lord, have mercy - lulu²

Oh, que Lucy commençait à détester les chevaux de la plus belle manière qui soit. Jusque-là, ces bêtes ne l'avaient jamais dégoûtées, pas plus qu'elle ne les avait porté en admiration. Disons que l'absence de contact avec les chevaux ne l'avait jusque-là jamais dérangée.
Mais le contact un peu trop intime qu'elle entretenait avec des représentants de leur espèce depuis son arrivée au Ranch était légèrement trop intime à son goût. Assignée à ramasser le crottin. Sérieusement.
Elle avait fait une tête de trois mètres de long quand on lui avait annoncé sa nouvelle mission. Au bout d'une matinée de travail, elle leur avait déjà cédé la première bataille ; et avait retiré ses talons hauts. Au bout de trois jours, elle leur céda la deuxième, et arrêta de vouloir contrer l'odeur avec du parfum. Le parfum étant suffisamment rare et précieux, de nos jours, et ne fonctionnant pas vraiment avec la pestilence des lieux, elle préféra réserver les fragrances parfumées à ceux qui le méritaient – pas les chevaux, donc.
Depuis, la relation entre les chevaux et Lucy semblait s'être établie dans ce statu quo, où Lucy faisait le minimum, en tentant d'être efficace et rapide pour ne pas passer trop de temps en apnée dans les écuries. Elle était certaine que ces foutus chevaux lui filaient des boutons, de l'urticaire, ou une quelconque autre maladie, mais elle n'avait rien pour le prouver officiellement. Rien pour se dispenser de la corvée.

Mais l'histoire évoluait encore quand ces foutus démons avaient fini par la hanter dans son sommeil.
Autant dire que sa mission de la journée allait se dérouler dans une ambiance pesante. Lucy mit un point d'honneur à les avertir, dès son entrée. Elle planta ses opales dans les yeux du premier canasson venu, avant de faire le tour des boxs – terme qu'elle avait appris deux semaines auparavant. J'ai rêvé que je vous tuais. Mais je ne faisais pas que vous tuer, oh non. Je vous découpais en petits morceaux. Et ces morceaux, j'en ai fait des steaks. Cuits au barbecue, un vrai régal ! Alors je vous préviens, bande de canassons, le prochain qui lâche son crottin juste après que j'ai fini de nettoyer son box, je l'bouffe. C'est clair ? Elle fit les gros yeux à celui qui osait soutenir son regard, avant de revenir à son point de départ, d'attraper pelle et brouette, et de commencer son travail. En espérant que sa mise en garde fasse son effet.

Il ne lui restait qu'un box à nettoyer quand elle fut dérangée par un autre humain. Ils n'étaient pas nombreux à se presser dans les écuries pour l'aider dans sa tâche, et celui-ci faisait sans doute partie de la majorité. Pourtant, Lucy passa la tête hors du box, prête à tout pour se distraire quelques instants. Elle reconnut Lucan, plus de réputation que parce qu'ils parlaient. Elle ne connaissait pas grand-chose de lui hormis … son prénom, et sa passion pour les boîtes à crottin ambulantes. Ce qui pourrait suffire. Salut, Lucan. Empreinte d'un culot à toute épreuve et de beaucoup d'illusions, elle se lance, grand sourire aux lèvres, espérant alléger sa charge de travail. Tu viens me libérer de mes obligations ?

On lui avait demander de jeter un oeil à l'un des Visages, ceux dont Lucan ne retenait pas encore le nom. Parce qu'uine silhouette, en cas de mort, d'accident, c'était plus simple à oublier...
Dans l'univers qui était le leur, se surcharger le coeur était un luxe pour les naïfs et les fous, hors Lucan ne voulait être ni l'un ni l'autre.
Parfois, depuis la nuit et le sommeil, l'homme rêvait aux forêts du Nord. Sa solitude n'était pas la même ici, différente, entrecoupée de tâches, de missions, de corvées aussi pour que tous puissent survivre. Il ne se plaignait pas, pas plus qu'il ne discutait et si parfois Lucan avait à subir des injustices, l'homme semblait les avaler dans son ombre sans rien en recracher d'amer. Quant aux blessures des pertes et des trahisons, tous ici en souffraient au moins un peu, là encore Lucan ne voyait pas la peine d'en parler. Il n'était pas heureux bien sûr, mais le silence des forêts ne lui aurait rien apporté de plus.
Des colères différentes peut-être, des choix avec d'autres formes de douleurs, qui sait? La mort aussi, mais la mort était partout sans que l'homme ne sache s'il la craignait ou non. Qu'importe...

Sa grande silhouette passa la porte des écuries et la jeune femme présente le salua. Elle connaissait son nom, elle. Il hocha la tête légèrement, la regarda. Etait-elle sérieuse, était-ce de l'humour? Chacun ici avait un rôle à remplir pour permettre l'équilibre du ranch, parfois cela signifiait d'en faire beaucoup, voir beaucoup trop, de s'épuiser à la tâche, mais ils n'étaient plus dans un univers leur permettant d'avoir le choix.
Quelle valeur avait une personne qui se comportait ainsi? Aucune, ce n'était tout simplement pas logique. Lucan en déduisit donc que la jeune femme avait fait preuve d'humour, cela était mieux.
Elle avait enlevé ses talons en tout cas, semblait porter des chaussures plus adaptées.

