(elisa) tea party

+ « A plus tard. » lança-t-elle rapidement à Terrence, refermant la porte derrière elle. Lenny s’arrêta sur le pas de la porte, prenant une inspiration pour se donner un peu de courage, avant de descendre les quelques marches.
Chaque jour qui passait et sa culpabilité pesait un peu plus lourd sur ses épaules. Elle n’avait toujours rien dit à Leon, à propos de Faith alors que l’occasion de le faire s’était présentée à plusieurs reprises. Parfois, elle se disait qu’elle finirait par laisser échapper l’information à un moment qu’elle n’avait pas choisi, par accident. Parfois, elle prenait son courage à deux mains et se disait que cette fois-ci, c’était la bonne, elle serait honnête avec Leon et lui avouerait toute la vérité. Ce jour-là était un de ces jours. Elle était bien déterminée à le faire, cette fois : Lenny ne se décourageait pas au moment où elle serait face à lui. C’était sûr et certain.

Ou du moins, elle essayait de s'en persuader.

Elle laissa donc le confort de chez elle pour se rendre chez lui directement. La luminosité avait déjà radicalement baissé et pas seulement parce que le soleil disparaissait à l'horizon : de lourds nuages s'amoncelaient au-dessus d'Olympia et la pluie ne tarda guère à s'inviter aux festivités. Heureusement, bien trop fine pour que cela n'affaiblisse en rien la résolution de la brune.
Cela ne dura pas très longtemps, cependant. Bientôt, Lenny fut obligée de presser le pas alors que la pluie commençait à tomber plus dru. Si l’humidité et la fraîcheur qui venaient avec l’orage étaient plus que bienvenues après les longs mois d’été et la chaleur étouffante, Lenny ne souhaitait pas pour autant traîner finir détrempée au bout de cinq minutes. Elle arriva sur le perron de la maison pour se mettre un peu à l’abri, juste à temps pour éviter le plus gros de la pluie. Malgré ces efforts, elle savait déjà qu’elle devait avoir l’air bien ridicule, les cheveux collants et dégoulinants déjà lentement le long de sa nuque. Lenny prit quelques secondes pour tenter de chasser l’humidité comme elle le pouvait avant de s’avouer vaincue, poussant un soupir dépité. Tant pis ; elle n’était pas sur son trente-et-un pour frapper chez Leon, mais était-ce vraiment si important que ça ?

Elle décida donc de frapper, en dépit de son apparence. Lenny patienta quelques instants, se balançant sur ses pieds en attendant que la porte s'ouvre et qu'elle puisse se réfugier à l'abri pour un moment. Et la porte ne tarda pas trop à s'ouvrir, d'ailleurs, mais ce n'était pas Leon. Lenny eut un léger haussement de sourcils, un peu surpris. Bien sûr, elle connaissait Elisa DeWitt. Pas personnellement, en revanche : seulement de vue, peut-être quelques banalités rapidement échangées tout au plus, mais elles n'avaient jamais eu de réelles conversations jusqu'à présent. Lenny savait qu'elle habitait avec Leon depuis son arrivée à Olympia mais cette information lui était complètement sortie de la tête jusqu'à ce qu'elle lui ouvre la porte à cet instant. « Désolée, j'espère que je ne dérange pas. Leon est ici ? » demanda-t-elle, passant outre sa surprise initiale. « Sinon, je repasserais plus tard, pas de soucis. » ajouta-t-elle avec un sourire mais jetant un rapide coup d'oeil à l'intérieur, vérifiant d'elle-même si Leon n'était pas justement là, simplement devancé par Elisa. Mais pas de traces de Leon dans son champ de vision immédiat.

+ Assise sur son canapé, un plaid sur les genoux, un bon livre dans les mains, Elisa avait enfin réussi à s’échapper un peu de son quotidien. Avoir la chance de voir son fils, c’était à la fois merveilleux et horrible pour elle ; condamnée à prendre son mal en patience, à essayer de tisser un lien avec son enfant qui la prend pour une parfaite inconnue. Si elle voulait passer le plus de temps possible avec lui, du coup, elle savait qu’au fond d’elle, c’était une très mauvaise idée. Elle risquait d’attirer des questions trop tôt, et de perdre une nouvelle fois ce qu’elle estimait avant comme ce qu’elle avait de plus précieux.
Du coup, elle essayait de changer d’air ; et quoi de mieux pour ce faire qu’un peu de lecture. Transportée par son bouquin, elle ne gardait que de la réalité le confort de son sofa, la chaleur de son plaid et le moelleux de son tapis. Elle poussa un soupir, changea de page d’un geste à la fois précis et délicat, avant de reprendre l’exploration de ces lignes qui la faisait voyager.

