road 66 | lenny

Route 66, Texas, Octobre 2012

La tête contre la vitre, les yeux fermés, Idyl essayait tant bien que mal de dormir. Entre les secousses, et le bruit de moteur, difficile de trouver le sommeil dont elle avait pourtant besoin. Elle y était presque, quand elle entendit le bruit de grésillement caractéristique d’une enceinte qu’on allumait. Elle soupira, ouvrit les yeux et se redressa sur son siège, abandonnant l’idée de pouvoir trouver du repos. Elle tourna la tête pour lancer un regard désespéré au conducteur alors que la musique, de la bonne vieille country, commençait à résonner dans l’habitacle du Humvee. L’homme ne tourna même pas la tête pour lui annoncer simplement, un sourire en coin : “Va pas me dire que t’arrives à pioncer en offroad” au même moment, une secousse plus forte se fit ressentir, comme pour souligner ce qu’il venait de dire. Il ajouta, juste après : “Même si tu dormais, fallait que je te réveille. On est sur site dans dix minutes” elle ne lui répondit pas, se contenta d’un signe de tête pour lui indiquer qu’elle l’avait entendu, et elle se laissa un peu glisser sur son siège. Elle regarda droit devant elle, et, à travers le pare-brise sale et le flou de chaleur, elle pouvait effectivement voir la station-essence qui avait été transformée en checkpoint.

Une fois sur place, Connor, le conducteur et binôme d’Idyl, contourna les gabions de sable disposés tout autour du site pour passer à nouveau sur la route. Si les barrières routières étaient ouvertes, le portail grillagé de la partie qui servait de garnisons aux militaires du checkpoint, la station essence en elle même, était encore verrouillé par des chaînes cadenassées. Alors qu’Idyl s’apprêtait à lui demander comment il allait procéder, il poussa sur l’accélérateur. Sans trop d’effort, le 4x4 militaire défonça le portail et ils se retrouvèrent à l’intérieur.
L’endroit, tout comme la route d’ailleurs, était désert. Une couche de sable recouvrait déjà le goudron un peu partout, alors que qu’il s’était incrusté sur les vitres dont aucune n’était cassée de la station essence. Trois tentes militaires étaient encore là, mais, le vent agitait leurs tentures laissées ouvertes. Il ne restait rien, si ce n’est le mobilier militaire ; quelques lits picots, des tables dépliables, des chaises. Le reste avait été emporté.
L’homme descendit directement, alors qu’Idyl était condamnée à rester dans la voiture pour l’instant. Elle passa à l’arrière, où elle s’empressa d’ouvrir la trappe circulaire pour y émerger et s’y poster, son fusil dans les mains. Elle se posa sur le petit rebord prévu à cet effet, alors qu’elle esquissait une grimace. Elle avait fait l’erreur d’un peu trop appuyer sur une jambe, alors qu’elle s’était faite une entorse à la cheville une quinzaine de jours plus tôt. Ils ont donc passer une dizaine de jour en forêt, mais, Connor ayant suspecté une activité humaine aux alentours, ils ont levé les voiles pour éviter les problèmes.

Et c’est ici que l’ancien seal avait décidé qu’ils allaient rester là quelques jours, afin qu’elle puisse terminer de récupérer. L’endroit avait été fortifié et avait servi de poste d’opération avancé, les alentours étaient déserts ; la première ville étant à une vingtaine de kilomètres de là. Le seul problème était qu’il avait été probablement complètement nettoyé par la garde nationale à son départ, et, effectivement, c’était le cas. Pour ne pas gâcher ce temps à ne rien faire, Connor décida de partir faire de la récupération en même temps que de la reconnaissance le deuxième jour.

Allongée sur un des lits picots, Idyl se réveilla en sursaut. Elle n’était pas supposée dormir en son absence ; elle était supposée monter la garde sur le toit du bâtiment. En l’occurence, elle était bel et bien où elle était supposée être, protégée du soleil par un abri de fortune. Elle regarda sa montre ; elle dormait depuis probablement une heure, et avait manqué un check-up avec son partenaire. C’était justement son talkie-walkie qui venait de la réveiller, alors qu’elle entendait un code en morse. Elle n’a pas besoin qu’il termine pour comprendre ce qu’il demande. RPRT. Report. C’était Connor, qui lui demandait son statut. Elle saisit l’appareil, un peu fébrile, et ne tarda pas à répondre en appuyant sur le bouton de transmission sans pour autant parler. Long, court. Court, court. Court, long, court, court. NIL, soit l’abréviation qu’il lui a enseigné pour dire qu’elle n’avait rien à signaler. Son message transmis, elle reposa son talkie et souffla. Elle commença à réfléchir  à comment elle allait justifier sa sieste, quand elle entendit la voix du bonhomme lui annoncer : “Je suis sur le retour, j’ai de la compagnie. Over and out” Elle s’apprêtait à répondre, mais se ravisa finalement.

Deux heures plus tard, donc, elle se retrouvait en bas du mur de gabions, entendant des bribes de discussion venant de l’autre côté. L’ancienne pilote attendait sagement, les bras croisés, qu’ils escaladent la fortification qui leur permettait de dormir relativement sereinement. Elle entendait les grilles métalliques qui se tendaient sous le poids de quelqu’un, puis, vit émerger une tête du haut du mur ; pas celle de son ami, mais celle d’une brune. Pour l’accueillir, Idyl se contenta de lui faire un coucou de sa main. Elle resta silencieuse, puis, face à la situation, décida de lui donner un conseil : “Balance ton sac, ce sera plus simple pour descendre” elle parlait d’expérience, elle qui s’était niquée une cheville en sautant d’un mur et en ratant sa réception à cause du poids supplémentaire de son sac. Elle fit un pas en arrière, mettant la main qui lui avait servie pour la saluer en visière afin de tenter d’y voir quelque chose, alors que l’autre devait maintenant désescalader le mur de presque trois mètres.