”Termine ce que tu as commencé.”

De ce que Lucan pouvait voir, il ne lui restait plus grand chose. Le jeune homme s'apprêta à tourner les talons, la laisser quand quelque chose d'autre attira son regard.
Merde....
Par terre, dans un recoin et maladroitement caché par de la paille, une bride en très mauvais état. Quelqu'un, paniqué, avait du vouloir camoufler son crime. Avec un sifflement ennuyé, Lucan ramassa l'objet. Il doutait que cela soit rattrapable....

”Soit perfectionniste dans ce que tu fais parce qu'il y aura toujours un abruti pour être tout le contraire. Prends le temps de regarder les chevaux aussi : tu t'occupes de leur lieu de vie, on peut attendre de toi que tu remarques quand quelque chose ne va pas.”

Ramasser du crottin de cheval. Définitivement pas son job de rêve. Au moins, elle ne risquait pas de se fouler une neurone.
Peut-être qu'elle n'avait jamais mis du cœur à l'ouvrage. Que dès le premier jour où on l'avait assigné dans les écuries, elle s'était rebiffée, vu les choses en noir plutôt qu'en blanc. D'un autre côté, elle avait beau chercher, elle ne trouvait pas le bon côté de ce travail. Est-ce que pelleter toute la journée l'avait rendue particulièrement plus forte, plus habile, plus apte à la vie en société ou à tuer des zombies ? Pas vraiment. Mais elle allait devenir une experte pour creuser des tombes, à ce rythme-là. Et avec ses compétences en esthétique, on allait aussi pouvoir lui refiler les macchabées à maquiller. Lucy, elle était bonne pour tuer, maquiller et enterrer - en somme, bonne à marier.
La voilà pourtant à gâcher son potentiel, cachée dans les écuries, entre le risque de se prendre un coup de sabots ou de mâchoires et sa brouette, dans le monde féérique du cuir, des bottes et des fouets. A ramasser ce foutu crottin sans une once de remerciements pour le travail effectué. Peut-être trouvait-elle la sa véritable punition. Ce manque de reconnaissance.

Alors quand elle entend quelqu'un d'autre se pointer, Lucan pour le nommer, elle se prend à espérer que les choses peuvent changer pour elle. Son enthousiasme est bien vite balayé quand son interlocuteur lui intime de terminer ce qu'elle avait commencé. Ni distraction, ni aide de sa part, donc. Elle ne se faisait certes pas beaucoup d'espoirs, mais la chute reste douloureuse. Ses doigts se crispent autour du manche en bois, la rage brûlant ses rétines, transformant mentalement les tas de merde en ennemis à abattre.
Bon, pas vraiment abattre, parce que si elle commençait à taper dessus avec sa pelle, elle allait en mettre partout et se rajouter deux fois plus de travail. Mais quelque chose de similaire. Elle sortit bien vite du box, déterminée à en finir au plus vite avec le dernier qu'il lui restait. C'est à ce moment-là qu'elle remarqua Lucan, penché au-dessus d'un objet qu'elle ne parvenait pas à discerner. Elle dut rester un peu trop longtemps à le regarder faire puisqu'il reprit la parole.
Laissant
Lucy
Perplexe.
Elle chercha un moment le sens caché des paroles du cavalier, son visage grimaçant sous les différents stades de sa réflexion, jusqu'à l'évidence. Que ses paroles étaient profondément … hasardeuses.
Pardon, mais ... en quoi la perfection avait à voir avec la propreté des boxs ? Ces abrutis de chevaux vont toujours chier ... Elle aurait ri de la situation si son interlocuteur n'était pas si … froid. Elle prit le temps de formuler le fond de sa pensée afin de lui faire parvenir son ressenti sans risquer de le blesser personnellement, mais elle n'était pas sûre d'y arriver. J'veux pas vous décevoir, là, mais si on attend de moi que je remarque quand quelque chose ne va pas, alors faudrait peut-être commencer par m'apprendre deux ou trois trucs sur les chevaux. On peut pas attendre de la femme de ménage qu'elle soit vétérinaire, sinon elle ne serait peut-être pas femme de ménage.
Elle le laissa mariner là-dessus, le temps de remettre le cheval dans son box, et d'extirper le suivant du sien. Le dernier box avant la libération. Apprend-moi. Si t'es si malin. La suite se fait étonnement plus honnête. S'il te plait. A moins que tu ne sois ... débordé. Elle jette un regard sur la monture, sur le dernier box à nettoyer. Se mordant l'intérieur des joues pour se donner du courage.

Son regard se détacha de la bride, se posant sur la jeune fille à nouveau. Il regardait toujours les gens de manière étrange, Lucan, les yeux beaucoup trop sombres et beaucoup trop doux tout à la fois. Quelque chose proche de l'animal toujours, celui que l'on observe de loin sans pour autant le comprendre, celui qu'on regarde s'éloigner soudain depuis le fond des bois, disparaître. Disparaître, l'homme avait aimé cela : tout quitter comme une ombre, partir.
Jusqu'à ce que le monde ne décide d'en faire autant, partir. En couilles, en bonnes grosses couilles bien poilues et que du coup, pour survivre il fallait faire qu'une chose, revenir. Il était revenu de son voyage alors, autour de lui les gens partaient seulement, n'avaient pas fait le même chemin. Partaient d'eux-même, ce ce qu'ils avaient été, espérant devenir autre chose.
Parfois, ils devenaient des zombies, fallait faire gaffe avec l'espoir...