Elle s’arrêta à un instant, quand elle capta du mouvement dans sa vision périphérique. Elle regarda à la fenêtre, remarquant qu’il pleuvait. Elle esquissa un simple sourire, satisfaite d’être au chaud et au sec. Durant ces huit dernières années, ça n’avait pas toujours été le cas. Son regard se porta à nouveau sur son livre, mais, il lui manquait quelque chose. Un thé, peut-être. Elle regarda le numéro de sa page, ferma le livre sans prendre la peine d’y insérer quelque chose du coup, et le posa sur la table basse en se levant en même temps. Elle commença à se diriger vers la cuisine, le plancher craquant légèrement sous ses pas malgré la présence du tapis, ce qui avait tendance à l’agacer. Peut-être son pas était-il trop lourd ? Leon ne faisait jamais de bruit, sauf sur l’escalier où le problème était encore pire. Plongée dans sa réflexion, elle manqua presque le fait qu’on toque à sa porte. Mais non. Au lieu de passer du couloir à la cuisine, elle fit les quelques pas qui la séparait de la porte et ouvrit directement. Elle n’était qu’à moitié étonnée de sa présence ici, et fit comme si elle chassait de sa main ses excuses alors qu’elle lui annonçait : “Non, non. Du tout. Il n’est pas là, mais normalement il ne devrait pas tarder” elle marqua un temps d’arrêt, regarda l’autre, le fait qu’elle était trempée. Elle ne put s’empêcher de rajouter, en faisant preuve d’une gentillesse sincère : “Rentre. J’allais me faire un thé. Si tu en veux un en l’attendant, ce sera avec plaisir” elle lui fit un geste de la main, l’invitant à entrer.

Une fois la brune à l’intérieur, elle referma la porte et lui annonça : “Je crois que tu connais la maison, fais comme chez toi du coup” elle la laissa seule un instant dans le couloir pour faire un détour dans la salle d’eau et en sortir avec une serviette qu’elle s’empressa de lui tendre. Elle ne perdit pas plus de temps ensuite, en allant mettre une casserole d’eau à chauffer avant de la retrouver dans le salon.

+ Lenny marqua une petite pause, un peu surprise de l’absence de l’homme qui s’exprima par un léger froncement de sourcils, à peine perceptible. Elle hocha un peu la tête. « Oh, très bien. » Nota mentalement la brune qui, avant d’être invitée à l’intérieur, s’apprêtait déjà à prendre congés et retourner chez elle: peut-être profiter de cet instant de répit pour réfléchir sur ce qui l’avait poussé à venir ici dans un premier temps. Peut-être que c’était un signe du destin qui l’incitait à ne pas révéler tout de suite ce qu’elle savait. L’univers lui donnait une seconde chance et l’invitait à reconsidérer ses choix, l’air de lui demander si elle était vraiment sûre d’elle. Lenny ne l’était pas. Elle adressa un bref sourire à Elisa. « Comment refuser ? » Un thé, quelques instants pour se reprendre un peu en main, le tout à l’abri de la pluie qui s’abattait sur Olympia. Effectivement, comment refuser une telle invitation ? Cela lui permettrait sûrement de se calmer et de se préparer à ce qu’elle allait bien pouvoir dire à Leon quand il serait là. Sans plus se faire prier, Lenny se glissa à l’intérieur de la maison.

Elle connaissait en effet la maison ; ce n’était ni la première fois qu’elle venait ici et probablement pas la dernière, mais c’était une chose un peu différente de se retrouver dans le salon à prendre le thé avec l’autre habitante, que Lenny ne connaissait pas si bien que ça. La brune resta debout dans le couloir, un peu gauche, soudainement un peu intimidée. Elle observa l’intérieur comme si elle le découvrait pour la première fois, glissant les mains dans les poches de son jean à défaut de savoir quoi faire. Lenny mordilla l’intérieur de sa joue avant de détendre un peu ses épaules ㅡ qu’elle ne se rappelait pas avoir tendu dans un premier temps ㅡ lorsqu’Elisa revint vers elle. « Merci. » fit-elle, attrapant sans plus attendre la serviette et se dépêchant de sécher un peu ses cheveux, évitant ainsi de laisser comme traces de son passage des flaques d’eau là où elle se tenait.

