Welcome, doc (ft. Arte)

Assise derrière son bureau, un stylo dans le main, une tasse en émail dans l'autre, les jambes croisées, les cheveux relevés en un chignon qui n'a pas une seconde la prétention d'émuler celui d'Anita, le jeune médecin reporte les observations de la matinée dans un dossier qui porte le nom de l'un de ses patients. Benny Armistead. Il n'y a rien de particulier à griffonner sur le papier terni, rien de plus que la veille, que l'avant-veille... Rien de plus qu'il y a presque un mois en fait, quand il était encore sous le contrôle de sa collègue. Arte se plie à l'exercice des examens journaliers sans comprendre à quoi ces derniers peuvent bien servir : prévenir la maladie, d'accord... Mais aussi agacer, piétiner le moral des troupes et gaspiller du temps sur leurs activités quotidiennes.

Elle serre ses doigts autour de la tasse encore fumante, glisse le stylo dans la poche avant de sa blouse, et apporte le bord du récipient à ses lèvres. Une soupe. De l'eau et des bouts de légumes réchauffés jusqu'à avoir un goût. Qu'elle apprécie, même si elle ne se pose plus tellement de questions sur les qualités gustatives de ses aliments depuis longtemps... Du moment qu'ils coupent la faim, c'était bien assez : qu'il s'agît d'une casserole monstrueuse de patates capable de ravitailler tout un régiment, d'un maigre écureuil sur le bord de la route ou d'une des préparations, un peu douteuses mais parfaitement comestibles, de Dax, dans le fond, importe peu. Elle se régale juste d'avoir quelque chose de chaud à boire entre deux dossiers à remplir, entre deux consultations qui se ressembleront de toutes manières en tous points. Elle déteste son taf de médecin à la Mine, comme elle détestait son taf de médecin à Olympia, mais au moins, elle n'a pas besoin de réfléchir beaucoup : elle répète inlassablement les mêmes gestes, pose constamment les mêmes questions... C'est reposant, dans un sens.

Elle prend une première gorgée, puis une deuxième, et se laisse tomber contre le dossier de sa chaise. Elle joue sommairement avec une mèche de cheveux qui lui est retombée devant les yeux avant de ne céder et de ne se débarrasser de son élastique. La brune passe une main légère dans ses cheveux dénoués et soupire. Un rapide coup d’œil à l'horloge lui indique qu'elle est officiellement en pause et la nouvelle lui arrache malgré tout un petit sourire, quand elle repose la tasse sur le bureau pour faire glisser une à une les manches de son vêtement presque gris. Elle avait quelques moments pour se détendre : peut-être sortir un livre et feuilleter quelques pages, ou alors fermer les yeux et faire le vide dans son esprit accablé de trop de souvenirs et de remords pour être jamais tranquille. Mais à son plus grand dam, c'est aussi le moment que choisit Anita pour entrer dans la pièce. Arte n'a que le temps de lever les yeux au ciel d'un air agacé avant qu'elle ne pousse la porte et ne prononce les deux syllabes que le médecin redoute sans doute le plus : son propre prénom. « Anita ? » rétorque la brune sur le même ton tandis qu'elle reprend la tasse dont l'émail est abîmé. La présence du leader dans son infirmerie ne l'enchante pas, ne la terrorise pas non plus. En fait elle lance un regard presque désintéressé à la brune dans l'encadrement de la porte. «  Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? » elle lui demande sans plus de cérémonie, son regard retombé sur le dossier de Benny. Elle préférerait sûrement rédiger ses comptes-rendus plutôt que de discuter avec Jones, c'est pour dire à quel point elle apprécie la compagnie de la jeune femme.