”Si tu prenais confiance en toi, pour commencer, coupa-t-il la jeune fille. Il le faisait sans colère, il aurait presque pu sourire en vérité, mais les sourires de Lucan étaient de ces choses étranges qui apparaissaient et disparaissaient à leur rythme.”Tu as des yeux, sers-t'en. Une femme de ménage sait reconnaître quand quelque chose n'est pas à sa place dans une maison, ou quand elle doit nettoyer des choses qui n'auraient jamais du se trouver là. C'est la même chose ici : tu peux remarquer un cheval qui se conduit étrangement, du matériel en mauvais état....”

Mauvaise volonté, peur, conflits intérieurs, des émotions diverses pouvaient bloquer un être humain. Toutes n'étaient pas négatives, les dépasser restaient malgré tout une épreuve. Les yeux de Lucan restaient sombres et doux, ils ne semblaient jamais changer.
L'homme s'approcha du cheval fraîchement sorti du box, posant une de ses grandes mains contre les naseaux de l'animal.
Un instant, le corps de Lucan sembla alors porter une fatigue bien trop grande pour lui. Qu'avait-il fait la veille, qu'avait-il fait il y a quelques heures? Certaines des missions qu'il avait à exécuter étaient connues, d'autres moins. Parfois l'homme était là, parfois non, il disparaissait, lui, le le petit groupe sous ses ordres aussi, et puis finalement ils revenaient, donnant l'impression de n'être jamais partis.

”T'apprendre?” Il haussa un sourcil circonspect, flattant l'encolure du cheval, l'empêchant de tourner trop autour de son box, de gêner Lucy dans son travail. ”As-tu envie d'apprendre? Si c'est le cas, ce sera pendant tes heures de temps libre, pas pendant le travail. Termine ton box, c'est le dernier. Range ton matériel et rejoins-moi dehors.”

Sans en dire plus, Lucan détacha le noeud du licou, emmenant le cheval à l'extérieur. Il voulait voir la réaction de Lucy face à l'animal, dans un espace plus ouvert....

Ce n'était pas que Lucy n'aimait pas les chevaux. C'est qu'elle ne les connaissait pas. Elle ne comprenait pas la fascination du commun des mortels pour ces animaux, mais elle ne demandait qu'à apprendre, finalement. Quelques années plus tôt, elle ne se serait jamais vu monter derrière une moto, encore moins en conduire une. Et avant cela, elle ne s'était jamais imaginée se servir d'une arme. Ou abandonner ses proches. La vie se montrait foutrement ironique, parce que Lucy n'avait jamais autant appris que depuis que le monde s'était retrouvé sans dessus-dessous.
Il n'empêche qu'elle a du mal à se faire au comportement de Lucan, qu'elle avait encore du mal à cerner. Elle savait néanmoins qu'il n'était pas celui qui lui avait confié la tâche dans les écuries, qu'il n'était responsable de rien qui puisse foncièrement changer son quotidien. Elle était en train d'échanger les chevaux quand il lui répondit. Au moins pouvait-elle masquer le fond de ses pensées, si elle se concentrait suffisamment sur ce qu'elle faisait.
Il n'empêche qu'elle ne cautionnait pas ses paroles. Prendre confiance en elle et se servir de ses yeux, pouvait figurer dans le palmarès des choses les plus perspicaces qu'elle ait jamais entendues. Même si, à regret, elle voyait où il voulait en venir. L'explication bancale mais l'idée claire. Faire attention à ce qui l'entourait, alors qu'elle avait l'impression que personne ne faisait attention à elle en premier lieu. Peut-être qu'elle se faisait des idées, comme Lucan le lui suggérait. Qu'elle n'avait qu'à ouvrir les yeux.
Peut-être s'était-elle laissée vivre, depuis son arrivée au Ranch. Que l’accommodation qu'elle avait pensé facile n'en était rien. Les non-dits planaient au-dessus de sa tête comme une épée de Damoclès. Un jour on la retrouverait morte, l'arme plantée dans son crâne. Le bon côté dans cette histoire, c'est qu'elle ne risquait pas de revenir dans cet état de semi-vie qui animait leurs morts.

L'assurance de Lucy se fit la malle quand Lucan s'approcha du cheval qu'elle venait de sortir, et en s'emmêlant les pinceaux, la voilà qui signait pour un nouvel apprentissage. Puisque personne ne s'était proposé, elle venait de s'auto-attribuer son professeur. S'il acceptait, toutefois.
Elle s'échappa dans le box avec ses outils préférés quand il souligna ses propos. Ne pas savoir déchiffrer l'homme le rendait imprévisible. Quand il lui posa la question, si elle avait vraiment envie d'apprendre, Lucy réalisa que ce qu'elle avait proposé sur un coup de tête … n'en était pas vraiment un. Elle pensait qu'il était nécessaire de savoir des choses au sujet des chevaux, dans ce Ranch, afin d'être pris au sérieux. Afin de pouvoir sortir du camp, de participer aux raids. Elle devait prouver sa légitimité, et le savoir était l'un des moyens pour y parvenir. Bien. Elle ne vit pas de raisons d'en rajouter plus, et se contenta de finir ce qu'elle avait commencé.