Maintenant un brin plus sèche, Lenny se dirigea vers le salon, se retournant vers la plus âgée lorsqu’elle la rejoint. Elle replia un peu la serviette, la gardant entre ses mains. « Je me rends compte qu’on a jamais eu l’occasion de discuter ensemble, jusqu’à présent. » remarqua-t-elle un peu maladroitement, en observant Elisa. C’était là une bonne opportunité d’en apprendre un peu plus sur celle qui partageait une maison avec son … Son quoi, exactement? Lenny ne termina pas cette pensée, baissant les yeux vers le tapis sous ses pieds avec un soupir discret. Elle reprit au bout d’un moment. « C’est quel genre de colocataire, Leon ? » demanda-t-elle alors, feignant un air désintéressée, jetant un regard par la fenêtre. La pluie tombait encore, d’un rythme régulier et imperturbable. Lenny haussa un peu les épaules pour pour insister sur le fait qu’elle posait cette question simplement pour faire la conversation ; même si elle était en réalité, bien curieuse de savoir la réponse et qu’elle était aussi délicate et discrète qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine.

+ De retour dans le salon, Elisa croisa le regard de celui de la brune. Elle esquissa un maigre sourire, avant de jeter un coup d’oeil à sa serviette, et de remonter à ses yeux quand elle lui adressa la parole. Elle lui répondit directement : “L’occasion ? Quand même !” elle ponctua sa phrase d’un sourire un peu plus marqué, avant d’ajouter d’un ton honnête tout en étant léger : “Je pense juste qu’on a jamais pris le temps de le faire. Et je suis sûre que c’est dommage, alors je suis contente qu’on y remédie” elle capta son soupir, fronça légèrement ses sourcils alors qu’une brève moue perplexe traversait ses lèvres. Elle était curieuse de savoir ce qu’il en était.
Ce n’était pas très humble de sa part, mais Elisa se considérait comme quelqu’un de très empathique ; capable de voir clair derrière le jeu de la plupart des gens. Un trait qu’elle n’avait pas encore, même en temps que jeune adulte, et qu’elle avait fini par développer par nécessité dans sa fonction de procureur. C’est ainsi qu’elle avait plus ou moins cerné Leon, depuis le temps qu’elle habitait avec, relevant ses buts, ses incohérences, ses petits et plus gros mensonges. Et il y en avait un sacré paquet, mais qu’importait ? Elle voyait en lui quelqu’un de tourmenté, qui essayait de refaire sa vie comme beaucoup au final. Elle n’allait pas tout lui gâcher en creusant trop profondément, simplement parce qu’elle n’aimerait pas qu’on lui fasse. Si elle avait su qu’il n’était pas un simple lambda ou même un petit criminel, mais un redoutable tueur à gage, elle aurait peut-être été d’un avis différent, mais elle n’en savait rien.

Elle ne répondit pas directement à sa question, s’approchant de l’autre et lui saisissant d’abord la serviette des mains pour lui en débarasser. Elle lui esquissa un maigre sourire, leva les yeux au ciel avant d’annoncer : “Le genre discret ?” son sourire se fendit un peu plus en pensant à cette discrétion. Ils n’étaient parfois pas discret, mais était-ce vraiment une bonne chose que de l’annoncer maintenant ? Non, un peu de pudeur. Elle lui annonça, avant toute chose : “Assieds toi, si tu veux” désignant le canapé sur lequel était posé, à moitié plié, le plaid dans lequel elle avait passé cette fin d’après-midi. Elle rajouta : “Mets toi à l’aise” avant de faire un nouveau aller-retour vers la salle d’eau. En émergeant de celle-ci, elle reprit sa réponse par rapport à son colocataire, en réduisant progressivement le volume de sa voix au fur et à mesure de son trajet : “Discret, mais gentil et serviable, donc ça va, je n’ai pas à me plaindre” elle s’approcha du sofa par l’arrière, posa ses deux avant-bras sur le dossier de celui afin de discuter plus tranquillement. Elle ne regarda pas directement la brune, mais regarda à son tour pensivement la fenêtre. Elle demanda alors, sans bouger son regard : “Il m’a un peu parlé de vous deux” pour ne pas dire beaucoup, au final ; au bout de plus d’un an de colocation, de longues nuits d’insomnie, ils avaient pas mal bavardé. “Une sacré aventure, visiblement. Je suis contente que votre couple aille mieux du coup” c’était sa conclusion par rapport au fait d’avoir vu Lenny un peu plus souvent, récemment, par rapport à l’année passée. Mais quand son regard finit par se défiger et croiser celui de la brune, elle réalisa qu’il y avait peut-être anguille sous roche.