Elle n'eut pas à attendre bien longtemps avant d'obtenir une réponse du médecin. Elle croisa son regard, arqua un sourcil par rapport à celui-ci. Elle avait du mal à cerner la médecin, en fait. Elle ne savait pas pourquoi elle se montrait désinvolte envers elle. Elle comprenait l'envie naturelle des gens de défier l'autorité, mais peu le faisaient avec le tact et la finesse d'Arte, ce qui travaillait Anita et commençait légèrement à l'exaspérer. Elle n'était pas du genre à être en quête de gratitude, mais tant de désinvolture la gonflait. Elle s'approcha d'elle, les mains dans le dos, la jaugeant de son regard à la sévérité habituelle avant de lui répondre.
Une fois à côté d'elle, elle jeta un coup d’œil à son lieu de travail. Elle semblait à l'aise, c'était même évident. Elle semblait organisée, et remplir son rôle, d'après les différentes feuilles de papier. Excellent. Anita était contente de voir que d'autres personnes qu'elle prenait au sérieux la paperasse. Restée silencieuse jusque là, un léger tic nerveux déforma un très court instant ses lèvres, avant qu'elle ne prenne la parole :
« Rien de particulier, enfin, pour le moment. Je souhaite m'assurer que ton intégration se passe bien. Est-ce le cas ? » elle jauge de pas en haut la médecin, comme si ça allait lui apporter une réponse à sa question.
Elle croisa ses bras devant elle, pencha légèrement la tête sur le côté, avant de continuer son interrogatoire :
« Tout se passe bien avec Maxine ? Et Casey ? » elle écouta attentivement sa réponse. Si le régime paraissait à chaque fois « exceptionnel » pour les nouveaux, ce n'était absolument pas le cas. Anita questionnait systématiquement de cette manière là tous ceux qu'elle acceptait dans la Mine quelques temps après leur assimilation, histoire de s'assurer que l'intégration, très importante pour elle, se passait bien. Elle tenait à l'unité de son groupe, et en chassait systématiquement les éléments perturbateurs.
Après ces questions plutôt génériques, elle passa à des questions plus personnelles, mais nécessaire :
« Où en est ton moral ? Tu as besoin de quelque chose en particulier ? »
C'était encore une question systématique, bien souvent pas prise au sérieux, les gens faisant des stupides tentatives d'humours à Anita, pensant qu'elle n'était pas sérieuse. Mais elle l'était. Le bien-être est un élément clef du moral ; qui posait bien souvent plus problème qu'autre chose ; alors, si elle pouvait sans trop d'effort obtenir quelque chose pour quelqu'un, comme des livres, l'exemple le plus simple, elle le faisait. Elle attendit sa réponse, ne modifiant pas sa posture qui pourtant, pouvait être interprétée comme fermée à la discussion, ce qui était plus ou moins le cas. Elle posait des questions, et voulait simplement des réponses.  

Elle observe la jeune femme entrer dans le bureau et y jeter un regard inquisiteur. L'endroit est bien organisé, même si quelques instruments traînent à quelques endroits où ils ne le devraient pas. Elle n'a pas eu le temps de ranger depuis sa dernière « consultation. » Silencieusement, et en attendant que la brune ne veuille bien répondre à sa question, elle boit encore une gorgée de sa soupe tandis qu'elle observe le leader de la Mine investir les lieux. Pas un seul instant elle ne songe à se lever, ou à saluer avec un peu plus de respect que ça celle qui s'avère après tout être sa supérieure. Elle se redresse à peine sur sa chaise. Arte ferait une très mauvaise recrue, il n'y a pas à dire.

Elle sent que la sentence va tomber... Un tic nerveux agite la bouche d'Anita, auquel Arte répond avec une sorte de sourire bienveillant. Pas forcément sincère, par contre. « Rien de particulier, enfin, pour le moment. » Elle ne sait réprimer une sorte de ricanement, alors elle fait mine de se frotter le nez. C'est comme si on attendait d'elle qu'elle foire quelque chose... Et elle n'est là que depuis quelques jours. « Je souhaite m'assurer que ton intégration se passe bien. Est-ce le cas ? » Le médecin se calme, pose sa tasse sur le bureau. Elle hoche la tête, désigne la chaise en face d'elle, comme elle connait le goût prononcé d'Anita pour les séries de questions interminables... Mais voyant que celle-ci soit ne comprend pas, soit décline l'invitation, la jeune brune hausse doucement les épaules. « Ça va, » il n'y a rien d'autre à dire à ce sujet. Il y a des gens avec qui elle arrive à échanger quelques mots, et d'autres qui lui donnent envie de les encastrer dans un mur. Comme partout ailleurs. Rien d'étonnant. Et il y a son boulot de médecin, aussi ingrat soit-il, qui lui occupe les mains... Ça pourrait être pire.