Compter les pelletées. Vider la brouette. Ranger le matériel. Remplir les abreuvoirs. Rouler des yeux en remarquant que plusieurs chevaux avaient déjà souillé leurs boxs. Elle passa sa veste en cuir et finit par rejoindre son professeur du jour.
Elle se tâta à le remercier, lorsqu'elle atterrit à ses côtés, mais préféra attendre la fin de leur entrevue pour ça. Il risquait de ne rien lui apprendre, il serait donc inutile de le remercier en avance. J'suis prête, finit-elle par s'exclamer, ne sachant pas trop par où commencer. Devait-elle poser des questions ? Attendre qu'il explique quelque chose ? Elle se sentait vaguement ridicule à ce moment-là, mais se contenta … d'observer le silence.

Il était difficile, voir impossible d'apprendre à quelqu'un se sentant victime d'une trop grande injustice. Dans les yeux de la jeune femme, un jugement implacable sur ce qu'il disait, sur ce qu'il faisait. Elle ne voulait pas apprendre, elle voulait secouer la tête, taper du pied, espérant peut-être reprendre le contrôle de sa vie par la même occasion.
Et Lucan n'avait aucune vérité à lui offrir.
Lorsqu'elle le rejoignit, l'homme lui tendit les rênes de l'animal. Il ne lui demanda pas de monter, le cheval n'était même pas sellé, mais de sa voix calme, préféra l'enjoindre à caresser la tête puissante tout en lui montrant et lui expliquant la manière dont un cheval voyait.
Placez-vous dans l'angle mort d'un animal, celui-ci vous considérera comme une menace. Difficile alors de le rentrer ou le sortir d'un box, les conseils de Lucan visaient donc à faire gagner du temps à Lucy dans ses corvées.
Il la fit marcher aussi, toujours en tenant l'animal, la laissant évoluer avec la silhouette du cheval pour la suivre. Encore une fois, l'aider à comprendre ce qu'il était possible ou non de faire.
Il lui parla des oreilles aussi, lui montrant simplement comment un cheval les plaçait lorsqu'il sentait un danger, avait peur. De petits détails à retenir, rien de plus.

Presque une heure s'écoula de cette façon, Lucan prenant le temps d'expliquer tout cela à la jeune femme. Sa voix n'était pas sévère, encore moins autoritaire. L'homme aurait presque pu conter une histoire à Lucy, plutôt que lui donner un cours. Lorsque le cheval s'ébrouait, il laissait la jeune femme réagir seule, écouter ses instincts, ne la corrigeant que s'il y en avait réellement besoin. Les cernes sous ses yeux s'étaient agrandies, Lucan prenant sur son temps de repos également pour effectuer tout cela.
Enfin, l'homme ramena l'animal à son box, en compagnie de Lucy.

”Cela t'évitera possiblement des coups de sabots. Reste toujours sur tes gardes cependant, même des cavaliers avertis ne sont pas à l'abri d'en prendre.”

L'écurie n'était pas un lieu calme: le bruit des animaux résonnaient entre les murs, hennissements, piaffements...Le cheval restait une puissance brute, même enfermé. Lui-même avait eu des débuts difficiles comme cavalier : des jambes trop longues, du moins dans son esprit à lui, la peur d'être encore plus difforme sur un cheval, de ne pas y arriver. Des sentiments comme des boules de haine éparses, que Lucan avait du rapprendre à ravaler, à ne plus écouter, à oublier. Aujourd'hui, peu importe la monture qu'on lui filait, Lucan se fichait de ses propres jambes, avait appris comment les placer.
Parce que c'était ça le drame dans la vie : tout s'apprenait....

Lucy ne savait pas à quoi s'attendre. Ni pourquoi elle l'avait vraiment demandé. Certes, connaître les chevaux semblait logique puisqu'elle devait travailler en leurs présences, mais en-dehors de cet aspect-là, elle ne mourrait pas spécialement d'envie de passer plus de temps que nécessaire en leur compagnie et leur odeur. Comme un brevet à passer, une étape de plus. Pour laisser sa trace au ranch. Pour montrer sa valeur dans un langage qu'ils partageaient tous, ici. Portée volontaire avant qu'on le lui oblige, finalement, elle tente de se rassurer en enfilant sa veste de cuir. Il n'y a plus son odeur dessus depuis longtemps, mais l'objet lui apporte une protection autant psychologique que physique. Un peu de forces pour affronter la leçon.