+ Un sourire étira un peu les lèvres de Lenny ; discret, c’était effectivement un bon mot pour décrire Leon, oui. Le contraire l’aurait grandement étonnée, mais il y avait encore tant de choses qu’elle ignorait au sujet de l’homme, apprendre qu’il n’était pas aussi discret que ce qu’elle pensait n’aurait pas été une si grande surprise que ça, au final. Elle tendit la serviette à Elisa, dont elle se saisit, l’invitant à s’asseoir dans le même mouvement. « Oh, merci. » fit-elle en s’approchant du sofa et s’y laissant tomber, prenant soin de déplacer le plaid juste avant. Son regard suivit la plus âgée qui revenait vers elle ; Lenny prêta une oreille attentive à ses paroles, tentant de glaner la moindre petite information à propos de Leon.  « Effectivement, ça lui ressemble bien. » commenta-t-elle distraitement. Finalement, Leon était peut-être comme ça avec tout le monde et Lenny se faisait des idées si elle s’imaginait qu’il adoptait un comportement différent autour d’elle. Elle ramena un peu ses jambes contre elle, veillant à ne pas mettre ses chaussures sur le canapé et en salir le tissu.

Elle cligna un peu des yeux avant de froncer les sourcils. « Il a parlé de nous ? » répéta la jeune femme, un peu déconcertée, ne s’attendant visiblement pas à une telle chose. Mais la suite lui coupa l’herbe sous le pieds, l’empêchant de poser plus de questions à ce sujet. « Oh. » finit-t-elle par souffler, après être restée un moment silencieuse. Elle observa alors Elisa, haussant un sourcil de surprise et cherchant à savoir si elle pensait réellement ce qu’elle disait. Un rire nerveux lui échappa alors et Lenny baissa les yeux, jouant nerveusement avec une mèche de ses cheveux. Elle se sentait idiote de devoir rectifier une chose pareille ㅡ mais il valait mieux mettre les choses au clair plutôt que de risquer un quiproquo qui parviendrait sans aucun doute aux oreilles de Leon. Lenny se racla un peu la gorge avant de répondre, faisant mine de chasser la poussière inexistante de son jean. « A vrai dire, Leon et moi on est pas…. en couple ? » déclara-t-elle en relevant les yeux, se forçant à sourire. « Pas du tout, même. On est… » Elle marqua de nouveau une pause, observant le mur en face d’elle. Ses épaules s'affaissèrent. Lenny ne trouvait toujours pas les mots pour décrire leur relation. La seule fois où elle avait cherché à mettre des mots sur ce qu’ils étaient ㅡ eh bien… Il suffisait de voir où ils en étaient à présent pour s’imaginer comment cela s’était déroulé.

Elle secoua un peu la tête et changea de sujet rapidement, coupant presque la parole à Elisa. « Il a parlé de nous, donc ? » demanda-t-elle de nouveau, revenant sur ce qu’elle avait dit plus tôt. Joignant le geste à la parole, elle se tourna légèrement vers Elisa, une étincelle de curiosité dans le regard. Elle avait réellement envie de savoir le genre de chose qu’il avait bien pu confier à la blonde. Le simple fait qu’il ai parlé d’eux à l’autre femme était déjà un événement un peu surprenant, aux yeux de Lenny ; mais il l’était encore plus lorsque la blonde pensait qu’ils étaient en couple… Lenny inspira profondément, forçant son coeur qui battait à tout rompre à se calmer un peu. Le moment n’était pas bien choisi pour se faire des idées. « J’espère qu’il a pas dit trop de mal, alors. » fit-elle. Elisa devait avoir une image d’elle, telle que dépeinte par Leon ; la question était de savoir, donc, comment il parlait d’elle aux autres, lorsqu’elle n’était pas là pour l’entendre.  

+ Elisa fut un peu étonnée de la réaction de l’autre. Une étrange question, à la réponse qui lui semblait évidente mais qui ne l’était pas tant que ça. Encore une fois, Leon était quelqu’un d’assez mystérieux, et Lenny ne se doutait probablement pas qu’inconsciemment, son shérif ait laissé échappé des informations au fil du temps.Peut-être que quelqu’un d’autre, à la place d’Elisa d’ailleurs, n’aurait rien obtenu de sa part. Mais l’ancienne procureur adjointe ne pouvait pas chasser sa nature inquisitrice. Et, à côté de ça, elle avait quand même le bon profil d’une confidente ; c’était une femme très calme, toujours à l’écoute et à donner honnêtement son avis. Quand à sa discrétion, c’était visiblement pas tout à fait ça ; puisqu’elle venait de peut-être griller un peu Leon. Mais, à quoi bon ? La blonde était dubitative, et le devint encore plus à l’annonce du fait qu’ils n’étaient pas en couple. Elle leva les yeux au ciel une nouvelle fois, alors que les dix doigts de ses mains toujours posées sur le canapé tapotaient le doux tissu de celui-ci en vague. Elle plongea à nouveau son regard dans celui de l’autre, ou du moins, tenta de le faire, avant de reprendre : “Vous êtes ?” elle voulut rajouter quelque chose, mais l’autre la coupa.