+ texas, route 66. (octobre 2012)

La voiture cahota, crachota avant de finir par s’arrêter, quelques mètres plus loin. Lenny souffla un juron, donnant un coup dans le volant. C’était bien sa veine, ça ! Elle pensait avoir pourtant prévu assez d'essence pour faire le trajet aller-retour sans aucun problème ㅡ visiblement, elle s’était trompée dans ses prévisions, ou le problème était ailleurs.  Elle en saurait plus en faisant un tour du véhicule ; Lenny attrapa rapidement ses affaires et jeta le sac à dos sur ses épaules avant de sauter hors de la voiture.
Il n’y avait personne à des kilomètres. Elle avait beau observer les alentours, il n’y avait pas âme qui vive. Elle avait eu la brillante idée de partir en solo alors Milan l’avait suppliée de ne pas le faire. Têtue comme une mule, elle ne l’avait pas écouté et s’était embarquée dans une escapade solitaire plus au nord. Au moins, elle ne mettait personne inutilement en danger : mais cela voulait aussi dire que, dans des cas pareils, Lenny était livrée à elle-même et ne pouvait compter que sur ses compétences pour revenir en un seul morceau.  La jeune femme donna un coup de pied rageur dans l’automobile, sachant pertinemment que s’énerver sur l’engin ne changerait absolument rien. Elle termina de regrouper ses affaires, passant la sangle de son arme autour de son épaule. Lenny jeta un dernier regard à la voiture. Avec un peu de chance, elle trouverait une station essence miraculeusement intacte et retrouverait sa voiture exactement où elle l’avait laissé et pourrait rentrer sans trop de retard. Rien que d’y penser, elle avait déjà des doutes. Avant de partir, la jeune femme étudia la carte avant de choisir une direction. La ville la plus proche était assez loin, mais elle n’avait pas d’autres idées où aller. En ville, peut-être qu’elle trouverait de quoi repartir; c’était mieux que de rester les bras croisés à attendre que les heures passent.

Elle ne savait pas depuis combien de temps elle marchait, longeant le bord de la route. Le paysage ne changeait pas vraiment; Lenny commençait à croire qu’elle avait déjà vu ce même buisson quelques heures plus tôt. Elle commençait aussi à remettre en cause ses choix. La voix de Milan lui intimant de rester à Olympia et de ne pas se lancer dans une quête impossible résonnait encore dans un coin de son crâne et, faute de compagnie, Lenny n’avait aucun moyen de l’ignorer.

Plissant les yeux, il lui semblait bien voir un 4x4 s’approcher ㅡ Lenny s’arrêta pour l’observer, espérant que, peu importe qui était à l’intérieur, ce soit quelqu’un d’assez charitable pour stopper et lui rendre service. C’était un risque à prendre, mais, de toute façon elle n’avait pas vraiment d’autres solutions sous la main. Elle leva son bras pour faire signe au conducteur.
La voiture ralentit, s’arrêtant non loin d’elle. Première surprise. Elle s’attendait vraiment à ce qu’il trace la route sans un regard à la pauvre jeune femme sur le bas côté. Néanmoins, on était jamais trop prudent : Lenny porta la main à son arme, l’ayant à portée de main immédiate au cas où les choses ne se passeraient pas bien. Il n’y avait pas de raison, mais elle ne préférait pas avoir de mauvaises surprises. Alors qu’elle s’avançait pour réduire les quelques mêmes qui la séparait de la voiture, le conducteur en sortit au même instant.  « Connor ? » lâcha-t-elle d’un ton surpris. Des visages familiers, en plein milieu d’une route déserte du fin fond du Texas, ce n’était pas courant. Surtout, des visages issus d’un passé qui semblait appartenir à une autre vie. Cela ne l’étonnait pas vraiment qu’il ait survécu jusqu’à présent ; bien qu’elle ne le connaisse que très rapidement car il n’était pas resté des mois et des mois à Aspen, c’était assez long pour avoir une idée de la personne. L’ancien seal avait d’ailleurs l’air tout aussi surpris qu’elle de la croiser ici. Lenny relâcha sa prise sur la crosse de l’arme, soulagée. « Parle d’un deus ex machina. Sans toi j’allais encore marcher pendant je sais pas combien d’heures. » lâcha-t-elle avec un léger rire. Lenny soupira, avant d’expliquer plus en détail. « Ma voiture est en panne. Je cherchais à rejoindre la ville pour trouver de l’essence, ou une autre voiture s’il y a ? » Il secoua la tête. « J’en viens, tu trouveras rien, le plus gros a déjà été récupéré. » Merde, songea-t-elle. Ça ne l'arrangeait pas.  Alors qu’elle se mordait la lèvre et réfléchissait déjà à une autre solution, Connor reprit.  « Monte. » lui fit-il finalement, après avoir réfléchi. « Je rentre, tu peux rester là et trouver quoi faire après. Tu seras plus en sécurité. » C’était largement plus que ce qu’elle espérait ; Lenny ne se fit pas prier plus longtemps et grimpa à l’intérieur du 4x4, profitant de cette pause pour se désaltérer. Son regard allait et venait de la route à Connor, alors qu’il contactait par talkie-walkie son binôme. Elle resta un peu silencieuse, la tête appuyée contre la vitre alors qu’ils reprenaient la route.