Elle ne sait pas quoi penser de Lucan. Ni en tant que personne, ni en tant que professeur. Les fois où elle l'avait croisé, elle n'avait pas réussi à avoir une conversation de plus d'une minute. Un peu plus tangible qu'une ombre dans le paysage, à peine plus bavard qu'un mort-vivant.
Cette séance improvisée ne sera pas l'occasion d'en apprendre plus sur lui, Lucy le comprend très vite. Elle se retrouve très vite avec les rênes dans les mains, la puissante monture à ses côtés. Cette dernière pouvait se faire la malle, Lucy ne prendrait pas vraiment la peine de la retenir. Que pourrait-elle faire face à ce monstre ? Ils ne jouaient pas vraiment dans la même cour. Elle était la petite bête à côté de la grosse, et n'avait aucune chance. Pourtant, deux bouts de lanière en cuir et des années de conditionnement suffisaient à le diriger.
Là voilà en charge de la bête. Lucy se demandait sérieusement si Lucan avait une idée de ce qu'il faisait, et si quelque chose tournait mal, elle rejetterait probablement la faute sur lui. Pourtant, elle marche, un œil sur Lucan, un œil sur le cheval, et un troisième sur ses pieds, pour éviter d'en voir un écrasé par plusieurs centaines de kilos. C'est pas glorieux, et le changement de direction est presque un désastre, mais elle réussit presque à bien s'en sortir après une dizaine de tentatives.
Sur le plan anatomique, elle essaie de retenir les choses que Lucan lui dit. Après tout, il disait les choses de manière suffisamment concises pour que son esprit ne s'embrouille pas. Il ne semblait pas avoir trop de soucis pour parler des chevaux – ce qui était une toute autre histoire dès que le sujet déviait. De toute manière, Lucy préféra ne rien dire de la séance, concentrée. Obéir, retenir, ne pas se faire monter sur les pieds.

Et quand la séance s'acheva, Lucy pouvait affirmer se sentir plus à l'aise à côté des boîtes à crottin ambulantes qu'une heure ou deux auparavant. Même si elle avait encore du chemin à faire. Merci, Lucan. Deux mots qui se suffisaient à eux-même. Et qui pourtant, ne semblaient pas tout à fait justes. S'il y a quelque chose que je puisse faire en échange, tu n'as qu'à demander. Lucy n'aimait pas forcément devoir des choses aux autres, mais depuis plusieurs années, c'était la monnaie d'échange la plus prisée. Lucan ayant prit de son temps pour l'éduquer, c'était normal de devoir lui renvoyer l'ascenseur, tôt ou tard. Dans la mesure du raisonnable, Lucy payait ses dettes. Même si cela signifierait ramasser plus de crottin.

 “Remercie-moi quand tu seras certaine que je t'apporte quelque chose, sinon à quoi bon?”, répondit l'homme.
Il souriait un peu, humble et timide tout à la fois, portant sur Lucy son regard sans jugement. Quand la jeune femme lui signifia qu'il pouvait demander quelque chose en échange, Lucan secoua la tête. Il ne construisait pas ses dettes ainsi, à l'image d'un diable ou d'un démon, comme si un simple souffle pouvait vous enchaîner à votre débiteur
Non, parce que ces choses possédaient un poids. Lucan avait donné de son temps, certes, mais avait-il fait changer quelque chose dans la vie de la jeune femme qui puisse permettre de dire que oui, cela devait se faire payer en retour?

”D'où es-tu originaire?”

Fille du Texas, fille d'ailleurs? Certains portaient poussières st soleil en leurs veines, Lucan avait en lui le bruissement des feuilles, l'ombre des arbres et le froid d'un Nord étrange. Cela n'expliquait pas grand chose sur lui, à vrai dire ça n'expliquait juste rien du tout. Il savait cependant que des histoires se portaient en chacun, que tristesses, tragédies, ce genre de choses devenaient par trop coutumières depuis quelques années. Alors au fond, ça coûtait quoi de parler, d'écouter?
Lucy n'était pas qu'une simple jeune femme condamnée à nettoyer les  boxes des animaux jusqu'à ce qu'on accepte qu'elle puisse posséder d'autres utilités. Elle était autre chose, elle était quelqu'un e ses colères et ses sentiments partaient de choses n'appartenant qu'à elle propre.

Avec un geste né de l'habitude, Lucan se passe une main dans les cheveux. De son père il en tenait la teinte, de sa mère apparemment, l'épaisseur, du moins s'en était-elle toujours vantée. Ils sont longs, ses cheveux, assez pour lui chatouiller la nuque, et de longues mèches lui balayent parfois le visage et les yeux. A cheval, Lucan se les noue souvent mais il ne prend pas la peine de les couper plus que cela. La faute à son visage à vrai dire, et Lucan était tout simplement heureux d'avoir au moins assez de cheveux pour cacher quelque chose de lui au besoin.
Alors, quand il se les remet en place avec un geste comme celui qu'il vient d'avoir, cela est toujours particulier. Il se dégage la vue, bien sûr, mais en même temps il garde les yeux au sol, évite de trop montrer ce que les cheveux ne cachent plus, honteux.
C'est toujours comme ça.
Il y a la barbe et la moustache aussi, ça aussi ça aide.