Elle resta la bouche ouverte un instant, avant de la fermer et d’esquisser un maigre sourire alors que son regard croisait enfin le sien. Elle la laissa poliment terminer, avant, de pousser un soupir, et commencer de faire le tour du canapé pour aller s’y asseoir. Elle ne lâcha pas l’autre du regard, et une fois posée, elle secoua légèrement la tête d’une manière très maternelle face à un enfant dont l’innocence était touchante. Elle lui annonça : “De toi, surtout. Pas trop en mal, pas trop en bien. De manière anodine, je dirais” son regard tranquille lâcha les prunelles sombres de l’autre pour se mettre à fixer la fenêtre. Du coup, elle en savait pas mal sur la brune, mais n’allait pas à aller jusqu’à en lui faire un exposé, histoire de ne pas créer de malaise inutilement. Elle n’allait pas cacher ce qu’elle savait non plus, mais elle doutait que Lenny entre dans les détails. Elle annonça ensuite à l’autre : “Il pense à toi souvent. Et il s’inquiète, de temps en temps” elle n’avait pas besoin d’en rajouter plus, elle était assez grande pour tirer des conclusions. Elle jeta un rapide coup d’oeil au pendule, réalisant que l’eau allait pas tarder à être prête. Elle se leva alors, signifiant d’un geste qu’elle restait à l’écoute de la brune alors qu’elle se dirigeait vers la cuisine. Elle s’arrêta un instant avant de quitter la pièce quand même, réalisant qu’elle devait peut-être dire ce qu’elle s’apprêtait à dire avant d’être couper. Elle tourna donc la tête vers l’autre, esquissa un sourire compatissant, et lui annonça : “Vous êtes ce que vous êtes, et ça me semblait juste évident” avant de tirer un peu plus sur ses zygomatiques, et de terminer son trajet.

Quelques dizaines de secondes plus tard, elle revint dans la pièce une tasse fumante dans chaque main. Elle alla en tendre une à l’autre, garda la sienne dans sa main alors qu’elle allait chercher un petit bocal de sucre qu’elle posa sur la table basse, sous laquelle elle alla chercher ensuite une petite assiette qu’elle disposa aux côtés du récipient en verre.
Elle put finalement se poser à nouveaux aux côtés de l’autre, posant ses deux mains un peu froide autour de la tasse, avant d’inciter d’un autre sourire la brune à reprendre la conversation.
 

+ De manière anodine. Quel genre de choses Leon pouvait-il bien mentionner ? Et surtout, à quel point Elisa la connaissait, alors même qu’elles ne s’étaient jamais vraiment adressé la parole ? C’était un peu déroutant, quand on y pensait ; elle ne connaissait pas tant que ça la blonde alors qu’elle semblait en savoir beaucoup. Lenny était presque mal à l’aise devant ce déséquilibre, mais elle ne s’y attarda pas trop pour autant. « Il… s’inquiète ? » Lenny marqua sa surprise par un haussement de sourcils qu’elle ne chercha même pas à dissimuler, comme son ton interloqué à cette idée. Elle se laissa s’enfoncer dans le canapé, l’air de ne pas réellement comprendre ce qu’Elisa venait de lui dire. La brune avait toujours l’impression de graviter autour de Leon, sans pour autant que ce qu’elle ressente pour lui soit forcément réciproque. Enfin ㅡ elle ne s’était jamais autorisé à mettre des mots sur ce qu’elle ressentait à son sujet, mais il fallait croire que Leon ne la voyait pas seulement comme un passe-temps. Les signes étaient peut-être d’ailleurs sous son nez depuis un très long moment, mais Lenny était tellement concentrée sur ses propres sentiments et sa vision des choses qu’elle ne voyait pas plus loin que le bout de son nez.

Elle resta un moment silencieuse, contemplant les choses d’un nouveau regard à présent; remarquant à peine qu’Elisa venait de se lever. Lenny releva un peu la tête, tirée de ses pensées, observant le sourire de la blonde, toujours sans trop savoir comment réagir. A défaut de mieux, elle haussa un peu les épaules, marmonnant sans grande conviction. « Évident… Peut-être, surtout pour les autres, j’imagine ? » Parfois, les choses étaient plus faciles à voir quand on était un observateur extérieur. C’était peut-être la solution à tout : un observateur extérieur qui les mettraient face aux évidences qu’ils ne voyaient pas. Elle ramena un peu sa jambe contre elle, perdue dans ses pensées et profitant de ces quelques secondes pour laisser son regard divaguer.