Après quelques heures de route, ils arrivaient. Lenny se dégourdit rapidement les jambes avant d'entamer l’escalade du mur que Connor lui avait indiqué. Elle n’avait pas particulièrement de compétence en escalade, mais ses vieux restes de crapahutage lorsqu’elle était enfant était toujours utile. Elle se hissa sans trop de problème le long du mur, s’aidant des grilles. D’en bas, une silhouette se dessinait et lui adressait la parole. Lenny lui adressa un bref sourire avant de répondre d’un même geste de main. « Ah, ouais. Pas bête. » fit-elle avec un hochement de tête avant de se débarrasser de son sac. Il n’y avait de toute manière rien de bien précieux qui craignait une chute ㅡ  et il valait mieux que ce soit lui qui subisse l'atterrissage forcé plutôt qu’elle-même. Une fois allégée de ce poids supplémentaire, Lenny entama avec précaution sa descente et elle sauta les derniers quelques centimètres qui la séparait de la terre ferme. Elle ramassa ses affaires avant de se tourner vers la brune. « Lenny. Salut. » déclara-t-elle en guise de présentation ; il n’y avait pas besoin d’en faire des tonnes et autant aller directement à l’essentiel. « C’est toi qui lui tient compagnie alors ? » Lenny désigna d’un geste l’homme qui finissait par les rejoindre, descendant à son tour.  « Plutôt sympa, votre campement. » Et bien protégé, c’était le cas de le dire.

Sans un mot, elle commençait à tendre les bras quand elle vit le sac s’écraser à quelques centimètres d’elle. Lentement, elle baissa la tête pour le regarder, puis la leva pour regarder la femme qui descendait. Elle aurait bien voulu lui donner un coup de main, mais elle restait une handicapé pour l’instant, et, à part se ridiculiser, elle ne serait pas arrivée à grand chose. Elle répondit directement, quand l’autre se présenta, en annonçant d’un ton amical : “Haw… euh, Idyl” elle marqua un temps d’arrêt, puis haussa les épaules et reprit : “Ou Hawkins, comme tu préfères” Connor l’appelait Idyl quand il était de bonne humeur, et Hawkins quand elle avait fait une connerie.

En l’occurence, elle le regardait descendre ce mur en écoutant la question de l’autre. Si elle le côtoyait tous les jours, elle restait étonnée face à son agilité. Ce type était une machine qui ne tarda pas à les rejoindre. Mais avant ça, Idyl put répondre à l’autre, en tournant la tête pour la regarder avant de lui dire très simplement : “Ouais, c’est plus ou moins à tout ce que je sers” elle le pensait à moitié. Si elle était en vie, c’est parce que ce type faisait tout ; le ravitaillement, la planification, le campement, le combat, le café, même. Ce dernier reprit directement Idyl, en lui annonçant d’un ton faussement sérieux : “Nan, tu fais ta part ; le ménage et la cuisine” elle arqua un sourcil, perplexe face à son intervention, alors qu’il la jaugea de haut en bas et commença à la réprimander : “T’es sérieuse, Hawkins ? Arrête de te balader sans béquille” au moment où elle voulut se justifier, et avant qu’elle ne puisse réagir, elle fut soulevée et hissée sur l'épaule du bonhomme comme un vulgaire sac à patate. Elle hésita à essayer de résister, mais c’était stupide. Déjà, parce qu’elle risquait de se faire mal. Ensuite, parce que le type pesait le double de son poids et la dépassait d’une ou deux têtes.

C’est donc résignée qu’elle se laissa transporter jusqu’au magasin de souvenirs, où ils s’étaient installés et barricadés. Il poussa la porte de la boutique, dont l’intérieur n’était pas visible ; la première chose qu’ils avaient fait étant de recouvrir les vitres de draps pour justement éviter d’être vus. L’homme alluma une lampe, qu’il posa sur le comptoir du magasin, alors qu’il posait plus ou moins délicatement Idyl à côté. Elle le remercia donc : “Merci, connard” l’homme pouffa de rire, posa sa main sur sa tête, ébouriffa ses cheveux avant de lui tapoter le crâne. Il prit ensuite la parole : “Installe toi tranquille et repose toi, Lenny. Je vais aller faire un petit tour du périmètre, restez sage. Et ne vous entre-tuez pas” Idyl lui lança un regard qu’elle tenta de rendre furieux, sans y parvenir, alors qu’il leur tournait le dos et se dirigea vers la sortie. L’ancienne pilote n’attendit pas pour annoncer à l’autre d’un ton clairement humoristique : “Si tu te moques, je te tue ma grande” avant de lui adresser un sourire, de passer sa main derrière le comptoir, et d’en sortir une barre chocolatée “Chocolat ? ça ressemble plus à grand chose, ça n’a que vaguement le goût originel, mais c'est pas encore tout à fait dégueulasse donc ça passe” demanda-t-elle d’un ton léger. Elle était contente de voir un visage nouveau ; et étonnée de voir que c’était Connor qui la ramenait. à la base, s’ils ne restaient qu’à deux, c’était à cause de lui. Et elle était curieuse de savoir qu’est-ce que cette femme avait de spécial.

