'élancer vers lui, mais je me ravise, il en vaut pas la peine, c'est un gros nul de plus. Je sors, je claque la porte de sa caravane pourrie et je reste là, debout, à regarder dehors. Sans bouger. J'ai envie de baiser, un truc de fou furieux, mais je suis pas certaine qu'Arlo serait disponible, alors que ça fait quelques jours déjà qu'on s'est pas revu. Je me mordille la lèvre inférieure, j'ai les lèvres gercées... encore merde. Finalement, je fais un pas, puis deux, bien décidée à me tirer de là et loin... et en fait, un truc m'arrête, pas cette pernicieuse envie de baiser, non... autre chose. ça me fait chier, je contracte les mâchoires, et finalement je fais demi tour, j'ouvre la porte de la caravane, si elle avait été fermée, je l'aurais défoncé pour sur.
"Je suis pas commode, je suis pas ta pote, je suis pas la petite copine d'Arlo, je suis pas une garce, je suis pas une pute non plus. Tous les jours, je nourris le camp des miners avec ma chasse, et toutes les nuits je suis toute seule pour le faire, parce que tous les autres se chient dessus d'être dehors, ou d'être avec moi. Mais je sais qui je suis, j'ai toujours sauvé les gens, je les aies toujours aidé, et moi... personne ne m'aide jamais... T'entends Gaugy, personne ne m'aide jamais. et la survie c'est de la merde, ne pas savoir si on va rentrer en vie, ne pas savoir si les autres se souviendront de nous, ou autre, la survie je l'ai jamais demandé... Mais elle est là, et si tu veux apprendre, je suis disposée à..." Je fouille dans mon sac à dos et j'en ressors un tupperware de bouillon de viande et navet, que j'ai prit chez les miners. "tiens. Ne t'avises pas de me demander des excuses Gauge, ni de m'insulter."
Même s’il faisait tout pour éviter de se faire crier dessus, il sentait venir la réprimande d’ici peu. Il avait été habitué au bureau, il savait quand l’orage allait arriver. De toute façon, il avait l’impression que vouloir raisonner avec Eliza, c’était comme vouloir dompter un dragon : ça semblait difficilement réalisable. Ça ne serait qu’un mauvais moment à passer, il ne risquerait pas de se faire renvoyer comme avant l’épidémie. Est-ce qu’elle le pourrait le tuer par contre ? Il comprit assez rapidement qu’elle n’avait pas l’intention de s’excuser, il n’était pas réellement surpris. « Manger des organes, comme les infectés ! Je veux garder ma part d’humanité ! On mange pas les organes nous ! Euh, je l’ai jeté… » Oui il l’avait jeté par la fenêtre, mais il s’était dit que ça finirait pas gêner les voisins. Recouvert de poussière, il était parti chercher l’organe et le déposer dans son coffre-fort, un peu comme un trophée.
Ça y est, ça arrive, les insultes sont là aussi. Elles vont souvent de pair avec les remontrances, et puis de toute façon, elles sont légion dans la bouche d’Eliza. Dans ces moments-là, Gauge restait immobile. Il s’attachait à un mat invisible, affrontant la tempête de face le tout sans rien dire, ça ne ferait qu’aggraver les choses. Il comprenait parfaitement pourquoi Eliza lui en voulait mais il ne regrettait pas son choix pour autant, celui de ne pas manger d’organes. Il arrivera peut-être un jour où il ne restera plus que ça à manger, alors à ce moment-là et seulement à ce moment-là, Gauge se ravisera. « Quelqu’un a dû t'le bouffer ton cœur à toi, tiens… » dit Gauge peiné sans même le regretter. Elle s’approche de lui, il ne se braque pas, il ferme juste les yeux et s’apprête à recevoir un coup. Elle change d’avis au dernier moment et elle sort. C’est déjà fini ? Gauge n’y croit pas trop. Il reste en caleçon au beau milieu de son camping-car sans savoir s’il faut se recoucher, aller chercher Eliza ou ne rien faire.
Eliza décide pour lui, elle revient à la charge avec une longue tirade, celle qui va asséner le coup de grâce. Bien sûr, tout ce qu’elle dit est vrai et fait de la peine à Gauge, mais il reconnaissait tout de même que son caractère bien particulier n’arrangeait pas les choses. Et il comprit qu’il pouvait un jour avoir un échange : si Eliza pouvait l’aider à être plus débrouillard en lui apprenant notamment à chasser, Gauge en revanche, sentait qu’il avait les capacités pour aider Eliza à devenir plus empathique. Il avait de la patience à revendre, et l’envie de rendre les gens heureux était définitivement quelque chose qui l’animait. Ça serait pas pour aujourd’hui, la chasse venait d’être annulée. Il faudrait laisser couler tout ça et recommencer plus tard, en partant sur de meilleures bases. Avant qu’elle ne disparaisse de nouveau, Gauge accepta l’offrande d’Eliza et ne sut trop comment réagir. « Merci Eliza. Au revoir. » Il lui restait énormément de choses à apprendre sur cette fille s’il voulait parvenir un jour à s’entendre avec.