Relevant la tête vers Elisa, Lenny attrapa la tasse avec un sourire bref et laissa la chaleur réchauffer ses mains et bientôt, le reste de son corps, chassant les restes d’humidité qui subsistaient encore. « Merci pour le thé. » Elle porta un peu la tasse à ses lèvres mais changea d’avis au dernier moment, évitant ainsi de se brûler. Elle souffla un peu dessus pour le refroidir avant de parler de nouveau. « On devrait essayer de plus communiquer, lui et moi, je pense. » fit-elle, observant Elisa. La communication n’était visiblement par leur fort ; elle ne pouvait pas non plus blâmer entièrement Leon quand elle-même gardait des petits secrets. Mais au moins, si leurs entrevues se résumaient à un peu plus que cinq minutes volées, peut-être qu’ils finiraient par pouvoir se confier un peu plus facilement sur les choses importantes. Mais c’était prendre un risque ; si ça se trouvait, la situation convenait parfaitement à Leon et il ne verrait aucune raison de faire changer les choses. Lenny baissa les yeux sur le contenu de sa tasse, la ramenant un peu vers elle tout en se mordant pensivement la lèvre.

+ Un simple mouvement de tête en guise de réponse à ses remerciements. Un thé, ce n’était pas grand chose ; et ça faisait toujours plaisir. En écoutant l’autre, Elisa laissa ses yeux se perdre dans la contemplation de la fenêtre, qu’elle devrait envisager de laver d’ailleurs, et tourna pensivement sa cuillière dans sa tasse alors qu’elle n’avait rien rajouté dans le liquide chaud. Elle s’humecta rapidement les lèvres, et leva les yeux au ciel avant de lui répondre : « Oui, c’est une excellente idée » elle marqua un moment de silence, réfléchissant un peu, avant d’ajouter : « C’est visiblement plus compliqué que ce que je pensais, mais ça ne te coûte rien d’essayer après tout » elle haussa les épaules, porta son regard sur elle, avant de rajouter : « Au moins, tu seras fixée » elle lui esquissa un sourire, approcha sa main de la sienne et créa un contact éphémère en touchant le dos de sa main avec ses doigts d’un geste presque maternel, surtout rassurant. Elle conclua très simplement : « Ne te tracasse pas trop non plus. Le thé te plaît ? » elle allait rajouter que c’était Leon qui lui avait rapporté de la carrière, mais elle ne le fit pas, bien décidée à passer autre chose.

Encore une fois, elle ne connaissait que vaguement celle qu’elle considérait comme la petite amie de son colocataire. Alors, elle tenait à remédier à ça ; probablement dans une discussion que certains qualifieraient de small talk. Mais l’était-ce vraiment ? Et de toute façon, était-ce vraiment un problème ? Une discussion légère, inutile, ça ne pouvait pas faire de mal dans un contexte où il était toujours question de survie ; où les gens parlaient pour être presque strictement informels dans une atmosphère sombre et pesante. D’autant plus qu’avec un peu de sincérité et de bonne foi, elle pouvait évoluer vers une discussion plus intéressante, toute aussi légère, mais permettant d’en apprendre plus sur l’autre. Les choses qu’elle aimait ou pas, des anecdotes sur sa vie, ce genre de choses qui pouvaient maintenant paraître futiles. Mais Elisa pensait que c’était dans les détails qu’on créait une relation saine et durable.

Elle porta la tasse à ses lèvres, buvant le liquide chaud, presque brûlant, en profitant de ses arômes végétaux qu’elle avait presque oublié. Elle en ferma presque les yeux un instant, mais non. Elle les garda rivés sur l’autre, attendant tranquillement sa réponse ; alors que sa posture restait assez ouverte. Assises en tailleur dans le coin de son canapé, un genou un peu plus surélevé que l’autre à cause de la présence de l’accoudoir.