+ D'un geste, Lenny épousseta le sable et la poussière qui s'étaient déposés sur son sac, avant de le remettre sur ses épaules. La descente s'était montrée plus simple qu'elle ne le pensait, mais Lenny était bien contente d'être maintenant sur la terre ferme et à l'abri, protégée derrière ce mur qui ne laisserait pas passer le premier venu. Elle adressa un sourire à la jeune femme. « Idyl. » répéta-t-elle. « C'est joli, j'aime bien. » Pas courant, certes ; mais joli quand même. Lenny se décala pour ne pas gêner la descente du suivant, observant l'aisance avec laquelle il s'en sortait. Elle en était presque jalouse. Heureusement, Idyl attira rapidement son attention. « C'est déjà pas mal. » commença Lenny en plaisantant, mais ne continua pas, préférant observer ses deux nouveaux compagnons de survie ㅡ du moins, pour cette nuit ㅡ et comment Connor hissa sans aucune peine la jeune femme sur son épaule. Elle emboîta le pas immédiatement. Elle n'avait pas envie de passer pour un poids et de traîner inutilement, alors qu'il l'accueillait gracieusement. Une fois à l'intérieur, Lenny déposa son sac à dos dans un coin, s'appropriant un peu d'espace. Des yeux, elle fit un rapide tour de la pièce et fut surprise de voir l'ancien magasin en si bon état. Des boutiques de la sorte, elle en avait vu des tas, mais rarement transformés en camp aussi barricadé. Ce lieu avait sans aucun doute sa propre histoire mais, pas une qui se révélerait en un coup d'oeil. Sans trop savoir où aller, elle suivit automatiquement ses deux hôtes jusqu'au comptoir de la boutique ; Lenny ne savait pas trop où se mettre, comme lorsque adolescente, elle visitait pour la première fois la maison d'un ami. Un sentiment qu'elle ne pensait pas ressentir de nouveau ㅡ et pourtant.

Lenny afficha un petit sourire amusé. « Merci, t'inquiète, on est sages. À plus tard, alors ? » lança-t-elle. Les échanges entre les deux la fascinait ; elle se demandait comment ses deux là s'étaient retrouvés à voyager ensemble et quel genre de relation s'était développé entre eux. Elle trouvait que, depuis l'épidémie, des petits groupes se formaient alors qu'ils n'auraient jamais traînés ensemble si le monde était resté tel qu'il était avant. Lenny était donc curieuse de voir quel genre de personne était la jeune femme ㅡ Idyl, si elle avait bien retenu son nom ㅡ et comment elle avait atterri ici.
Elle eut un petit rire. « Promis, c'est pas mon genre. » répondit-elle légèrement, son regard balayant plus en détails l'ancienne boutique devenue maintenant refuge. Elle n'allait pas se moquer de ceux qui lui tendaient la main pour l'héberger ; même si Idyl n'avait pas réellement choisi sa présence. Lenny se hissa sur le comptoir pour s'y asseoir, à côté d'Idyl. « Du chocolat ! Même si la date limite de conso est sûrement bien dépassé, je dis pas non. » Elle pouvait bien s'autoriser une petite gourmandise, même si ce n'était sûrement pas aussi bon que dans ses souvenirs. Cela changerait radicalement, sans aucun doute, des boîtes de conserves insipides dont elle se contentait lorsqu'elle était sur la route comme actuellement. « Je suis surprise qu'il en reste encore. Je pensais que tout aurait été dévalisé depuis un moment. » Il fallait croire que les gens avaient eu un minimum de logique en vidant l'endroit, ne prenant que les choses réellement utiles et pas des cochonneries sucrées qui ne calerait aucun estomac criant famine. Déjà, la jeune femme déballait le paquet et mordit sans plus attendre dans la barre chocolatée. « Écoute, c'est meilleur que ce à quoi je m'attendais. » Un peu de réconfort dans son manque de chance. Lenny repensa à sa voiture abandonnée au bord de la route, à sa quête sans fin pour retrouver sa famille et elle soupira un peu. Mâchonnant distraitement la barre, elle releva les yeux vers la jeune femme. « Tu t'es fait quoi ? Il a mentionné des béquilles tout à l'heure ? » Peut-être un peu trop curieuse, Lenny ne pouvait s'empêcher de demander ce qu'il lui était arrivé. Chacun avait son lot de péripéties. « Ca fait longtemps que tu le connais ? Connor, je veux dire. » ajouta Lenny.  

Ravie de voir l’autre saisir son cadeau de bienvenue, Idyl lui fit un clin d’oeil d’approbation. Elle resta assise sur son perchoir, alors qu’elle prêtait une oreille à l’autre qui ne manqua pas de s’installer à ses côtés. Elle ne put s’empêcher de commenter, à propos des barres de chocolat : “Suffit de savoir où chercher. Et, j’t’avais prévenu, pour le goût bizarre, mais ça reste du chocolat” en parlant, elle ouvrait sa propre barre et en prenait une première bouchée qu’elle avala avant de rajouter : “C’est presque aussi rance que les chocolats de ma grand-mère… Souvenirs, souvenirs” m’enfin, les chocolats en question était généralement périmés d’au moins une demi-douzaine d’année. Mais, petite, elle les mangeait pour lui faire plaisir. Elle était docile, à l’époque ; une gamine adorable et obéissante. Mais c’est la mort de sa mamie préféré qui signa le début de sa dissidence et de sa tendance à se rebeller contre l’autorité ; bref, qui signa le début d’une adolescence anticipée. Elle secoua un sa tête de gauche à droite pour en dissiper ces souvenirs et l’amère nostalgie qui y était liée, alors que l’autre lui posait ces questions concernant elle et Connor.

Elle poussa un soupir en levant sa jambe blessée. Enfin, blessée. Elle ne s’était fait qu’une entorse de la cheville, mais elle en serait morte sans l’aide de Connor. Elle agita son pied, annonçant avant de répondre en levant son autre jambe : “J’ai l’air conne quand même, non ?” basket sur un pied, ranger sur l’autre ; son style était unique au moins. “Je le suis quand j’y pense. En traversant une ville, on est tombé sur un parc pour enfant. J’suis montée sur une des structures, et j’me suis cassée la gueule en sautant” à cause du poids de son sac, justement. Elle esquissa un sourire désolé de sa propre stupidité, et haussa les épaules en relevant les bras tout en rabaissant ses jambes.

