when we learn to trust (lucan/raven)

La chasse n’avait pas été très fructueuse. Du moins, si tu pouvais appeler ton excursion ainsi. Ce matin, tu avais pris la décision de quitter ton repaire afin de chercher de quoi te nourrir et, au passage, de quoi nourrir Maya, ton serpent. Ton instinct t’avait guidée jusqu’à une petite épicerie non loin du bar dans lequel tu avais élu domicile. Tu te disais que tout n’avait peut-être pas été vidé. Après tout, ce n’était pas l’endroit auquel on pensait en premier lieu ou que l’on remarquait facilement. L’ancien propriétaire ne devait pas gagner énormément avec sa petite entreprise. Mais quand tu y avais mis les pieds et que tu avais trouvé un petit paquet de chips caché dans un coin, tu l’avais tout de même remercié d’avoir existé. Néanmoins, ce n’était pas le genre de chose qui allait t’aider à survivre très longtemps. Des chips périmés… voilà une trouvaille qui n’allait pas te mener bien loin. Maya était plutôt heureuse, elle. Elle avait fini par trouver un rat et s’était mise à digérer calmement dans un coin de la pièce tandis que tu fouillais un peu partout autour de toi - te forçant à ne pas faire trop de bruit.

Une heure plus tard et après n’avoir rien déniché de plus, c’est un peu dépitée que tu décides de retourner à l’abri dans ton bar. Maya s’est logée sur tes épaules tandis que tu t’avances vers ton repaire, ton précieux sabre à la main. On ne sait jamais qui tu pourrais rencontrer sur le chemin, quelles créatures pourraient tenter de te barrer la route. En huit ans, tu as appris à ne jamais baisser ta garde, surtout lorsque tu dois te rendre d’un point a à un point b. Le seul moment où tu t’autorises de respirer, c’est lorsque tu dors - ou après avoir fait le tour de la pièce qui te sert de maison pour la nuit et jugé que personne d’autre que toi n’y avait élu domicile. Alors c’est avec vigilance que tu t’avances vers le bar. Sauf que tu t’attends à des rôdeurs, peut-être même à des voleurs - mais pas du tout à ce qu’un mec se trouve devant ton repaire. Il semble attendre quelqu’un, posé là, sans bouger. Un sourcil arqué, tu t’approches en serrant ton sabre dans ta main, prête à frapper si le besoin se présente. « Je peux t’aider ? » que tu balances alors que tu te plantes devant lui. Sur tes épaules, Maya ne semble pas vouloir bouger, ignorant tout de la situation. Traitresse. Elle doit sans doute continuer de digérer son repas, elle.

Il regardait la jeune femme droit dans les yeux ainsi que le ferait un animal, sans ciller, sans bouger. Un loup hors de sa forêt, on pouvait penser à cela en voyant Lucan, on pouvait penser à d'autres choses aussi, ou bien à rien. Rien du tout...
Il avait repéré Raven la première fois lors d'un raid, silhouette étrange comme une ombre attrapée du coin de l'oeil avant de disparaître.
Une femme avec un serpent, quel genre d'homme était-il pour visualiser ça? Avec philosophie, Lucan songea qu'il n'était jamais trop tard pour se découvrir de nouveaux fantasmes.
Curieux malgré tout, il revint plusieurs jours durant, dans l'espoir de revoir l'inconnue et de se convaincre qu'il ne perdait pas l'esprit du fait d'une trop grande abstinence.
Non, Lucan ne devenait pas fou.
Prudent, l'homme ne chercha pas à approcher la jeune femme. Si elle le repéra, elle ne sembla pas se montrer menaçante ou agressive. Les vagabonds, on en croisait parfois. Cela arrivait qu'ils rejoignent un camps ou bien l'autre. Vagabond, lui-même l'avait été... A présent, Lucan possédait un devoir envers le ranch. Un devoir de protection, et l'inconnue pouvait représenter un danger, une menace pour les cavaliers lors de raids après tout.
A lui, puisqu'il l'avait été capable de la voir, à lui d'estimer si cela était ou non le cas.

Au bout de plusieurs jours, assez pour qu'elle s'habitue à sa forme dans l'horizon de la ville, de la même manière qu'un animal s'habituerait à l'odeur d'un autre, Lucan se montra plus violent, franchissant les frontières invisibles pour l'attendre sur son lieu de vie alors qu'il l'avait vu s'éloigner un peu plus tôt.
Je peux t'aider, demanda-t-elle. Un choix de mots intéressant : ce n'était pas sa présence qu'elle questionnait.

”Ton ami semble être efficace pour éloigner les autres et te permettre la solitude.”

Il se redressa, debout plutôt qu'adossé désormais. Grand, les yeux sombres. Ils avaient tous trois les yeux sombres, elle, lui. Le serpent.
Lucan ne fit pas un pas vers elle, pas un geste, simplement immobile.

”Les gens qui sont avec moi fouillent souvent ces ruines. Si tu n'es pas un danger pour eux, il n'en seront pas un pour toi, je ferai passer le mot. Quant aux autres, d'eux, je ne peux rien promettre.”

Un pas, un seul. Plus grand qu'elle, Lucan, plus grand que tout le monde ou presque. Sa manière de bouger était celle d'un animal plus que d'un homme : neutre jusqu'à ce qu'il faille attaquer.
Neutre, Lucan l'était encore.

”Tu n'as pas pris le pire endroit....Il te reste de l'alcool?”