« Tout se passe bien avec Maxine ? Et Casey ? » Elle arque un sourcil et dévisage très brièvement Anita. Encore une fois, les épaules de la brune se soulèvent. « Oui, je suppose, » fait-elle en posant les coudes sur son bureau. Elle ne veut pas épiloguer sur le cas de la chef de la sécurité. C'est compliqué, avec Casey. Ça l'a toujours été. Arte n'espère même plus qu'elles se retrouvent un jour sur la même longueur d'ondes, elle fait avec. « Je m'entends plutôt bien avec Maxine. On a réussi à se mettre d'accord sur un emploi du temps. » Elle parle dans le vide, parce que c'était déjà la requête d'Anita lors de leur première rencontre. Enfin, Arte ne ment pas tout à fait, mais n'est pas non plus sincère : les méthodes de Maxine sont un peu différentes des siennes et sa loyauté sans bornes à Anita la fatigue profondément. Heureusement elles ont partagé la permanence de l'infirmerie et ne se croisent finalement pas assez souvent pour se prendre la tête.

Elle esquisse un sourire fêlé à la question suivante. « Où en est ton moral ? Tu as besoin de quelque chose en particulier ? » lui demande le leader et la jeune femme se pince les lèvres. « Ça va aussi. » Ça ne va pas du tout, clairement. Elle n'a jamais eu autant de mal à dormir la nuit, mais ce sont ses démons à elle, elle ne veut les partager avec personne. Certainement pas avec Anita. Même si tout à coup elle semble lui apparaître sous un visage plus clément, plus humain, et le jeune médecin serait presque tenté de lui vomir une marrée de sentiments contradictoires sur les basques. Elle se retient de justesse. « Pourquoi m'avoir caché qu'il y avait un laboratoire à la Mine ? » finit par lâcher la jeune brune en revenant caler son dos contre sa chaise, toisant Anita. Son air n'est pas sévère, elle est juste curieuse. « J'aimerais y avoir accès. »

Les réponses que lui apportait  la médecin ne satisfirent pas pleinement la leader. Perplexe, elle écouta attentivement celles-ci, arquant parfois un sourcil, toujours en s'abstenant de commenter, notant les réponses dans un coin de sa tête.
Vint la question de Maxine. Elle lui tenait vraiment à cœur ; si elle en avait un. Enfin, c'était le cas, et elle s'en rendait malheureusement pour elle de plus en plus compte. Sa médecin lui vouait une féroce fidélité, et elle comptait bien être digne de celle-ci. Elle allait la questionner à son tour par rapport à Arte, et un mot de sa part, et l'olympienne dégageait ; de son infirmerie, voire de la Mine.
Par contre, elle foudroya du regard la médecin, après sa question. Mais pour qui elle se prenait, la princesse ? Elle lui répond, d'un ton beaucoup plus sec et cassant que d'habitude :
« Tu ne me l'as pas demandé ; et si je devais te le dire, je l'aurais fais » elle la dévisagea froidement quelques secondes, après lesquelles elle continua : « Mais je vais voir ce que je peux faire. Je vais en parler à Reed. Il te fera savoir si ta candidature l'intéresse »
Elle souffla, toujours les bras croisées face à la médecin dont la réaction la décevrait encore une fois de plus. Elle roula des yeux, même, en fait.
Anita n'était pas une personne très empathique, à cause du fait qu'elle était trop logique par rapport aux autres pour pouvoir vraiment prétendre pouvoir comprendre leurs émotions. Mais elle n'était pas idiote non plus ; loin de là, en fait. Elle comprenait bien que le fait que la médecin ne s'étalait pas sur ses réponses n'était pas anodin. La conversation s'annonçait stérile ; et elle envisagea fortement d'arrêter de perdre son temps, afin d'aller faire quelque chose de plus productif. Encore une fois, le temps d'Anita était précieux, et elle détestait le gâcher. Elle avait la bonté d'âme de venir aux nouvelles, et la médecin n'en avait rien à foutre. Très bien.
Elle jaugea donc encore une fois le médecin, et lui annonça avec la franchise qui lui était propre :
« Bien. Je vois que tu n'as pas envie de discuter, je n'ai pas de temps à perdre. Bonne nuit »
Elle se tourna directement ; elle n'était pas vexée, par outrée, par le caractère taciturne de son interlocutrice. Elle avait simplement fait ce qu'elle avait à faire. Elle aurait pu discuter plus longtemps ; Anita écoutait volontiers ses hommes, et ça leur faisait généralement du bien, surtout qu'elle gardait généralement tout pour elle. Et ses papiers, si l'information en valait le coup. Mais ses papiers n'étaient que pour elle, pour le moment ; donc, où était le problème ? Elle commençait déjà à s'écarter, déjà à nouveau égarée dans ses pensées.