Elle se tut un instant, puis se souvint que son interlocutrice avait posé deux questions. Elle n’avait aucune raison de faire du mystère, alors elle annonça tout simplement : “Depuis un an, environ. On se connaissait vaguement de vue, avant, mais on a réellement commencé à se connaître quand j’ai été réaffectée au transport de troupe” plus le temps avait passé sur le Nimitz, plus il était difficile de ne pas connaître l’équipage de ce dernier. D’un effectif initial de plus de 5000 hommes, ce nombre n’a cessé de décroître, et au moment du crash de leur hélicoptère, le navire était trop en sous-effectif pour être efficace à cent pour-cent, et ne comportait plus qu’environ un millier de membres d’équipage. D’où le fait qu’aucune opération de recherche n’a été menée ; ils étaient considérés comme KIA au mieux, déserteurs au pire. Idyl était parmi les dix derniers pilotes d’hélicoptère à être restés, les autres ayant déserté au fur et à mesure.  Elle rajouta pour que l’autre puisse un peu mieux comprendre : “J’étais pilote, et son escouade faisait de la reco et du ravitaillement sur le continent. On était tous les deux militaires sur l’USS Nimitz ; un gros porte-avion en d’autres termes” avant de continuer de grignoter sa barre, un peu lasse d'avoir monopoliser la parole, elle lui retourna très simplement la question : “Et toi ?”

+ Prenant une nouvelle bouchée, Lenny afficha un petit sourire. Si personne ne l’accompagnait avec elle dans son voyage, ce n’était pas parce qu’elle aimait bien être seule. Au contraire, elle préférait de loin être entourée de personnes et appréciait discuter ainsi, même de tout et de rien. Cela lui changeait de la solitude et du bruit de fond du moteur de la voiture comme seule compagnie. « Je devrais peut-être faire un stock et en ramener. Ca fera sûrement plaisir à quelques personnes. » fit-elle, finissant d’avaler pour ne pas parler la bouche pleine. Cela ne faisait pas du tout partie des indispensables à ramener à Olympia, mais cela remonterait sans aucun doute le moral des habitants. Le chocolat, même la date de consommation dépassée, était plutôt réconfortant. Mais elle n’allait pas dévaliser ceux qui l’hébergeaient ainsi. Elle trouverait peut-être une autre station où quelques barres chocolatés auraient été miraculeusement épargnés par les pillards. « En vrai, j’adorerais de quoi trouver de quoi faire des chocolats chaud. » réfléchit-elle à voix haute, plus pour elle-même que pour Idyl. Trouver du chocolat en poudre, c’était encore possible mais elle aurait tout donné pour un vrai chocolat chaud, avec du lait et de la crème ; pas ceux à l’eau. Elle resta un peu pensive, mais pas trop longtemps ㅡ plus intéressée par ce qu’il était arrivé à la jambe de la jeune femme que par un chocolat chaud qui ne resterait sûrement qu’un rêve.

La jeune fille réprima un rire, ne voulant pas se moquer de la mésaventure d’Idyl. « Ca arrive à tout le monde. » Fit Lenny d’un ton léger. Des chutes aussi idiotes, elle en avait des tas, elle aussi. Elle haussa les épaules, avant d’en partager une en particulière, qui lui venait à l’esprit. « Tu sais, une fois, j’ai terminé dans un mur à vélo parce que j’ai été emportée par le poids d’un sac à dos. » Cela commençait à remonter à quelques années déjà ㅡ à l’époque où elle était encore étudiante, sur le campus de l’université du Texas. Maintenant, elle en riait volontiers, mais sur l’instant, les quatre fers en l’air, une vilaine égratignure sur le front et la chaîne du vélo complètement déraillée, Lenny ne faisait pas la fière. L’alcool était sûrement à blâmer dans cette situation, mais Lenny s’était sentie très idiote avec son pansement sur le front les jours qui suivirent. Elle poussa un petit soupir nostalgique en terminant sa barre. « Au moins, tu n’es pas toute seule. » Se trouver à devoir sautiller à cloche pied quand on était seule pour survivre était le bon moyen de finir en amuse-gueule pour rôdeur à la première opportunité. Heureusement pour Idyl, elle était plutôt bien accompagnée et ne risquait pas de finir ainsi de si tôt.

