stratégie de l'inespoir

♔ Dax & Archibald

« stratégie de l'inespoir

(février 2014)

Désert. Pas un rat. Le village était mort, et morts les habitants, mais partis ailleurs, attirés sans doute par une agglomération plus importante ou quelque signe de vie extérieur. Une semaine qu’ils étaient ici, ou quelque chose dans le genre, la notion du temps était plutôt évasive quand la faim étirait les heures à l’infini dans l’attente d’un repas prochain qui tardait à venir. Depuis l’éclatement de leur dernier groupe, éparpillés par une horde qui en avait recruté certains bon gré mal gré, la chance n’avait pas été de leur côté, la survie s’était faite féroce, capricieuse, alors que leurs tentatives de chasse se révélaient infructueuses pour la plupart et que leur asile temporaire ne recelait pratiquement aucune denrée qui soit encore consommable. C’était un peu une loterie à chaque fois qu’ils forçaient la porte d’une maison, d’un appartement : rôdeur enfermé, conserves… ou rien, juste de la poussière et des reflets d’une vie passée. Bientôt, il leur faudrait partir, trouver un campement qui voudrait bien d’eux ou une place potentiellement plus riche, mais l’hiver était froid, la faiblesse et la fatigue ne les lâchait guère et c’était un cercle vicieux, du genre qui les tirerait jusqu’au fond s’ils ne trouvaient pas une solution susceptible de faire dérailler cette mauvaise routine.

Archibald observait l’homme depuis suffisamment longtemps pour avoir tiré plusieurs conclusions : d’abord, il faisait cavalier seul. Il n’y avait personne d’autre dans les environs, hormis bien sûr Octavie mais elle ne comptait pas puisqu’elle ne représentait pas un danger pour lui.
Ensuite, il semblait bien équipé. Bien portant aussi : à l’inverse de leur duo improbable, l’inconnu ne devait pas être une âme errante sur les routes. Mais ce qui le faisait loucher, c’était le sac qu’il portait, un sac dont il l’avait déjà vu extirper un encas et qui, peut-être, en contenait d’autre. Aveuglé par la faim qui tiraillait sans relâche son estomac, il éprouvait la plus grande difficulté à se concentrer sur autre chose que ça. Le besoin vital de manger avait pris le pas sur le reste et, lorsqu’il se décida à finalement de sortir de sa planque, il n’avait que ça à l’esprit. « Tu t’es perdu ? Tu trouveras rien d’intéressant dans ce patelin. » Face à la méfiance légitime de l’individu qu’il venait d’aborder d’une voix soigneusement gardée neutre, il écarta ses mains, paumes ouvertes afin de montrer qu’il n’avait rien et pas la moindre intention d’attaquer, tout en maintenant une distance de précaution (l’autre pouvait très bien réagir par l'hostilité et il voulait avoir le temps de voir venir si ce devait être le cas). Ses armes, quoique visibles, étaient bien rangées dans leurs étuis de fortune et pas la moindre menace ne se lisait sur son visage émacié : Archibald tentait l’approche affable, conscient du fait que l’étranger était plus grand, sans doute plus fort et clairement en meilleure forme que lui. Dans un combat à la loyale, il n’avait pas la moindre chance, mais s’il lui était possible de l’amadouer alors une opportunité s'offrirait sans doute.

♔ Dax & Archibald

« stratégie de l'inespoir

Ouais, c’est ça, bonjour. Il rétorqua d’un petit geste de la main en guise de salut, laissant un sourire amusé étirer ses lèvres alors qu’il constatait après coup la surprise visible qu’il avait infligé à l’inconnu en se manifestant sans crier gare. « Gentil ? » Il eut un petit rire. « Non pas vraiment. Je te dis ça parce que le coin, je l’ai passé au peigne fin déjà. S’il y avait quelque chose d’intéressant ici, ça serait pour ma gueule. » En fait le véritable message était plutôt “dégage d’ici t’as rien à faire”, mais en plus poli. Archibald lui décocha un sourire affable tandis qu’il glissait les mains dans ses poches, nonchalant, l’air décontracté et parfaitement inoffensif. Oui, il avait plus ou moins compris dans l’attitude de l’autre la tentative de renvoi et oui, il avait bien l’intention de le jouer à l’inverse. Hors de question de le laisser filer aussi facilement alors qu’il venait juste d’initier la conversation ! « Du coup, t’es ici tout seul ? Tu fous quoi ? T’es du coin ? » Sous la cascade de question et les mots qui paraissaient empressés à se bousculer hors de sa bouche, Archie donnait l’impression du mec qu’avait pas eu l’occasion de causer à qui que ce soit depuis bien longtemps et qui refusait que l’occasion lui passe juste sous le nez.
Ce qui était parfaitement faux, bien sûr, puisqu’il avait Octavie et que la présence de la femme lui était plus que suffisante quant à l’assouvissement de ses besoins de contact humain. Mais ça, l’étranger n’avait aucun moyen de le savoir, et ce d’autant plus qu’elle ne se trouvait pas à proximité d’eux deux.
« T’aurais pas un truc à graille des fois ? » La requête sortait de nulle part, il savait bien que la plupart des survivants se faisait de l’égoïsme une règle d’or, et pourquoi leur en vouloir ? Il était bien assez dur de se procurer des vivres quand on ne résidait pas dans une région optimale pour la chasse (d’autant plus que ce talent n’était pas inné pour tout le monde, et encore fallait-il savoir quoi faire de la bête après l’avoir tuée) ou la cueillette, mais à première vue il n’avait pas l’air bien méchant, et peut-être qu’Archie arriverait à lui tirer une once de pitié. Parce que c’est probablement ce qu’il était, engoncé dans son blouson qui commençait à tirer la gueule, les joues creusées par la fin, la flamme féroce du désir de vivre qui brillait au fond de ses yeux un peu trop grands dans ce visage considérablement amaigri : pitoyable. Et il ne cherchait pas à contredire cette impression, bien au contraire, l’attitude de son corps jouait à l’accentuer. Parce qu’au final, il se fichait bien que l’autre cède à la demande ou lui ricane au nez : tout ce qu’il demandait, c’était qu’il baisse sa garde face à ce miséreux.