T’en avais déjà vu des humains qui tournaient autour de ton petit coin de la ville. Tu ne les avais pas tous repérés pour autant. Fallait dire que tu avais beau être un peu observatrice, tu n’avais pas été entraînée pour repérer le moindre mouvement. Le mec qui se trouvait devant toi à présent, qui te regardait d’un air sûr de lui - sans ciller, tu ne l’avais jamais repéré avant. T’avais sans doute pas fait attention à lui, comme tu ne faisais pas attention à grand chose. La solitude, le fait de ne devoir compter sur personne - c’était une chose qui te plaisait bien. Déjà avant l’apocalypse, tu n’étais pas le genre de personne qui portait attention à ses comparses. Tu te comptais de les ignorer royalement. Il fallait croire que ton interlocuteur n’avait pas fait exception. Sauf qu’à présent il se trouvait là, planté devant toi, et que tu te demandais bien ce qu’il te voulait. De ton expérience, le fait qu’un homme se place entre toi et ton chez toi était de très mauvaise augure. Les derniers qui avaient fait cela étaient morts. « Ton ami semble être efficace pour éloigner les autres et te permettre la solitude. » Tu jettes un coup d’oeil à la traîtresse de Maya qui dort toujours sur tes épaules avant de retourner ton attention vers l’inconnu. « Ce n’est pas son but. Juste une joyeuse coïncidence. » Tu as la nette impression qui est là, à te psychanalyser, à juger le fait que tu sois seule en compagnie de ton serpent. La sensation n’est pas spécialement agréable. D’autant plus qu’il se permet de faire un pas vers toi, ce qui te fait arquer un sourcil. Bordel mais qu’est-ce qu’il veut, lui ?

« Les gens qui sont avec moi fouillent souvent ces ruines. Si tu n'es pas un danger pour eux, il n'en seront pas un pour toi, je ferai passer le mot. Quant aux autres, d'eux, je ne peux rien promettre. » C’est pas le truc le plus menaçant, au contraire. Sauf qu’il semble partir du principe que tu sais qui il est, que tu sais qui sont les gens avec lui et qui sont les autres. Sauf que si tu as pu repérer un groupe de mecs qui se trimballent à cheval - chose pas trop compliqué à remarquer - tu ne savais pas qui étaient les autres groupes, s’il y en avait et… duquel ton interlocuteur pouvait bien faire partie. « Va falloir que tu sois plus clair sur qui est qui dans l’histoire. Ces histoires groupes et de clans… C’est pas franchement mon truc. » Sauf que tu mens, un peu. Parce que le fait qu’il fasse partie d’un groupe, d’une équipe… ça te fait un petit pincement au coeur quand même. Parce qu’il n’est pas seul. Il n’a pas à survivre. Il peut se permettre de vivre.

« Il te reste de l'alcool ? » qu’il te demande alors qu’il s’avance une nouvelle fois. Toi, tu ne bouges pas, plantée à quelques mètres de lui. Au cas où. On ne sait jamais. Tu réfléchis quelques secondes à le laisser entrer, à partager. T’es pas du genre partageuse. Sauf que t’as envie d’en savoir plus sur le fonctionnement de ces groupes dont il parle. Stratégiquement… Cela te donnerait un sacré avantage. « Il m’en reste uniquement si j’ai le droit à des explications sur les environs en échange. »

Psychanalyser? Non, Lucan évoquait juste un fait: les gens craignaient souvent les reptiles, incapables de distinguer s'ils étaient venimeux ou non. S'approcher de quelqu'un en possédant un, ce n'était pas un réflexe inné, y compris en période d'apocalypse.
Lui-même considérait le serpent en silence. Il n'en avait pas peur mais savait que sa simple présence ne le poussait pas, lui, à parler du ranch à la jeune femme.
Les chevaux n'y étaient plus craintifs, par la force des choses, cependant imposer aux pauvres bêtes la présence d'un reptile en demandant à Raven de les rejoindre, cela lui semblait beaucoup.

”Je demandais pour toi, l'alcool. C'est triste de vivre dans ce genre de lieux si les étagères sont vides.”

Elle voulait en savoir plus, évidemment. Rester seul, c'était mourir, mais les groupes pouvaient représenter tout autant de danger que les rôdeurs parfois. Alors, avec son calme coutumier, Lucan chercha la meilleure manière de dire les choses et de raconter les alentours sans pour autant laisser passer la moindre véritable information.
Etait-elle réellement seule après tout? Donner assez de détails pour attaquer le ranch, simplement pour une paire de beaux yeux serait une erreur de débutant.

”On est plusieurs groupes à se tolérer sur le territoire, avec ce que cela compte de rivalités et d'alliances. “
Et chacun des leur était également capable de se défendre. Elle, d'où venait-elle? La conversation ne durait pas depuis longtemps, et Lucan ne pensait pas reconnaître la trace d'accent d'un état quelconque. Lui-même gardait encore parfois les intonations du Maine, le savait, et surprenait encore avec les mots de là bas.
A vrai dire, il surprenait plus lorsqu'il parlait le patois du Maine que l'ojibwa ou le cree.

”Tu peux te faire une place dans n'importe lequel d'entre eux, si tu as quelque chose à y apporter et que tu acceptes également les sacrifices.”

De la même manière que lui-même avait sacrifié sa solitude. Il avait à présent des amis pour lui apporter du réconfort, des ennemis également pour lui rappeler qu'il lui restait un coeur tout en le brisant, et si l'ombre des arbres et le silence des forêts lui manquaient parfois comme une blessure ignoble, il ne se plaignait pas.

”Je suis un cavalier. “

Bien que son cheval soit en dehors de la ville ; les environnements urbains avec les sabots résonnant sur le bitume n'étaient pas fait pour leurs montures, hors cas exceptionnels. Perdre un cheval, cela se payait cher...

”Lucan Longshadows'”

Il pouvait au moins lui offrir son nom, après tout.