Elle écouta attentivement la réponse de la jeune femme, curieuse d’en savoir plus sur leur duo, mais aussi sur Idyl elle-même. « Pilote, sympa. » commenta un peu la jeune brune. Elle n’avait jamais trop côtoyé de militaires; l’endroit où elle avait plus vu de militaires en ses quelques années d’existence était à la frontière mexicaine, au début de l’épidémie. Coincée dans la zone de quarantaine qui l’empêchait de rentrer chez elle, Lenny avait eu tout le loisir de faire connaissance avec quelques soldats. Mais ce n’était pas là qu’elle avait rencontré Connor. Lenny reprit, tout en jouant distraitement avec le papier d’emballage. « Mes parents avaient un gîte dans une station de ski et j’aimais bien parler avec les gens qui venaient passer leur vacances là. Il est venu quelques fois ? Bien sûr, c’est pas quelqu’un que je connais énormément mais… » Lenny laissa sa phrase s’évanouir sans la terminer immédiatement. « On discutait parfois. » Il fallait croire qu’elle l’avait assez marqué pour qu’il se montre aussi accueillant et généreux. Ou alors… Une hypothèse se forma dans l’esprit de Lenny, qui se tourna un peu vers la brune, un éclat d’espoir dans le regard. « Vous avez croisé d’autres personnes dans le coin ? Par exemple, un brun, des tâches de rousseurs, l’air gentil ? » Cela devait paraître complètement soudain pour Idyl, mais Lenny était déjà en train de se faire un film. Et si son frère était tombé sur Connor, lui aussi ? C’était peut-être pour ça quand la voyant, il l’avait ramené ici. Pour rendre service à son frère. « C’est mon frère. » Expliqua enfin la jeune fille, se rendant compte que tout ça ne devait pas avoir l’air très logique. « Je le cherche. C’est pour ça que j’étais en route, avant de tomber en panne. » ajouta-t-elle. Il était sûrement passé dans le coin. Et si Connor et Idyl l’avaient croisés, alors elle était plus proche du but que jamais. Elle espérait vraiment qu’Idyl lui répondrait positivement.

Idyl se contenta d’un sourire un peu perplexe au moment où l’autre la faisait relativiser en partageant son expérience. Elle baissa légèrement son menton, en signe d’approbation, alors qu’elle énonçait cette triste vérité. Sans l’autre militaire, elle serait probablement morte. Seule, la moindre erreur était potentiellement fatal ; même un simple putain de rhume. Un éternuement au mauvais moment pouvait signer son arrêt de mort. Elle avait de la chance, de s’être boîtée ainsi en compagnie de Connor. S’il l’avait sauvé, il l’avait fait en lui expliquait ce qu’elle devait faire dans l’hypothèse où elle était toute seule. Se stabiliser. Se mettre en sécurité. Attendre. Mais avant tout, le plus important était de se préparer au mieux. C’est depuis ce jour qu’elle se promenait avec de quoi bricoler une attelle ou un garrot en cas de pépin. Et c’est grâce à cette préparation qu’elle survivra plus tard ; grâce à Connor.

En attendant, elle ne manqua pas d’étirer un peu plus ses lèvres, cette fois de nostalgie, alors que l’autre répétait le métier qu’elle avait la chance d’exercer. Maintenant vouée à rester coincée sur le plancher des vaches, elle avait peur de ne plus jamais ressentir le sentiment de toute puissance et de liberté qu’elle avait dans les airs.
Elle écouta attentivement l’histoire de cette rencontre. Le ski, elle savait en faire, mais sans plus ; mais elle ne savait pas que son binôme était un amateur. Elle réalisa à ce moment là qu’elle ne le connaissait pas aussi bien qu’elle devrait, après tout le temps qu’elle avait passé avec. C’était peut-être l’effet apocalypse, au final ; et au moins, elle le connaissait réellement. Elle savait plus ou moins comment il résonnait, de quoi il était capable, et ça lui suffisait. Le passé, s’il pouvait être révélateur, pouvait être aussi bien trompeur.

Face à la question de la jeune femme, le sourire d’Idyl s’effaça. Elle réagit, d’abord, en demandant assez perplexe : “Toute seule ?!” pas forcément parce qu’elle n’avait pas l’air de se débrouiller, mais surtout pour les raisons mentionnées plus haut. La solitude, c’était le danger. Mais elle secoua sa tête, haussa ses épaules, désolée, avant de se concentrer sur ce qui était réellement important. En poussant un soupir, elle lui annonça : “Même si la description est très générale, ça me dit rien. Navrée, vraiment. T’as même pas une photo, pour t’aider dans tes recherches ?” elle leva alors la main pour l'empêcher de répondre et la stopper dans ce qu'elle allait entreprendre. Elle ajouta alors, en parlant un peu plus vite : “Si c’est le cas, tu devrais surtout la montrer à Connor. C’est lui qui parle, déjà, et ensuite, il a une mémoire de dingue pour les visages” elle haussa les épaules avant de rajouter : “Après, j’vais pas te cacher que s’il est mignon, j’l’aurais pas oublié, donc si t'as, montre” elle esquissa un léger sourire, espérant que l'autre ait ce petit morceau de papier qui pourrait augmenter grandement ses chances d'avoir un signalement véridique sur le devenir de la personne recherchée.

+ Lenny se persuadait toute seule. Rien n’indiquait que Nino était effectivement passé par là, ni même qu’il avait croisé la route de Connor et Idyl ㅡ pourtant, elle avait envie d’y croire, même, elle y croyait déjà. Elle ne voyait pas pourquoi, sinon, Connor l’aurait mené jusqu’ici. Il aurait suffit de remplir le réservoir de la voiture pour qu’elle se remette en route et basta, l’histoire était close. Non, il y avait forcément une autre raison. Et si Lenny prit peur quelques instants en voyant le sourire d’Idyl disparaître, elle eut un petit soupire soulagé quand cette dernière ne repoussa absolument pas ses espoirs. Ce n’était pas une raison pour autant pour se précipiter. «  Oui, toute seule. » Elle marqua une pause. Ce n’était pas très prudent ㅡ elle entendait déjà son copain, son meilleur ami, lui répéter que c’était idiot, inconscient, dangereux.  Comme si elle n’était pas au courant, comme si elle était une enfant qui ne savait pas ce qu’elle faisait. Lenny avait presque envie de lever les yeux au ciel en y repensant. Si personne ne voulait l’accompagner et pensait qu’elle courait après des fantômes, tant pis. Elle continuerait ses recherches seule. Elle n’avait pas besoin d’eux, après tout. « Ils pensent que je ne vais jamais le retrouver, alors voilà, je suis toute seule. » Néanmoins, elle afficha rapidement un petit sourire. « Tant pis, ils ont pas de chocolat, eux. » Mais elle avait failli passer la nuit toute seule dans une voiture en panne. Un détail qu’elle se passa bien de mentionner.