Il y a derrière les sourires des failles infinies, sous les paroles des détresses en pointillés. Éparpillés dans le sable et dans la paille, la rage confinée de sa matinée. Enfouie sous les pas, les cercles, les sabots. Lucy n'irait pas jusqu'à dire que le temps passé avec le cheval l'avait apaisé, mais ses épaules n'étaient plus tendues par le travail. La fatigue aurait le dernier mot, là où ses yeux remerciaient en silence Lucan pour mettre un terme à leur séance. Certes, elle avait apprit des détails intéressants au sujet des chevaux qu'elle n'avait désormais qu'à appliquer ou contrôler, mais en plus de son temps passé aux écuries, un léger ras-le-bol l'étranglait. Ce que même les odeurs n'arrivaient plus à faire.
Pourtant, les mots franchissent ses lèvres, presque timides.  Des mots bien vite balayés par celui qui ne voulait pas les recevoir. Lucy repensa au moment où elle avait faillit le remercier, avant même leur séance. Un bref soulagement la traversa, mais ne la découragea pas. Elle acquiesça, avant de persister. Peut-être que l'homme était simplement trop fier pour accepter son remerciement, mais cela lui tenait au coeur. De la même manière, c'était le premier à lui montrer quelque chose ici qui ne soit pas des ordres ou des remarques sur son travail. Pour cela, elle lui devait bien quelque chose. Maintenant, ou plus tard. Quand l'occasion se présenterait, la nouvelle Crimson serait ravie de lui rendre service à son tour.

C'est sur un tout autre sujet que Lucan enchaîne, ce qui laisse Lucy légèrement … déstabilisée. Elle ne s'attendait clairement pas à ce genre de question, à raviver son passé dans la chaleur moite de l'écurie. Sur le vif, elle ne se voit pas s'inventer une histoire, une vie qui ne lui appartiendrait pas. Fort Worth, Texas. Même si la précision ne révélait futile, étant donné que ce qui restait de cette ville n'était qu'à quelques centaines de kilomètres de là. Quelques heures de route qui la séparait de son enfance, de ce monde plus doux, plus beau, où les enfants jouaient dans les rues et où la mort n'était pas le début de quelque chose d'autre.
Et maintenant, tout ça semble … si loin. Pas tant en termes de distance, qu'en terme de temps. Des années qui ressemblaient à l'éternité parfois. De belles années … et en même temps, elle ne regrettait pas tout à fait l'apocalypse d'être survenue.  Et toi ? T'as pas l'accent du coin, alors, t'as atterri comment, ici ? Si Lucan n'avait pas besoin de savoir ce qu'elle avait fait pendant huit ans avant de revenir dans ce coin du Texas, elle se doutait que quelqu'un qui n'était pas originaire du coin devait avoir voyagé un peu. Ce qui donnerait peut-être lieu à une histoire – même s'il lui semblait qu'elle avait épuisé sa chance avec Lucan, pour toute la semaine. Un Lucan qui se touchait beaucoup trop les cheveux pour que Lucy passe à côté. Avec un demi-sourire, elle le lui fait remarquer. J'peux t'aider avec ça, si tu veux. Elle passe un doigt sur sa propre joue pour soutenir ses propos. Il ne reste plus beaucoup de barbiers, dans le coin.

”En marchant....”

Réponse simple, claire et efficace aux questionnements de Lucy quant à la manière dont Lucan s'était retrouvé au ranch. Il ne pouvait pas dire plus : qu'il avait sauvé la vie d'un homme, soignant ses propres blessures en le considérant comme un ami et un frère, mais que ce frère l'avait trahi.Parce que ce genre de choses, ça ne se racontait pas, les mots seraient toujours trop maladroits pour cela.
L'homme hocha la tête cependant, son accent était celui du Maine et, pour certains mots, des traces de dialecte cree se devinaient encore. Rien à voir avec le parler texan, non, mais il n'était pas la seule personne du lieu qui n'avait pas la prononciation des natifs.

”J'étais pas loin de la frontière canadienne, ranger dans les forêts du Maine. Mon rôle était de retrouver les gens qui s'y égaraient, même quand ils ne le voulaient pas.”

Est-ce que cela pouvait aider à mieux comprendre l'homme? Non, car Lucan savait redevenir ombre quand il le désirait, même en partageant des informations. Ce par quoi il se définissait, qui il était réellement, tout cela demeurait un mystère. Lui en revanche, il le savait, ça se voyait dans son regard, les yeux sombres qui ne portaient nulle haine au monde. Quelque chose en lui portait l'apaisement de quelqu'un capable de connaître son propre nom.
Il regarda le geste de la jeune femme. La barbe, la raser un peu ne ferait pas de mal en effet et Lucan considéra l'offre un instant avant d'acquiescer.

”Pourquoi pas? Si tu coupes les cheveux aussi, laisse de quoi me recouvrir les oreilles”

L'homme, détaché de tout mais qui en même temps avait une conscience bien trop forte de chacun des traits de son visage. Qu'il ne s'aimait pas était un secret de polichinelle, qu'est-ce que l'on pouvait attendre d'autre de quelqu'un d'aussi secret et à l'écart que lui, presque incapable de se mêler aux autres?
Et pourtant, avec tous les paradoxes qui étaient siens, Lucan en parlait sans honte, acceptant cela comme une épreuve de plus dans la vie.

”Quand penses-tu pouvoir me faire ça?” Il demande juste, Lucan, il n'impose pas. Et puis la peur de lui dire que de toutes manières, avec un visage comme le sien, Lucy pourra pas faire de miracles.
Ouais, il avait peur quand même finalement. Et puis il préférait rester sur le côté pratique plus qu'esthétique. Lucan n'en était pas encore réduit à mettre un bandeau dans les cheveux à la manière de ses ancêtres maternels. De toutes manières, ils manquaient un peu de plumes par ici...