+ Le contact de la main d’Elisa contre la sienne était doux, rassurant ; un geste maternel qui provoqua un léger serrement au coeur. Cela ne manquait pas de lui rappeler sa mère et si, avec le temps, la jeune femme avait fait son deuil, ces petites marques d’affection lui manquaient toujours un peu. Bien sûr, son frère ne manquait pas de lui en fournir et peut-être que Leon aussi, d’une certaine façon ㅡ mais c’était autre chose que l’affection maternelle. Elle aurait presque voulu que le contact dure plus longtemps ; mais à peine eut-elle le temps d’y songer qu’Elisa avait retiré sa main et reprenait la conversation. Elle hocha un peu la tête comme pour approuver ce qu’elle venait de dire, cherchant à se rappeler les mots que la blonde venait de prononcer, tant elle était perdue dans l’émotion qu’elle venait de ressentir. « Oui voilà. » ajouta Lenny, reprenant un peu le fil. Qui ne tente rien n’a rien, après tout. Elle parlerait à Leon, alors, songea-t-elle, d’eux et peut-être de plus, si la conversation en arrivait là.

« Je vais essayer. » souffla-t-elle alors que le coin de ses lèvres s’étiraient brièvement en un sourire. Ne pas se prendre la tête était bien plus facile à dire qu’à faire, ce n’était pas nouveau ; mais Lenny était bien déterminée à écouter les conseils de la plus âgée qui lui offrait un regard extérieur. Même s’il ne s’agissait pas de paroles révolutionnaires, cela faisait toujours du bien d’entendre quelques évidences, juste pour se remettre un peu les idées en place. Elle trempa ses lèvres dans le thé, finalement, juste pour en goûter rapidement la saveur. Elle laissa quelques instants le liquide toucher ses papilles avant de relever les yeux vers Elisa, avec un hochement et un sourire qui répondait silencieusement à sa question : oui, le thé lui plaisait. Pourtant, Lenny n’avait jamais été une grande amatrice de thé, préférant d’habitude une simple tasse de café pour la garder réveiller lors des longues heures passées sur ses cours à réviser. Ce moment était bien lointain et il fallait croire qu’elle prenait plus de temps pour découvrir des choses qu’elle n’avait pas vraiment pris le temps de découvrir avant.

Le silence retomba, sans être pour autant pesant ou gênant. Les deux jeunes femmes se contentaient de boire en silence, sans ressentir le besoin de meubler inutilement la conversation de banalité. Son regard regardait sans vraiment se poser quelque part, jusqu’à ce qu’il soit attiré par la couverture du livre, posé sur la table d’appoint non loin. Lenny pencha un peu la tête pour en déchiffrer le titre avant de se retourner un peu vers Elisa. « Ca parle de quoi ? » demanda-t-elle avec une pointe de curiosité dans la voix. Encore quelque chose qu’elle n’avait pas vraiment pris le temps de faire alors que le temps ne lui manquait pas et la bibliothèque d’Olympia renfermait sûrement des livres qu’elle n’avait pas eu l’occasion de lire. Lenny se redressa un peu et ramena sa jambe sous elle et attrapant d’une main le livre pour en lire la quatrième de couverture. « Je devrais vraiment plus prendre le temps de lire un livre, ou des choses comme ça. » songea-t-elle à voix haute, retournant ouvrage pour détailler la couverture et le titre.

+ Heureuse de voir la brune se détendre un peu, Elisa répondit à son sourire par le sien. Vint le moment de silence, loin d’être gênant. La blonde en profita pour se détendre un peu, laissant tomber ses épaules, relâchant la tension qui résidait dans sa nuque. Elle prit encore une gorgée du liquide qui la réchauffa un peu, pour ensuite complètement laisser sa tête basculer en arrière et reposer sur le dossier du confortable canapé. Elle poussa un imperceptible soupir, alors qu’elle fermait les yeux un instant.

Elle les ouvrit immédiatement au moment où l’autre reprit la parole, se redressant vivement mais sans précipitation. Elle bascula un peu en avant, se rapprochant de celle qui inspectait un de ses bouquins préférés. Elisa n’assumait pas vraiment ses choix littéraires. Elle lisait beaucoup, quand elle était plus jeune. Genre, énormément, et principalement des classiques et… de la science fiction. Le chef d’oeuvre d’Orwell par exemple, 1984, était probablement son livre préféré, une des raisons pour lesquelles elle s’était engagée à vouloir faire de ce monde un monde plus juste, loin de cette triste dystopie. Mais en l’occurence, ce qu’elle était en train de lire, c’était Neuromancer, de Gibson. Un choix qu’elle assumait encore moins ; beaucoup plus ancré dans la fiction, beaucoup plus dans l’excès, même si traitant de sujets aussi sérieux et plausibles.