Une photo, évidemment. Elle se sentait presque bête de ne pas y avoir pensé avant; une photo valait mieux que des mots. Et elle se félicita d’avoir penser à ramasser la photo de famille dans leur maison, à Aspen. Elle ne l’avait prit que pour garder un petit bout de chez elle avec elle en permanence, mais il fallait croire qu’elle allait avoir une autre utilité, cette fois. « J’ai une photo, oui. » Lenny sauta alors du comptoir pour attraper son sac à dos qu’elle avait abandonné près d’un présentoir qui ne présentait plus rien du tout. Elle fouilla dans son portefeuille pour attraper la photo soigneusement pliée, bien qu’un peu brûlée sur les bords. La jeune femme retourna vers Idyl, lui tendant la photo et désignant Nino. « Je la montrerais à Connor, aussi, mais déjà, voilà. C’est lui, le grand. La photo est un peu vieille, mais ça donne une idée. » C’était déjà mieux que rien, en tout cas. Elle releva les yeux vers la brune, dans l’espoir de voir qu’elle le reconnaissait. « Ca fait des mois que je le cherche mais… Je suis sûre qu’il est vivant. » Elle commençait à avoir l’air désespérée, quand elle s’écoutait.  Lenny se mordit un peu la lèvre avant de se recoiffer, pour se donner un air plus détaché, comme si elle n’était pas en train de parcourir tout le Texas à la recherche de maigres indices. « Mais bon, si tu ne l’as pas vu, c’est pas si grave. » ajouta-t-elle comme pour rassurer l’autre. « Je demanderais à Connor, peut-être qu’il l’a vu mais ne te l’as pas dit. » Ou alors, Nino n’avait jamais été dans le coin et elle se faisait des espoirs pour rien. Mais Lenny repoussa cette pensée rapidement.  

Alors qu’elle regardait l’autre chercher dans son sac, Idyl se laissa penser qu’elle était contente d’être née fille unique au final. D’avoir eut des parents distants, et une existence plutôt solitaire. Au moins, elle ne se retrouvait pas dans la situation de cette pauvre femme. Elle n’allait pas lui annoncer que c’était une cause perdue, qu’elle n’avait presque aucune chance de le retrouver non plus. Parce que dans un sens, sa quête lui donna du baume au coeur. C’était une cause noble, au moins. Eux essayaient maintenant simplement de survivre, et accessoirement, de reprendre contact avec la flotte ; d’où le fait qu’ils tentaient de rejoindre la côte ouest avant décembre, où elle passera à portée radio de celle-ci.

Une fois que l’autre tendit la photo, elle s’y pencha, la regarda de près, essaya de se souvenir. Elle ne pensait pas l’avoir vu, cependant, sauf si… Elle leva les yeux aux ciels un instant, donnant des potentiels faux espoirs à son interlocutrice parce qu’elle était en train d’essayer de se souvenir si elle avait abattu un rôdeur avec cette tête. La réponse, elle ne l’avait pas. Elle avait tellement déjà pris l’habitude de juste les abattre, qu’elle ne faisait même plus attention à leur tête qui était pourtant sa cible. Autrefois, elle se demandait qui était ces gens avant. Maintenant, elle a cessé de se questionner, et ne perds plus de temps. Elle fait les choses pratiquement, elle abat les rôdeurs avec moins de considération qu’elle abat des animaux. C’est de la viande morte, rien de plus.

Elle croisa donc à nouveau le regard de l’autre, et son visage fut frappé d’une moue gênée alors qu’elle hochait la tête négativement et qu’elle lui annonçait : “Désolée… J’crois pas que ça me dise quelque chose” elle se tut, puis, rajouta : “C’est une bonne chose, dans un sens. J’ai pas vu de rôdeur qui lui ressemblait” c’était un mensonge, parce qu’encore une fois, elle ne savait pas. Mais il ne lui coûtait pas grand chose, et pouvait peut-être entretenir la lueur d’espoir de cette pauvre pommée. Elle se tut un instant, écouta navrée la potentielle réponse de l’autre, avant de reprendre : “Et puis, comme tu l’as dis, y’a toujours l’autre gorille qui aurait pu le voir. Il s’occupait du ravitaillement, il a passé beaucoup de temps sur le continent et a eut pas mal de contact avec des PEC’s. Des civils, pardon” elle lui esquissa un sourire, alors qu’elle réajustait sa position sur le comptoir. Elle espérait vraiment que l’autre ait des réponses, mais, elle en doutait. S’ils se connaissaient d’avant, Connor aurait connu son frère et aurait directement parlé de lui à Lenny s’il l’avait vu.