”C'était donc ça ton métier.... Je suppose que tu peux protester contre les tâches que l'on te donne en relookant les chevaux, du moment que tu ne les blesses pas.”

En. MARCHANT. Lucy aurait pu en rire, mais elle n'était pas sûre du type d'humour qu'exerçait Lucan. Ou s'il faisait preuve d'humour. Elle espéra ne rien laisser transparaître sur son visage, décontenancée. Ce qui était plus simple à dire qu'à faire. Pour autant, Lucy n'était pas de nature moqueuse, ni particulièrement sarcastique … mais l'apocalypse avait forgé son caractère de telle manière qu'il lui était parfois difficile de ne pas s'amuser des situations ridicules.
Heureusement, Lucan précisa la situation, lui évitant ainsi l'embarras. Ses paroles étaient toujours brodées d'or et de mystère, sa façon de parler nimbée de nuages gris. Parfois le soleil transperçait ses paroles, parfois seule la catastrophe semblait se dissimuler au fond de son regard tempête. Essayant d'imaginer le Maine et son froid, les érables et son sirop, elle devait avouer que ces contrées lui étaient parfaitement inconnues. Sa peau ne connaissait que le soleil brûlant des terres texanes, des déserts environnants. Même si le concept lui était assez étranger, elle n'aimait pas quand le thermomètre descendait trop bas – à tous les coups, elle ne survivrait pas au climat du Nord.
Pourtant, c'est le reste de son visage qui cette fois attire son attention, une pensée qui se forme afin de contrebalancer l'heure ou deux qu'il lui avait consacré. C'était sans doute loin d'être son premier intérêt, mais elle lui proposa tout de même ses services.
La réponse, positive, eut de quoi la surprendre. Dans le bon sens du terme. Elle fronça légèrement le nez puisqu'il partait dans la mauvaise direction, mais il coupa toute réflexion en lui demandant quand elle pourrait arranger le buisson qui lui recouvrait le visage.

Quand ? La réponse ne devait pas être précipitée. Aujourd'hui n'était définitivement pas une bonne réponse. Lucan avait des cernes qui se fonçaient méchamment. Quant à Lucy, elle devait avouer qu'elle ressentait la fatigue s'installer dans son corps, également. Et personne n'avait envie de se faire raser la barbe par une femme à moitié endormie armée d'une lame finement aiguisée. Dès demain, si tu veux. Ou quand tu as un moment. Si elle pouvait échanger le crottin contre la mousse à raser, ça lui allait amplement. Malheureusement, la population du Ranch n'était pas suffisante pour l'occuper à temps plein.
Elle sourit face à la proposition de Lucan qui lui suggérait de relooker les chevaux. C'est vrai qu'ils étaient sans doute de bonnes têtes afin de s'entraîner, mais à part leur faire des tresses, elle ne voyait pas trop comment elle pourrait les arranger. Pas exactement, se vit-elle obligée de préciser. Même si elle préférait ne pas trop évoquer son passé avec un homme qu'elle considérait encore comme un inconnu, le fait que celui-ci était sans doute très loin d'être une commère penchait en sa faveur. Sans qu'elle ne veuille faire de son passé un secret, il était sans doute bien gardé entre les lippes de Lucan. J'étais esthéticienne, à Austin. Avec l'apocalypse … j'ai juste étendu mes fonctions sur la clientèle masculine. Mais je touche pas aux cheveux, à part les miens. Enfin, elle pouvait toujours réaliser une boule à zéro. Pour le reste, devenir coiffeuse était quelque chose de bien différent, selon elle. Et puis, les bikers avec qui elle était préféraient leurs cheveux longs et dans le vent, alors elle n'avait pas vraiment eu l'occasion de s'essayer sur eux.
Je ne sais pas si l'idée de relooker les chevaux pour protester silencieusement est une bonne idée. Je pourrais dire que c'est la tienne ? Faire porter le chapeau sur les autres était un beau geste de couardise … mais Lucy préférait appeler ça de la malice. Malgré le temps qu'ils avaient passé ensemble aujourd'hui, Lucy ne saurait dire si elle pouvait lui faire confiance. S'il l'appréciait ou s'il la voyait juste comme une personne lambda. Il restait encore un mystère dont les intentions certainement pacifiques n'indiquaient rien de plus personnel. La prochaine fois qu'ils se croiseraient, Lucy espérait qu'il ne l'ignorerait pas … mais d'un autre côté, elle ne pouvait négliger cette possibilité. Comme si les personnes n'étaient que fantômes, aucun plus spectaculaire que l'autre malgré les efforts.

Les regards de Lucan semblaient multiples : parfois, ses yeux étaient posés sur vous et ailleurs tout à la fois, pareil à une statue peut-être, une peinture, un tableau. Quelque chose, quelqu'un qui était là et en même temps non, comme dans un autre univers un peu plus parallèle que seul un rayon de soleil vous permettait de distinguer.
Et puis soudain, cela changeait, le regard devenait poignard, vous clouait au sol, contre un mur, n'importe. Un regard pour ses ennemis, en avait-il au ranch?
Enfin, c'était le loup, sans doute la flamme la plus étrange dans ses yeux, celle qui vous observait, vous jaugeait bien plus qu'elle ne jugeait.
Parce qu'était un loup, pour l'homme?
Qu'était l'homme pour le loup?
Et le loup regarda Lucy alors qu'elle posait sa question. Il reconnut en elle manigances et malices, parfois il fallait cela pour survivre.
L'homme se contenta de pencher la tête sur le côté, un peu, de la regarder sans ciller.