Le regard d'Anita. Son air désapprobateur. Sa réponse cinglante. Douche froide. Néanmoins la brune ne montre pas son embarras : sa surprise, oui, quand ses lèvres s'entrouvrent en un petit o et que ses sourcils se haussent l'espace de quelques secondes, tandis qu'elle dévisage avec un nouvel intérêt la jeune femme de l'autre côté du bureau.
Elle n'éprouve alors aucune gêne, quand bien même elle le devrait sûrement : il s'agit tout de même de sa leader, et on attendrait de ses joues qu'elles s’empourprent, de son regard une attitude hésitante, mais Arte n'a que sa surprise pour répondre aux mots affûtés de l'autre brune. L’œillade qu'elle rend à Anita ne cherche pas son pardon et ses lèvres ne cherchent pas à s'excuser. Arte ne pense pas être allée trop loin, et n'entend pas respecter renforcer, participer aux règles non-dites qui doivent exister entre Anita et ses sujets. Pour ce qu'il en est, la brune n'en est pas un - ou alors, dans tous les cas elle ne se sent pas petit soldat dans les mains d'Anita. « Merci, ça compte beaucoup pour moi, » souffle-t-elle simplement en tirant sur ses zygomatiques tandis que sa main reprend un crayon et le fait cliqueter distraitement, suggérant d'une façon très peu subtile qu'il est l'heure pour elle de retourner à ses dossiers et pour Anita de quitter l'infirmerie. Il est vrai qu'avoir accès au laboratoire aiderait beaucoup son moral, ou du moins tuerait certaines de ses pensées, les noieraient dans les chiffres, et alors épuiserait son cerveau, de telle sorte qu'elle trouve le sommeil la nuit. Ou au moins réfléchisse à d'autres choses que ce qu'elle avait lâchement abandonné. Mais en même temps à ce sujet, à propos de la recherche, Arte ne nourrit pas de grands espoirs : elle a croisé quelques fois le dénommé Reed, ne l'a pas trouvé plus commode qu'elle. Elle doute aussi que la Mine soit mieux équipée qu'Olympia en matériel scientifique, ce qui au bout des choses n'entraînerait qu'une frustration encore plus grande. Enfin, Arte a déjà renoncé à son grand projet par le passé, et elle y renoncera encore si les obstacles sont trop importants entre elle et la science. Il y a à peine quelques semaines elle n'espérait plus du tout remettre les mains sur une quelconque machine de toutes manières.

Elle n'est pas froide comme peut l'être son interlocutrice, seulement parfaitement neutre quand elle hoche la tête à ses dernières paroles. Arte se lève, alors, délaisse finalement le crayon dont elle venait pourtant seulement de se saisir. Ses doigts glissent sur le bureau, et en quelques pas elle est à côté d'Anita. « Je ne suis pas tellement quelqu'un qui discute, tu as pu le remarquer, » elle explique tandis qu'elle l'accompagne jusqu'à la porte de l'infirmerie. Il y a quelque chose d'assez soigné dans son jeu : quand elle s'adresse à Anita, Arte fait plus attention que de raison. Elle n'est pas celle qui jure ou qui se bat, elle n'est pas celle qui ressent, elle n'est pas celle qui souffre quand elle se retrouve face à la brune. Elle plus que les autres parce que l'impassibilité du leader encourage la sienne. « Et je serais désolée de te faire perdre ton temps, en effet. » La main sur la poignée, elle ouvre la porte sans pour autant se montrer expéditive. « Bonne journée Anita.  »