+ Alors qu’Idyl observait la photographie d’un oeil attentif ㅡ et qu’une partie de Lenny essayait de comprendre ce que son regard voulait dire ㅡ l’autre partie, elle, pensait au moment où elle avait récupéré ladite photo, à travers les décombres de sa ville natale, juste avant de découvrir le corps sans vie de sa mère, abandonné là sans explication. C’était le simple fait de n’avoir retrouvé ni le corps de son frère, ni celui de son père qui avait déclenché cette obsession. Sans preuve qu’ils avaient péri eux aussi dans l’incendie, Lenny continuait à croire qu’ils étaient vivants. Et rien ne semblait la faire changer d’avis. Même le silence d’Idyl ne parvenait pas à ébrécher totalement sa détermination. « Non, t’excuses pas, c’est pas grave. » Lenny se força à adresser un sourire à la brune, masquant sa déception. Elle ne pouvait s’en vouloir qu’à elle-même de s’être donné de faux espoirs. Elle baissa un peu les yeux mais esquissa un sourire un peu plus sincère quand l’autre essayait de la rassurer. Ce n’était qu’un maigre réconfort, mais elle appréciait la démarche, alors que celle-ci n’était en rien obligé d’agir ainsi. « Oui, voilà. C’est ce qu’il faut se dire. Il est peut-être juste… Plus au Texas. » Lenny haussa les épaules, comme dire que le sujet ne la touchait pas tant que ça. Comme si ce n’était pas sa principale raison d’être depuis des mois et des mois. Comme si ses proches ne la regardaient pas avec un regard de pitié devant ses efforts qu’ils jugeaient vains. Non, Lenny tentait de donner l’impression qu’elle avait assez de recul pour prendre la chose avec légèreté. En revanche, quiconque un brin observateur comprendrait facilement la supercherie. Mais ça n’empêchait pas Lenny de faire comme si.

La brune hocha la tête. « Oui, comme tu dis. Je verrais avec lui quand il reviendra. » confirma-t-elle encore une fois, commençant sérieusement à se répéter. Lenny rangea la photographie dans la poche de son jean, s’essuyant la paume des mains contre le denim. Après ces révélations, elle hésitait presque à lui demander, de peur que lui aussi lui dise qu’il ne l’avait pas vu. Peut-être valait-il mieux rester dans l’ignorance et continuer à chercher ? Elle soupira un peu, se frottant distraitement la joue alors que son regard se perdait, observant le mobilier qui restait encore dans la boutique.
Après un silence de quelques minutes, Lenny soupira de nouveau, se frotta les yeux et se tourna vers la jeune femme. « Je vais aller voir s’il revient, d’ailleurs. Ca te dérange si je te laisse ici ? » Elle pouvait très bien aider la jeune femme à sautiller à cloche-pied jusqu’à l’extérieur, mais en réalité, Lenny voulait quelques instants pour faire le tri dans ses pensées, à l’abri des regards. Elle qui n’était pas d’un naturel solitaire se retrouvait parfois à apprécier ses instants de solitude. « Je serais juste devant, au pire. » ajouta-t-elle en désignant d’un geste vague l’endroit où elle comptait se placer.

+Idyl se gratta la tête, perplexe. Elle ne savait plus trop quoi lui dire sans radoter, elle était mal placée pour essayer de la rassurer. C’était loin d’être une psychologue ; l’ancienne pilote avait bien trop souvent du mal à trouver les mots justes, et le temps ne fera qu’empirer sa capacité à communiquer non pas efficacement, mais d’un point de vue humain. Elle avait envie de glisser justement un si tu le dis, mais c’était probablement pas adapté à la situation. Elle regarda l’autre, qui avait l’air de s’être endurcie, et lui esquissa un sourire gêné. Restait à savoir ce qu’elles pouvaient encore se dire.

En balançant ses jambes dans le vide, toujours perchée sur son comptoir, Idyl faisait pivoter un étal de bracelets souvenirs. Elle ne lisait pas spécialement ce qui était écrit dessus, se contentait de la satisfaction que lui apportait la rotation ; même si cette dernière était un peu bruyante. Elle fut ramenée à la réalité quand l’autre lui adressa la parole, visiblement pour se désengager de cette conversation qui semblait avoir trop duré. Elle pouffa légèrement, avant de répondre d’un ton presque théâtral : “Tu vas me laisser seule, dans ce lugubre magasin ? Je suis terrifiée” puis, elle hocha la tête de manière négative, histoire de marquer le fait qu’elle déconnait, lui fit un clin d’oeil et un signe du menton vers la sortie.

Elle la regarda sortir de là et vit sa silhouette se poster derrière la vitre encrassée, d’où la lumière peinait à filtrer. Elle poussa un soupir, sortit un paquet de cigarette et s’en alluma une. L’odeur de la cendre froide ; quoi de mieux pour flatter les narines de ses compagnons quand ils rentreront ? Elle haussa les épaules, qu’importe. Déjà, elle n’avait pas envie de sautiller aussi loin. Et en plus, l’autre semblait vouloir un peu de solitude ; Idyl n’était pas non plus complètement imbécile. Elle baissa la tête en expirant une première bouffée de fumée, puis tourna la tête vers l’étal des petits bracelets en cuir. Elle esquissa un léger sourire, qui lui donna du baume au coeur, quand elle vit qu’il y en avait un à son nom, chose assez rare. Elle le décrocha, le regarda en gardant ce sourire niais. Elle pivota encore le truc ; elle trouva Connor, mais pas Lenny. Tant pis pour elle.

Elle resta quelques temps à se demander ce qu’elle allait en faire ; puis, elle se dit qu’elle ferait mieux de laisser une trace de son passage. Elle se laissa tomber au sol, clopina jusqu’au sac de Lenny, veillant à ce qu’elle ne la voit pas. Puis, elle lui glissa celui gravé Idyl dans la poche avant du barda, et garda l’autre dans une de celles de son jean pour la refiler à son pote plus tard. Un cadeau stupide, insignifiant, mais qui ferait toujours plaisir. Ou au moins sourire. Elle se dit qu’elle ne saura jamais sa réaction, puisqu’il y avait peu de chances qu’elles soient amenés à se croiser à nouveau. Ou du moins, c’est ce qu’elle pensait en la voyant repartir le lendemain avec Connor. Mais voilà.