Elle s’humecta donc les lèvres, levant les yeux au ciel avant de répondre : « Comment t’expliquer ? C’est... compliqué. Mais pour faire simple, c’est l’histoire d’un pirate informatique et d’une mercenaire qui sont plus ou moins forcés de travailler ensemble pour un employeur aux motivations clairement douteuses et critiquables dans un futur dystopique où le capitalisme a été poussé à l’excès » elle prit une inspiration, avant de souffler de manière légèrement exagérée pour mieux faire passer sa longue tirade. Elle haussa les épaules, baissa un peu les yeux de honte face à ses choix de lecture, avant de relever son regard pour le poser sur son interlocutrice : « C’est bizarre, je sais. Mais ça m’aide à… relativiser ? à m’évader un peu aussi. Franchement, entre les rôdeurs et les mégacorporations, mon choix est vite fait » elle esquissa un sourire un peu forcé. Si le futur tel qu’il était décrit par Gibson avait des aspects attirants, son injustice prépondérante était quelque chose qui la rebutait clairement. elle rajouta ensuite : « Du coup, oui. Tu devrais, c’est une excellente façon de sortir un peu de la monotonie du quotidien. Tu lisais un peu, avant tout ça ? »  elle regarda l’autre continuer son inspection, alors qu’elle réajustait sa position sur le canapé.

+ Ses doigts glissèrent le long du dos du livre, puis feuilleta rapidement les pages, s’arrêtant sur quelques paragraphes pour en lire le style. Elle ne connaissait pas du tout l’auteur et était curieuse à présent. Les quelques phrases qu’elle survola rapidement piquèrent sa curiosité et Lenny nota mentalement le titre du bouquin. Elle détacha son attention des pages pour la reporter sur Elisa et son résumé. Elle eut une petite moue pensive en l’écoutant alors qu’elle refermait le livre et le posait sur ses genoux. « Sympa. » commenta-t-elle, avant d’esquisser un sourire tandis qu’Elisa semblait se justifier de ses choix de romans. Bizarre, oui, peut-être ㅡ mais Lenny n’était pas du genre à juger qui que ce soit pour ce genre de choses ; c’était comme juger quelqu’un pour ses goûts musicaux. Tous les goûts, dit-on, sont dans la nature, et il n’y avait pas de goûts supérieurs à d’autres. « C’est le but d’un livre, non ? De faire rêver, ce genre de trucs ? » fit-elle avec un sourire. Lire était en effet un bon moyen de suspendre la réalité et se changer les idées, d’oublier la vie réelle. Certains préféraient les romans épiques peuplés de dragons ou autres créatures fantastiques, d’autres des thrillers, mais dans le fond, le but était bien souvent le même. Passer un bon moment et s’évader, dans un autre univers que le nôtre, rêver d’être un héros… Lenny soupira un peu. « Il a l’air vraiment pas mal, en tout cas. » Elle reposa le livre là où elle l’avait prit, ne voulant pas trop déranger les affaires de son interlocutrice. « Je pourrais te l’emprunter, éventuellement ? Quand tu auras fini, bien sûr. Mais te presse pas. » se dépêcha-t-elle d’ajouter, pour assurer à Elisa qu’elle n’était nullement obligée de se mettre une pression quelconque pour lui donner le livre en question.

Lenny n’avait jamais été une grande lectrice; il faut dire, dans son enfance et sa jeunesse, elle préférait souvent être en extérieur ou au contact avec d’autres personnes plutôt que de se poser seule pour lire un roman. Néanmoins, maintenant, cela lui semblait être une occupation plutôt agréable. « Je lisais un peu, mais pas autant que je l’aurais voulu ? » Lenny eut un petit rire, remettant une mèche de cheveux derrière son oreille. Elle se rappelait des trop nombreux livres commencés mais jamais finis, souvent par manque de temps ; et puis, lors de ses dernières années d’études, les seuls livres qu’elle lisait était des livres de cours, ou des références pour son mémoire. On était donc bien loin des romans. Elle se rappelait quand même de quelques livres lus plus jeunes, les classiques imposés par l’école mais qui étaient néanmoins intéressants, et surtout ceux qu’elle avait dévorés. Pensive, elle porta la tasse à ses lèvres mais oublia d’en prendre une gorgée, l’éloignant sans y toucher après à peine quelques secondes. « J’avais doré Gatsby, quand j’étais plus jeune. » reprit-elle au bout d’un moment. « Je me rappelle qu’on devait le lire pour les cours et c’est un des bouquins que j’avais adoré étudier. » Lenny eut un petit sourire nostalgique, repensant à cette époque bien lointaine à présent. « Enfin, j’irais faire un tour à la bibliothèque, je pense. » conclut-t-elle, son regard allant vers la porte, vérifiant que Leon ne s’y trouvait par hasard pas ㅡ aussi agréable que fut la conversation  avec Elisa, elle n’oubliait pas ce pourquoi elle était venue dans un premier temps.