”C'est à toi d'en faire une bonne idée puisqu'elle contiendra tes envies et tes protestations. “

Il parlait sans brutalité aucune.
Un jour il y a longtemps, lorsque Lucan était encore à la fac, son coloc, bourré,l'avait comparé au grand hibou d'Ocarina of Time : un grand truc poilu, voir plumeux parce que les cheveux de l'Amérindien étaient doux, qui te donnait des conseils de tutoriel que personne d'autre te refilait sinon, et que toi de toutes manières, t'osais pas demander.
Il n'avait pas eu tout à fait tort, dans le fond...
Il avait du fumer quelque chose en plus de sa bière, aussi pour penser à un truc pareil. Surtout parce que ses bières étaient sans alcools mais bon, Lucan ne jugeait pas.

”Tout ce que je peux faire, c'est te donner des conseils : nous autres humains, nous savons nous dissimuler et nous camoufler, mais il serait intéressant que quelqu'un se demande comment faire pour qu'il en soit de même pour nos chevaux, non?”

Et puis, avec une idée dans la tête, Lucy passerait peut-être moins de temps avec ses colères. La rage n'était jamais une émotion acceptable quand il ne restait que cela, et le problème du rang, c'était qu”'on avait pas trop le temps de ressentif plus d'une émotion à la fois entre le boulot et la survie.
Il se gratta la barbe encore une fois, oui la raser un peu ferait du bien. Que la jeune fille propose demain lui allait, Lucan n'avait eu aucun mal à acquiescer.

”Je taperai chez toi dans l'après-midi, après mes propres tâches.”

Lui-même devait effectuer une part de travail conséquente au ranch, comme tout un chacun. Et puis, peut-être qu'Ari aimerait qu'il ait quelques barbes de poils en moins, non? Elle lavait toujours connu aussi broussailleux qu'un ours, après tout....

Ils étaient sur ce point d'équilibre, fragile. Une entente qui sonnait comme une trève. Certaine de marcher sur des œufs et de ne pas être totalement elle-même en la présence intimidante de Lucan. Il fallait dire que sa carrure l'aidait, même si Lucy était plutôt effrayée par sa nonchalance, sans qu'elle ne puisse se l'expliquer. Ses mots qui n'étaient pas violents, mais qui déclenchaient des ouragans. Comme un entre-deux entre le jugement divin, et la parole sacrée.
Alors Lucy se liquéfie, se perd dans les méandres de son ombre, regrette ses tentatives d'humour. Et quand elle pensait l'homme inatteignable, perdu, le voilà qui lui revenait en plein visage. Sage, avec des paroles qui pourraient lui torturer l'esprit pendant des heures. Il semblait suggérer une méthode afin de rendre les chevaux plus discrets, plus adaptés à leur environnement. Et elle avait beau considérer les choses sous cet angle nouveau, elle ne voyait pas comment elle pourrait réussir ce miracle.
Je suppose … que je peux y réfléchir, oui. Si jamais la créativité et l'intelligence absolue se penchaient sur son berceau pour lui refiler un peu d'ingéniosité, elle y penserait, oui. En attendant, elle ne voyait pas vraiment comment se rendre utile sur un problème qui n'avait jamais semblé en être un. En quoi les crins des chevaux les rendaient-ils plus vulnérables ou moins camouflés que le reste de leur corps, de leurs fers ?

Dans ce méli-mélo dérisoire, Lucy trouva réconfort dans le fait que la prochaine fois qu'ils se rencontreraient, ce serait sur son terrain à elle. Avec ses outils et son talent, des choses qu'elle pouvait contrôler, sur un domaine qu'elle connaissait. Bien. Cela me laissera le temps de tout préparer. Le plus compliqué, c'était encore de trouver de l'eau chaude. Ce qui pouvait sembler bien dérisoire, comme préoccupation majeure.
Ils en avaient fini pour aujourd'hui, fini avec les chevaux, fini avec la leçon. J'ai fini ici, je te souhaite une bonne fin de journée ! Une fin de journée qui s'annonçait sans tâche et sans chaperon. Avec un délicat sourire, elle s'esquive, glisse hors du champ de vision de Lucan, puis des écuries. Loin du crottin et de ses effluves, mais la tête remplie d'un peu plus de connaissances. Il était sûr qu'elle ne retiendrait pas tout, mais elle se souviendrait sans doute d'une bonne partie. Des conseils utiles, précieux, comme le temps qu'il lui avait consacré. Un temps que d'autres n'avaient pas pris, avant lui. Pour cela, elle lui était reconnaissante. Pour étoffer ses connaissances, son domaine de compétences. Pour comprendre un peu mieux ce qui l'entourait. Ce ranch, et les animaux en particulier, lui réservaient encore bien des secrets.